Roswell : Le ballon Mogul se renforce
(01/01/2011)


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Depuis plus de trente ans que l'affaire du crash de Roswell a été déterrée, elle fait l'objet d'un affrontement permanent entre les partisans des thèses conspirationnistes qui y voient la preuve irréfutable que les gouvernements nous cachent depuis plus d'un demi-siècle la vérité sur les extraterrestres, et les sceptiques qui refusent d'accorder le moindre crédit à tous les témoignages concordants sur l'étrangeté des débris... Mon impression est que les uns et les autres, aveuglés par leurs convictions toutes faites, n'ont pas cherché des explications raisonnables aux détails apparemment étranges des témoignages...

Petit résumé de l'affaire

Le 24 juin 1947, l'observation de Kenneth Arnold marquait le début de l'histoire des « soucoupes volantes »... Au cours des jours suivants, toute la presse s'interrogeait sur ces engins bizarres qui semblaient survoler quotidiennement les États-Unis... C'est dans ce contexte enthousiaste que, le matin du 8 juillet, un communiqué officiel de la base militaire de Roswell, au Nouveau Mexique, annonçait à la presse qu'un de ces « disques volants » avait été récupéré !

Les débris ont été découverts peu de temps auparavant (le 14 juin d'après son témoignage dans le journal local, ou aux environs du 3 juillet d'après d'autres sources) par un fermier du nom de William « Mac » Brazel, dans un ranch dont il avait la charge. Brazel n'a guère accordé d'attention à ces débris, craignant juste que ses moutons n'en avalent, et c'est sur les conseils d'un voisin qu'il a profité d'un dépacement en ville pour parler de sa trouvaille au shérif du comté, le dimanche 6 juillet (ou le lendemain d'après un article de journal de l'époque)... Le shérif a téléphoné à la base militaire, laquelle a dépêché immédiatement le Major Jesse Marcel, officier de renseignement, et le Capitaine Sheridan Cavitt, chef du contre-espionnage de la base, pour récupérer ces débris... N'ayant pas pu atteindre la zone dans la journée, ils ont passé la nuit avec Brazel dans un petit abri, et c'est le lendemain qu'ils ont ramené à la base ce qu'ils avaient pu ramasser comme débris.

Et c'est donc le matin du 8 juillet que le chargé des relations publiques de la base, Walter Haut, a envoyé le communiqué annonçant officiellement que l'armée avait récupéré les restes d'un « disque volant » !

Toute la presse a repris l'information et de nombreux journalistes se sont rendus à Roswell, mais en fin d'après-midi ce même 8 juillet, les débris étaient exposés lors d'une conférence de presse à la base de Fort Worth, où ils avaient été acheminés, et on apprenait qu'il s'agissait d'un simple ballon météo accompagné d'un réflecteur pour radars.

Et pendant plus de trente ans, cette histoire a été reléguée parmi les anecdotes les plus insignifiantes de la première « vague » de soucoupes volantes... Mais elle a refait surface en 1978, lorsque l'ufologue et physicien Stanton Friedman a rencontré le major Jesse Marcel, un des militaires ayant récupéré les débris, lequel était persuadé que l'explication officielle était fausse et que ce qu'il avait ramené à sa base était les restes d'un vaisseau extraterrestre !

Des enquêteurs ont alors retrouvé de nombreux témoins, directs ou non, et ce cas est devenu la principale affaire de crash de soucoupe volante, celle que beaucoup d'ufologues considèrent comme la preuve de la présence d'extraterrestres. Cette publicité a bien sûr engendré un certain nombre de témoignages très douteux voire complètement farfelus, ayant donné lieu à maintes interprétations... Nous évoquerons un peu les histoires de corps et de sites multiples à la fin, mais intéressons-nous d'abord à ce qui constitue le coeur de cette affaire : la description des débris découverts par Mac Brazel.

Des débris vraiment étranges

Un certain nombre de personnes ont pu les observer : famille, amis et voisins de Mac Brazel, militaires ayant participé à leur récupération ou à leur acheminement vers d'autres bases, et quelques journalistes...

Le fermier Mac Brazel lui-même a décrit ce qu'il a trouvé dans le journal local (Roswell Daily Record) du 9 juillet :

Brazel raconta que le 14 Juin lui et son fils de 8 ans, Vernon, se trouvaient à une douzaine de kilomètres de la ferme de J. B. Foster, dont il s'occupe, lorsqu'ils arrivèrent sur une grande zone d'épave brillante composée de bandes de caoutchouc, de feuilles métalliques, d'un papier plutôt résistant et de baguettes.

À l'époque Brazel était pressé de faire sa ronde et il n'y prêta pas beaucoup d'attention. Mais il remarqua ce qu'il avait vu et le 4 Juillet lui, sa femme, Vernon, et sa fille Betty, âgée de 14 ans, retournèrent sur les lieux et ramassèrent une petite partie des débris.

Le jour suivant il entendit parler des disques volants pour la première fois, et il se demanda si ce qu'il avait trouvé pourrait être les restes de l'un d'eux.

Le lundi il se rendit en ville pour vendre de la laine et il en profita pour aller voir le shérif George Wilcox et « chuchota sur un ton de confidence » qu'il pourrait bien avoir trouvé un disque volant.

Wilcox prit contact avec la base de l'armée de l'air de Roswell et le major Jesse A. Marcel et un homme habillé en civil l'accompagnèrent chez lui
[Brazel], où ils ramassèrent le reste des morceaux du « disque » et rentrèrent chez lui pour essayer de le reconstituer.

D'après Brazel ils ne parvinrent tout simplement pas à le reconstituer du tout. Ils tentèrent d'en faire un cerf-volant, mais n'y parvinrent pas et ne trouvèrent aucun moyen de le remettre en ordre d'une manière satisfaisante.

Le Major Marcel l'apporta alors à Roswell et ce fut la dernière fois qu'il en entendit parler jusqu'à ce que l'histoire se répande qu'il avait trouvé un disque volant.

Brazel dit qu'il ne l'avait pas vu tomber du ciel et ne l'avait pas vu avant qu'il se déchire, il ne savait donc pas quelle taille ou forme il pouvait avoir, mais il pensait qu'il pourrait être aussi grand qu'un plateau de table. Le ballon qui le soutenait, si c'est comme cela que ça fonctionnait, devait avoir dans les quatre mètres de long, pensa-t-il, mesurant la distance d'après la taille de la pièce où il était assis. Le caoutchouc était de couleur gris fumé et éparpillé sur une zone de 200 mètres de diamètre environ.

Lorsque les débris furent rassemblés les feuilles métalliques, le papier, la bande et les baguettes constituaient un paquet long d'un mètre et de vingt centimètres d'épaisseur, tandis que le caoutchouc faisait un paquet de 45 à 50 centimètres de long et à peu près 20 centimètres d'épaisseur. En tout, estima-t-il, l'ensemble devait peut-être peser 2,3 kilogrammes.

Il n'y avait dans la zone aucun signe de quelque métal qui aurait pu être utilisé pour un moteur et aucun signe de quelque propulseur d'aucune sorte, bien qu'au moins un aileron de papier ait été collé sur une des feuilles métalliques.

Il n'y avait aucun mot nulle part sur l'instrument, bien qu'il y eût des lettres sur certaines parties. Beaucoup de bande adhésive et certaines bandes avec des fleurs imprimées dessus avaient été utilisées dans la construction.

Aucun câble ou fil ne fut trouvé mais il y avait des oeillets dans le papier indiquant qu'un certain type d'attache aurait pu être utilisé.

Brazel dit qu'il avait trouvé auparavant deux ballons d'observation météo sur la ferme, mais que ce qu'il avait trouvé cette fois-ci ne ressemblait pas du tout à l'un d'entre eux.

« Je suis sûr que ce que j'ai trouvé n'était pas un ballon d'observation météo, », a-t-il déclaré. « Mais si je trouve quelque chose d'autre à part une bombe ils auront du mal à me faire dire quelque chose dessus. »


Il n'y a là pas grand-chose qui évoque un vaissseau extraterrestre ! Mais avant de faire ces déclarations, Brazel avait été « cuisiné » toute la journée à la base militaire, ce qui explique sa dernière phrase, et les tenants du crash extraterrestre supposent donc qu'on lui avait ordonné de minimiser l'étrangeté de ce qu'il avait trouvé. C'est possible, mais gardons tout de même à l'esprit que cet article de presse présente le seul témoignage de l'époque... Tous les autres témoins ont été interrogés au mieux trente ans après les faits, quelquefois encore beaucoup plus.

Mac Brazel est mort avant la reprise des enquêtes, mais deux de ses enfants ont pu témoigner.

Sa fille Bessie, qui avait quatorze ans à l'époque, décrivait ainsi les débris en 1979 :

Il y avait ce qui semblait être des morceaux de papier paraffiné renforcé et des sortes de feuilles d'aluminium. Quelques-uns de ces morceaux portaient des inscriptions ressemblant à des chiffres et des lettres, mais nous ne pouvions en tirer aucun mot. Sur certains morceaux des feuilles métallisées était collé une sorte de ruban adhésif, et quand on les portait à la lumière ils laissaient apparaître comme des fleurs ou dessins couleur pastel. [...] Cela évoquait des chiffres écrits en colonnes comme pour poser une addition. Mais ça ne ressemblait pas du tout aux chiffres que nous utilisons. Ce qui m'a donné l'idée qu'il s'agissait de nombres, je pense, était la façon dont ils étaient rangés en colonnes. Non, ce n'était absolument pas un ballon ; nous avions vu pas mal de ballons météo — aussi bien au sol que dans les airs. Nous avions même trouvé quelques ballons de type japonais qui étaient tombés dans la zone une fois. Nous avions aussi récupéré quelques-uns de ces ballons-météo en caoutchouc très fin portant des paquets d'instruments. Ce n'était rien de tout cela. Je n'avais jamais rien vu ressemblant à cette sorte de chose auparavant — ni depuis.

En 1993, elle a fait une nouvelle déclaration, sous serment :

Les débris ressemblaient à des morceaux d'un grand ballon qui aurait éclaté. Les morceaux étaient petits, le plus grand dont je me souvienne avait pour taille à peu près le diamètre d'un ballon de basket-ball. La plupart étaient faits d'une sorte de matériau à double face, d'aspect métallique d'un côté et de caouchouc de l'autre. Les deux faces étaient de couleur gris argent, le métal plus argenté que le caoutchouc. Des bâtons, comme des baguettes de cerf-volant, étaient attachés à certaines pièces avec du ruban adhésif blanchâtre. Ce ruban était large de deux à trois pouces et portait des dessins ressemblant à des fleurs.

[...]

Le matériau en caoutchouc métallisé ne pouvait être déchiré comme une feuille d'aluminium ordinaire. Je ne me souviens de rien d'autre concernant la solidité ou d'autres propriétés de ce que nous avons ramassé.

Nous avons passé plusieurs heures à ramasser les débris et les mettre dans des sacs. Je pense que nous avons rempli à peu près trois sacs. Nous avons spéculé un peu sur ce que pouvaient être ces matériaux. Je me rappelle mon père disant : « Oh ! C'est juste un tas de déchets. »

[...]

Mon père commentait à sa façon cette histoire : « Ils ont fait un tapage d'enfer pour rien du tout ».

Beaucoup d'enquêteurs convaincus de l'exotisme du crash de Roswell mettent en doute le témoignage de Bessie parce qu'ils voient des contradictions avec d'autres témoignages et entre ses deux récits successifs, mais ces divergences n'ont rien d'anormal pour des témoignages aussi tardifs. En, fait, ses deux descriptions sont très similaires, hormis le fait qu'elle dit dans la première que ça n'était pas un ballon et dans la seconde que ça ressemblait aux débris d'un ballon, ce qui n'est pas vraiment incompatible. Et elles s'accordent très bien aux déclarations de son père à l'époque, qui décrit des débris n'ayant rien d'extraordinaire, auxquels il n'a d'ailleurs « pas prêté beaucoup d'attention » dans un premier temps, et qui lui aussi évoque une ressemblance avec un ballon tout en affirmant que ça ne pouvait pas en être un.

L'autre fils de Brazel, Bill, n'était pas présent au moment du crash ni de la récupération des débris, mais il a raconté qu'il en avait recueilli certains peu de temps après, avant d'être contraint deux ans plus tard de les donner à un militaire qui avait entendu parler de sa trouvaille. Il les décrivait ainsi :

— des morceaux de quelque chose ressemblant à une feuille d'étain, sauf qu'on ne pouvait pas la déchirer... Vous pouviez la froisser et la relâcher et elle reprenait immédiatement sa forme d'origine... Assez flexible, mais vous ne pouviez pas la plier ou déplier comme du métal ordinaire. Plutôt comme du plastique, mais c'était certainement métallique. Papa m'a dit une fois que l'armée lui avait dit que ça n'était rien qui soit fabriqué par eux.

— un peu de matériau ressemblant à du fil. Ça ressemblait à de la soie, mais ça n'était pas de la soie, un matériau très solide sans brins ou fibres comme il y en a dans la soie. C'était plutôt comme du fil électrique, tout d'une pièce ou substance.

— de petites pièces évoquant le bois de balsa pour le poids, mais un peu plus sombre et beaucoup plus solide... C'était flexible mais ça ne pouvait pas se casser. Ça ne pesait rien mais vous ne pouviez pas les entailler avec votre ongle. 


Quelques imaginatifs disent que le fil bizarre fait d'une seule pièce évoque de la fibre optique... Mais il évoque surtout du fil de nylon, qui n'était encore pas très répandu à l'époque et qui pouvait donc surprendre par son aspect.

Mac Brazel avait raconté son histoire à ses voisins, les Proctor, et ce sont ces derniers qui lui ont conseillé d'aller en parler au shérif, lui disant qu'il y avait une récompense pour ceux qui rapporteraient des débris de « soucoupes volantes ». Il leur avait montré un morceau que Loretta Proctor a décrit ainsi :

La pièce qu'il a amenée était semblable à du plastique de couleur bronze, brun clair. C'était très léger, comme du bois de balsa. Ça n'était pas un gros morceau, peut-être à peu près dix centimètres de long, et peut-être un peu plus large qu'un crayon.

Nous l'avons entaillé avec un couteau et nous avons tenu une allumette dessus, et ça ne brûlait pas. Nous savions que ça n'était pas du bois. C'était lisse comme du plastique.
[...] Je n'ai jamais rien vu de semblable.

C'est le seul objet qu'elle a vu, mais Brazel lui avait parlé d'autres types de débris : un autre matériau trouvé dans la propriété ressemblait à une feuille d'aluminium très flexible, mais que l'on ne pouvait ni écraser ni brûler. Il y avait aussi quelque chose qu'il décrivait comme un ruban sur lequel figuraient des impressions. La couleur des impressions était une sorte de pourpre. Il disait que ça n'était pas de l'écriture japonaise ; à la façon dont il décrivait cela, ça évoquait plutôt des hiéroglyphes.

L'allusion à l'écriture japonaise vient sans doute du fait que pendant la guerre, les Japonais avaient lâché des ballons incendiaires et explosifs qui devaient déclencher de grands feux de forêt aux les États-Unis après avoir été portés par les jet-streams (vents très violents qui circulent en altitude au-dessus de l'Équateur, découverts sans les années 20 par un météorologiste japonais). Cette opération fascinante, le projet Fugo, n'avait pas eu un grand succès : quelque 500 ballons sur les 10000 lancés avaient atteint les États-Unis, un résultat proche des prévisions, mais ils avaient fait peu de dégâts en raison du climat humide des zones touchées, et on avait demandé à la presse de ne pas en parler pour minimiser l'impact psychologique de ces attaques.

Une autre voisine des Brazel ayant témoigné est Sally Tadolini, âgée de neuf ans à l'époque mais qui avait été très impressionnée par l'espèce de tissu d'aluminium que Bill Brazel, le fils de Mac, avait montré à sa famille :

Ce que Bill nous montra était un morceau de ce que je pense toujours être un genre de tissu. C'était quelque chose comme une feuille d'aluminium, quelque chose comme du satin, quelque chose comme du cuir bien tanné pour sa résistance, et pourtant ça ne ressemblait précisément à aucun de ces matériaux. Bien que je ne m'en souvienne pas avec certitude, je pense que ce tissu mesurait environ dix centimètres par vingt à vingt-cinq. Ses bords, qui étaient lisses, n'étaient pas exactement parallèles, et sa forme était vaguement trapézoïdale. Il avait à peu près l'épaisseur d'un gant de peau très fin, de couleur gris argent mat, avec un côté légèrement plus foncé que l'autre. Je ne me souviens pas qu'il y eût des dessins ou gravures dessus.

Bill le fit passer à la ronde, et nous pûmes le manipuler. Je faisais beaucoup de couture et c'est pourquoi il me fit une forte impression. Il ne ressemblait à aucun tissu que j'aie touché avant ou depuis. Il était très soyeux ou satiné, avec la même texture des deux côtés. Quand je le froissais dans mes mains, l'impression était comme quand vous froissez un gant de cuir dans la main. Lorsqu'on le relâchait, il reprenait sa forme originelle, s'aplanissait rapidement en ne gardant aucun pli. Je fis cela plusieurs fois, et les autres également.


Walt Whitmore Jr, le fils du patron d'une radio à Roswell, a vu lui aussi quelques débris apportés à son père par Brazel :

Une substance ressemblant à une feuille métallique très mince mais extrêmement solide. [...] Des poutrelles qui semblaient être de bois ou d'une substance ressemblant à du bois sur lesquelles étaient inscrits ce qui ressemblait à des chiffres posés comme pour une addition ou multiplication. [...] La pièce la plus large [...] ressemblait beaucoup à une feuille de plomb, mais ne pouvait pas du tout être déchirée. Elle était extrêmement légère.

Le témoin qui a relancé l'affaire en 1978 est, on l'a vu, le Colonel Jesse Marcel, un des deux militaires qui sont allés ramasser les débris. C'est ainsi qu'il les décrit dans son interview à William Moore (coauteur du premier livre sur l'affaire en 1980) en 1979 :

Il y avait tous types de choses – de petites tiges de 10 ou 12 mm de côté avec des sortes de hyéroglyphes dessus que personne n'a pu déchiffrer. Elles ressemblaient à du bois de balsa, et avaient à peu près le même poids, mais il ne s'agissait pas du tout de bois. Elles étaient très dures, bien que souples, et ne brûlaient pas. Il y avait beaucoup d'une substance ressemblant à du parchemin qui était de couleur marron et très résistante, ainsi qu'un grand nombre de petits morceaux de feuilles métalliques, sauf qu'il ne s'afissait pas de feuilles métalliques. [...] Un des autres camarades, Cavitt, je crois, avait trouvé une boîte métallique noire de plusieurs pouces carrés.

[...]

Une chose qui m'a impressionné à propos des débris est le fait que beaucoup ressemblaient à du parchemin. Beaucoup d'entre eux avaient des petits membres avec des symboles que nous appellerons hyéroglyphes car je ne pouvais les interpréter, ils ne pouvaient être lus, c'étaient juste des symboles, quelque chose qui signifiait quelque chose, et ils n'étaient pas tous les mêmes, mais avec le même motif général, je dirais. Les bras sur lesquels c'était peint — eh bien, ces symboles étaient rose et pourpre, lavande plus précisément. Et donc ces petits bras ne pouvaient être brisés, ne pouvaient être brûlés. J'ai même pris mon briquet et essayé de brûler le matériel que nous avions trouvé et qui ressemblait à du parchemin et du balsa, mais ça ne brûlait pas, ça ne fumait même pas. Mais quelque chose d'encore plus étonnant est que le morceau de métal que nous rapportâmes était si mince, juste comme une feuille d'étain dans un paquet de cigarettes. Je n'y fis pas très attention au début, jusqu'à ce que l'un des G.I. vienne me voir et me dise : « Vous savez, ce métal qui était là-dedans ? J'ai essayé de plier cette matière mais ça ne plie pas. J'ai même essayé avec une masse. Impossible d'y faire une bosse... » Cette pièce métallique particulière avait, je dirais, à peu près deux pieds de long et peut-être un pied de large. Cette matière ne pesait pratiquement rien, c'était vrai de tout le matériel que nous avions rapporté... Elle était si mince. Donc j'ai essayé de plier cette chose. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour la plier, elle ne pliait pas et vous ne pouviez pas la déchirer ou la couper. Nous avons même essayé de faire une bosse avec une masse de seize livres, et il n'y avait toujours pas de bosse dessus... Ce qu'était cette chose, c'est encore un mystère pour moi. Maintenant par plier je veux dire faire un pli. On pouvait fléchir ce truc en avant et en arrière, même le plisser, mais vous ne pouviez pas imprimer un pli dessus qui restait, ni le cabosser du tout. Je devrais presque le décrire comme un métal ayant les propriétés du plastique. Un des camarades essaya de mettre certains des morceaux ensemble, comme un puzzle. Il a réusi à mettre près de 10 pieds carrés ensemble, mais ce n'était pas assez pour avoir une idée générale de l'objet lui-même. Quoi que c'était, c'était gros.


La même année (1979), il avait été interrogé par le journaliste Bob Pratt, qui a rédigé un article pour le National Enquirer.

– Pratt : Quand vous êtes arrivés là-bas, qu'avez-vous vu ? Des bouts de métal ? Quoi au juste ?

– Marcel : J'ai vu... Eh bien, nous avons trouvé du métal, des petits morceaux de métal, mais nous avons surtout trouvé un matériau difficile à décrire. Je n'avais jamais rien vu de pareil et je ne sais toujours pas ce que c'était. Nous l'avons ramassé malgré tout. Une chose, une chose...

– Pratt : C'était quelque chose de fabriqué ?

– Marcel : Oh, oui, sans aucun doute. Mais il y a une chose que je me rappelle très distinctement. Je voulais voir brûler un peu de ce truc, mais tout ce que j'avais, c'était un briquet pour allumer mes cigarettes, vu que je suis un gros fumeur. J'ai allumé le briquet sous ce truc et il n'a pas brûlé.

– Pratt : Y avait-il des marques ?

– Marcel : Oui. Quelque chose d'indéchiffrable. Je n'avais jamais rien vu de tel. Oh, moi je les appelle des hiéroglyphes. J'ignore s'ils ont jamais été déchiffrés.

– Pratt : Mais il y avait des marques ?

– Marcel : Oh, oui... des petites barres, solides, qu'on ne pouvait ni plier ni briser, mais cela n'avait pas l'air d'être du métal. On aurait plutôt dit du bois.

– Pratt : Grandes comment ?

– Marcel : La taille était variable. Pour autant que je me souvienne, cela pouvait aller d'un demi-centimètre à un centimètre d'épaisseur. Il y avait pratiquement toutes les longueurs. Aucune n'était très longue.

– Pratt : Quelle était la taille de la plus grande ?

– Marcel : Je dirais un peu moins d'un mètre.

– Pratt : Quel était leur poids ?

– Marcel : Nul. On ne le sentait même pas – exactement comme du balsa.

– Pratt : Le morceau d'un mètre... était-il plus large ?

– Marcel : Oh, non. C'était une barre solide, rectangulaire, tout comme il y a des baguettes carrées (Marcel fait un croquis). Les longueurs variaient et sur la longueur, certaines d'entre elles portaient ces petites marques, des marques en deux couleurs pour autant que je m'en souvienne. Pour moi c'était comme du chinois, ça n'avait pas de sens.

– Pratt : Est-ce que tout avait cette forme, longue et fine ?

– Marcel : Toutes les barres étaient comme ça. Il y avait un autre truc qui ressemblait beaucoup à du parchemin, mais lui non plus ne brûlait pas. De toute évidence… je présume, je ne suis pas… j'étais familiarisé avec pratiquement tous les systèmes d'observation météo utilisés par l'armée et il n'y avais là rien que je puisse identifier comme du matériel météo.

– Pratt : Vous pilotiez depuis 1928, depuis vingt ans lorsque c'est arrivé. Avez-vous reconnu des parties d'un avion ?

– Marcel : Non, ça ne pouvait pas provenir d'un avion.

– Pratt : Ni d'un ballon météo ou expérimental ?

– Marcel : Je n'en ai pas eu l'impression, non. Déjà, si ç'avait été un ballon, cela n'aurait pas été poreux comme les morceaux que nous avons ramassés. Ils étaient poreux.


On remarque qu'il ne parle pratiquement pas dans cette interview des feuilles de métal qu'on ne pouvait pas plier, ça ne semble donc pas l'avoir marqué autant que ça !

Concernant la porosité du matériau, il y est revenu en 1981 dans une interview par la journaliste Linda Corley, en précisant bien que cela se rapportait aux feuilles d'apparence métallique, sur lesquelles il apporte des précisions :

Le matériau était inhabituel. Bien sûr l'armée de l'air a dit que c'était un ballon. Ce n'était pas possible. Cétait poreux. Ça ne pouvait garder l'air. Ce matériau était du tissu... J'ai essayé de souffler au travers. Ça passait au travers. J'ai essayé de souffler en le portant à ma bouche. [Corley lui demanda de clarifier : Quel morceau ? Cette feuille semblable à du tissu ?] Non, non... Ce qui ressemblait à une enveloppe de ballon. Un tissu... Ça ne pouvait retenir l'air... C'était un matériau ressemblant à du tissu, mais c'était aussi métallique. C'était un tissu métallique. L'air passait au travers. J'ai même essayé de le brûler. Il ne brûlait pas. Un ballon doit avoir... du gaz pour s'élever dans l'air... Même de l'air chaud. Cela ne pouvait rien retenir de tel. C'était poreux.

Jesse Marcel avait été si impressionné par ce qu'il avait vu qu'il avait ramené quelques débris chez lui pour les montrer à sa famille. Son fils, Jesse Marcel Jr, devenu médecin et qui avait à l'époque 11 ans, évoque trois types de débris qu'il a eus en main :

Il y avait trois catégories de débris : une matière fine, semblable à une feuille métallique grise ; un matériau cassant semblable à du plastique brun-noir, comme de la bakélite ; et il y avait des fragments de ce qui apparaissait comme des poutrelles en I.

Sur la surface interne des poutrelles en I, il y avait des sortes d'écritures. Les caractères étaient d'une teinte pourpre-violette, et avaient l'air en relief. Les symboles étaient composées de formes géométriques courbes. Ça ne ressemblait pas au russe, au japonais ni à tout autre langage étranger. Ça ressemblait à des hiéroglyphes, mais il n'y avait pas de caractères ressemblant à des animaux.


Jack Trowbridge, militaire qui travaillait pour Jesse Marcel, indique qu'il faisait une partie de bridge chez Marcel lorsque celui-ci a ramené les débris, qu'il décrit ainsi :

Ainsi quand il est arrivé il était assez tard je crois, et nous avons arrêté la partie de bridge, pour sortir voir ce que Jessie avait rapporté. Et c'était d'un grand intérêt.

Cela avait l'apparence de l'aluminium, il y avait des fragments comme du revêtement d'engin volant ou quoi que cela ait pu être, et également certaines poutrelles, avec des images de... comme des hyéroglyphes. Je les ai prises pour des hiboux, mais qui sait. Vous savez, c'était intéressant de pouvoir mettre les mains sur ce matériel. Et ce matériel avait certaines propriétés particulières. Par exemple il ressemblait à des emballages de barres de céréales.

Mais si vous le teniez dans vos mains aussi fort que vous le pouviez, puis que vous le relâchiez, il revenait à l'origine, à sa forme originale. Instantanément !


L'autre militaire allé récupérer les débris, Sheridan Cavitt, a longtemps nié avoir été impliqué dans l'affaire, jusqu'à ce qu'il soit interrogé par l'armée et non par des enquêteurs privés... Une attitude que l'on peut expliquer par sa volonté de préserver le secret auquel il était tenu, ou peut-être n'avait-il tout simplement pas envie de répondre à des gens qu'il considérait comme des « clowns » (le mot est de lui) ! Notons que d'après Marcel, Cavitt, qui était pourtant un bon ami, avait au moment de l'incident refusé de lui montrer son rapport parce qu'il dépendait d'autres supérieurs que lui (Cavitt était directeur du service de contre-espionnage de la base). Cavitt dit de son côté dans le rapport de l'armée qu'il n'a pas rédigé de rapport parce que pour lui les débris étaient ceux d'un ballon météo.

Il écrit dans un courrier de présentation pour le rapport de l'armée de l'air :

Quand nous sommes arrivés sur les lieux nous avons trouvé quelques débris qui m'ont paru ressembler à des bâtons de bambou de section carrée d'un quart à un demi-pouce de côté, qui étaient très légers, ainsi qu'une sorte de matériau réfléchissant métallique qui était aussi très léger. Je me rappelle aussi vaguement d'une sorte de boîte noire (comme un instrument météo).

Et dans l'interview :

Il y avait une certaine quantité de, comme je me rappelle, bâtons en bambou, et une sorte de matériel réfléchissant ressemblant, eh bien au premier abord, vous penseriez probablement que c'était du papier d'aluminium, quelque chose de ce type.

Un journaliste, Jason Kellahin, qui a reçu et même hébergé Brazel à Roswell, dit qu'il serait allé sur le site des débris alors que les militaires les ramassaient :

Cela n'avait pas l'air exceptionnel. Juste du tissu de couleur argentée et du bois très léger... Un bois léger comme celui dont on fait les cerfs-volants... Je n'y ai pas touché. En fait les militaires nous avaient interdit de toucher à rien. [...] Mais c'était un ballon. Cela ressemblait plus à un cerf-volant qu'à autre chose.

Et dans son affidavit (déclaration sous serment en présence d'un témoin) :

Il y avait énormément de débris sur le site — des morceaux d'un tissu de couleur argent, peut-être du tissu aluminisé. Certains de ces morceaux avaient des tiges attachées à eux. J'ai pensé qu'ils pouvaient être les restes de la charge d'un ballon de haute altitude, mais je n'ai rien vu, morceaux de caoutchouc ou analogues, qui évoquerait ce qui pourrait être les débris du ballon lui-même.

Enfin, Irving Newton, officier météo de la base de Fort Worth, a manipulé les débris en présence du général Ramey (celui qui a fait la seconde déclaration de presse, disant qu'il s'agissait d'un ballon météo) et de Jesse Marcel :

Je leur ai dit que c'était un ballon et une cible Rawin. J'ai pensé à ça parce que j'en avais vu beaucoup avant. Elles sont lancées normalement par un équipage spécial et suivies par une unité radar au sol. Elles indiquent les vents d'altitude les plus élevés. Nous ne les utilisons pas à Fort Worth. Néanmoins, je les connais bien parce que je les ai utilisées ainsi que leurs produits dans plusieurs projets auxquels j'ai participé. [...] La cible était utilisée pour la réflexion des radars et je pense que chaque jambe de la cible était longue d'à peu près 48 pouces. Ça ressemblait à un « jack d'enfant » [les « jacks » sont des pièces d'un jeu évoquant les osselets, formés comme la structure des cibles radar de six « jambes » à angle droit] avec un matériau métallique entre les jambes. Les jambes étaient faites d'un matériau paraissant être comme des baguettes de cerf-volant en bois de balsa mais beaucoup plus dur.

Pendant que j'examinais les débris, le major Marcel prenait des morceaux de baguettes de la cible et essayait de me convaincre que quelques inscriptions sur la baguette étaient des écritures extraterrestres. Il y avait des figures sur les baguettes de couleur lavande ou rose, paraissant être des marques délavées par le temps, sans séquence ou raison. Il ne m'a pas convaincu qu'il s'agissait d'écritures extraterrestres.


Newton a reconnu immédiatement une cible radar et des morceaux de ballons en néoprène décomposés, à l'odeur caractéristique.

Quelques autres témoins plus tardifs et moins certains ou indirects ont décrit les débris... Certains évoquent quelque chose de très similaire à ceux dont nous avons parlé, d'autres donnent des détails franchement fantaisistes (débris qui n'auraient pas pu être entamés avec un chalumeau oxhydrique, ou avec des tirs de carabine, ou associés à des corps d'extraterrestres...) Tout cela semble assez fantaisiste et très incohérent.

Si l'on résume, les principaux types de débris trouvés à Roswell sont :

— des morceaux d'une sorte de plastique ou caoutchouc brunâtre ;

— des feuilles métalliques très fines qui reprenaient leur forme après qu'on les eut pliées ou froissées ;

— des bandes d'adhésif dont certaines portaient d'étranges symboles roses alignés ;

— des baguettes très légères, ayant l'apparence du bois ou du plastique, mais très résistantes et portant quelquefois des inscriptions roses.

Le projet Mogul relance les ballons

Pendant longtemps, les sceptiques ont pensé que cette affaire se résumait comme le disaient les démentis de l'époque à un simple ballon météo, ce qui n'était guère satisfaisant. Mais en 1994, des enquêteurs ont trouvé un type de ballon bien particulier qui expliquait bon nombre d'étrangetés des témoignages : les ballons Mogul. Cette thèse a été particulièrement bien développée par Karl Pflock dans son livre Roswell in perspective, et confirmée par l'armée de l'air qui a publié un volumineux rapport la même année (maintenant disponible sur Internet, notamment sur Google books) en réponse à une enquête du Congrès.

Le programme Mogul était destiné à détecter les ondes de choc des explosions nucléaires et des tirs de missiles à l'aide de capteurs sonores maintenus à une altitude constante dans la stratosphère... Il s'agissait à l'époque d'un programme secret mené avec le concours de l'Université de New-York, mais utilisant du matériel météorologique courant. Les premiers vols étaient composés de classiques ballons météo en néoprène, leur trajectoire était suivie soit à l'aide de cibles radar, des réflecteurs constitués de papier métallisé tendu sur une armature de balsa, soit par une radiosonde, un émetteur radio couplé à un appareillage météorologique. Quant aux capteurs sonores, il s'agissait de « bouées acoustiques », transmettant par radio les sons captés, utilisées normalement pour détecter des sous-marins (un microphone spécifique devait les remplacer plus tard, mais pour les premiers essais on utilisait du matériel existant). Il y avait en outre un réservoir de lest rempli de sable ou de kérozène, plusieurs petits parachutes, et beaucoup de câble en nylon tressé pour relier tout cela. Tout ce matériel était très banal, et les techniciens de l'université de New-York qui assemblaient les ballons et enregistraient les mesures pensaient participer à un simple programme de recherche en météorologie.

Ce qui faisait la particularité de ces ballons, c'était leur dimension : il s'agissait d'un train d'une trentaine de ballons portant des instruments et trois cibles radar, dont la structure totale pouvait s'étendre sur une hauteur de plus de 200 mètres ! Il y a eu en fait un certain nombre de configurations essayées, et des vols d'essai avec un nombre de ballons et une charge réduits...

Mais surtout, ce projet avait utilisé des cibles radar particulières, renforcées avec du ruban adhésif portant des motifs roses... L'explication était que ces cibles assez similaires à des cerfs-volants étaient assemblées par un fabricant de jouets, lequel avait utilisé de l'adhésif décoré qu'il avait en surplus ! Un détail qui ne s'inventait pas, et qui évoquait trop bien les mystérieuses « inscriptions pourpres » mentionnées par pratiquement tous les témoins des débris pour qu'il ne s'agisse que d'une coïncidence. Beaucoup d'ufologues qui avaient cru dur comme fer au crash d'un vaisseau extraterrestre ont alors convenu qu'on tenait vraiment l'explication.

Les vols de ballons du projet Mogul ont commencé au Nouveau-Mexique en juin 1947 (il y en avait eu quelques-uns en avril en Pennsylvanie) et se sont prolongés jusqu'en 1948, mais seuls les premiers vols utilisaient des ballons en néoprène et des cibles radar. D'après les documents relatifs à ce projet qui ont été retrouvés à l'université de New York, le vol numéro 4, lancé le 4 juin, pourrait correspondre aux débris retrouvés près de Roswell... C'est toutefois loin d'être certain, de même qu'il n'est pas certain que le vol en question ait concerné un train de ballons Mogul complet. J'en discuterai plus loin, mais quoi qu'il en soit ce sont presque uniquement les ballons et les cibles radar qui évoquent les débris trouvés à Roswell.

Et la similitude est vraiment frappante : on trouve les feuilles de métal fin, le néoprène des ballons qui se dégrade au soleil correspond bien aux débris brunâtres d'une sorte de plastique, les baguettes de balsa ressemblent aux baguettes évoquées par tous les témoins (y compris dans leurs dimensions, quand elles sont mentionnées), et surtout le ruban adhésif décoré de motifs roses, servant à renforcer le collage du papier métallisé sur les baguettes, évoque bien les séries de « hiéroglyphes » roses qui ont tant frappé les témoins... Seuls les câbles de nylon qui assemblaient les différents éléments des trains de ballons font défaut, mais on les trouve tout de même dans le témoignage de Bill Brazel... Peut-être ont-ils été oubliés par les militaires qui ont ratissé la zone parce qu'ils étaient beaucoup moins visibles que les autres débris.

Il faut être vraiment aveugle pour ne pas comprendre qu'il n'est pas possible que toutes ces similitudes relèvent de la coïncidence... Mais il faut être tout aussi aveugle pour croire que pratiquement tous les témoins qui ont eu en mains les débris ont pris du papier aluminisé très fragile pour une matière infroissable et très résistante... Ou encore du balsa, très reconnaissable et connu aussi bien pour sa légèreté que pour son extrême fragilité, pour un matériau très résistant et n'étant pas du bois.

Alors, Mogul doit être l'explication, mais il y a quelque chose qui cloche.

Les cibles radar

L'essentiel des matériaux étranges mentionnés par les témoins s'expliquerait par les cibles radar. Voyons donc comment étaient faites ces cibles « Rawin » (pour RAdar WINd targets), de type ML-307B.

Leur fonction était de réfléchir les ondes vers leur source, pour que les ballons puissent être suivis par les radars... La façon la plus simple d'obtenir cela est d'utiliser des trièdres droits : trois surfaces réfléchissantes qui se coupent à angle droit, comme l'angle d'un cube vu de l'intérieur :

Rayon réfléchi par un trièdre

Un rayon qui frappe un tel trièdre est réfléchi par les trois surfaces et renvoyé vers sa source... C'est ainsi que sont faits généralement les catadioptres qui réfléchissent les lumières des phares d'automobile... De tels trièdres forment aussi par exemple les réflecteurs laissés sur la Lune pour réfléchir des faisceaux lasers et permettre de déterminer avec précision la distance Terre-Lune... Si vous vous regardez dans un trièdre, vous verrez toujours votre image tête en bas avec votre oeil à l'angle du trièdre.

Si l'on veut un ensemble de trièdres qui puisse réfléchir les ondes dans toutes les directions, le plus simple est d'assembler trois baguettes à angle droit, puis de tendre des triangles de papier métallisé entre chaque paire de baguettes. L'ensemble formera un octaèdre, avec huit trièdres réflecteurs :

Octaèdre

Mais lorsqu'il s'agit de suivre des ballons depuis des radars au sol, il est inutile de réfléchir des ondes venant d'en haut... La première option qui vient à l'esprit est de supprimer la moitié de l'octaèdre, en ne gardant que quatre trièdres formant une pyramide carrée dirigée vers le bas :

Modèle A

On supprime ainsi la moitié d'une des trois baguettes, et quatre des douze panneaux triangulaires. D'après Charles Moore, l'ingénieur d'étude de « l'équipe ballon » de l'Université de New-York, cette solution a été utilisée avec la première génération de ces cibles, le modèle ML-307A... L'inconvénient était que l'importante surface horizontale en haut ralentissait l'élévation du ballon.

Une autre solution consistait à conserver encore quatre trièdres, mais disposés de cette manière :

Trois trièdres

C'est un peu moins économique puisque les trois baguettes doivent être conservées intégralement, et qu'il faut cette fois un total de neuf panneaux triangulaires pour former les réflecteurs, mais par contre une telle forme « fend l'air » et ralentit donc beaucoup moins l'ascension du ballon.

C'était donc ainsi qu'étaient formées les cibles Rawin utilisées en 1947 (modèle ML-307B), accrochées au ballon par trois fils attachés aux pointes du haut. Pour permettre le pliage de ces cibles, deux des baguettes étaient coupées en deux et articulées au moyen d'une pièce métallique centrale, et trois des panneaux étaient pliées en deux lorsque la cible était pliée : celle-ci prenait alors la forme d'un triangle ayant la dimension de deux panneaux. Pour en savoir plus sur la façon dont ces cibles étaient montées et pliées vous pouvez consulter le site de David Rudiak Roswell Proof.

On connaît d'autre part leur dimension. Les panneaux réfléchissants étaient des demi-carrés de 24 pouces de côté, soit 61 cm. Il y en avait neuf (trois par trièdre), leur surface était donc celle de quatre carrés et demi de 61 cm de côté, soit 1,67 m2. En fait, ces panneaux n'étaient faits que de quatre pièces : une, carrée, formant quatre panneaux, deux triangulaires formant deux panneaux chacune, et une triangulaire de taille plus réduite formant un dernier panneau.

Et les trois baguettes formant l'armature avaient pour longueur deux fois le côté des panneaux, soit 122 cm, totalisant donc 366 cm de baguette de balsa... Si ces baguettes avaient une section carrée de 8 mm de côté, elles totalisaient 234 cm3 de balsa. Le balsa ayant une densité de 0,15, la masse de ces trois baguettes devait atteindre 35 g. Il y avait aussi d'autres baguettes, plus fines, joignant différents sommets de l'octaèdre pour assurer la rigidité de la structure... Il n'est pas nécessaire que tous les côtés de l'octaèdre (il y en a 12) soient ainsi renforcés, un bon compromis est 6 pour que chaque extrémité des baguettes principales soit reliée aux deux autres baguettes. C'est bien ainsi que les cibles Rawin étaient formées, avec deux de ces baguettes secondaires qui étaient mises en place et collées après le dépliage de la cible. Les côtés de l'octaèdre ont une longueur de 86,2 cm (61x√2), six côtés totalisent donc 5,1 m... Même si ces baguettes secondaires étaient plus fines que les baguettes principales, il est difficile d'imaginer que la structure complète ait pesé moins de 50 g. Or, Charles Moore, par qui on connaît l'essentiel des informations sur leur utilisation dans le programme Mogul, nous apprend aussi que le cahier des charges des cibles Rawin spécifiait qu'elles devaient peser environ 100 g.

Si la structure de balsa pesait 50 g, cela laissait 50 g pour l'ensemble des panneaux réflecteurs... Pour une surface de 1,67 m2, cela correspond à un grammage de 30 g/m2 : à peu près le tiers du papier que nous utilisons pour la bureautique, ou le double du papier à cigarettes... Pas très résistant, d'autant qu'il s'agissait de papier doublé d'une feuille métallique... Pour comparaison, le papier alu utilisé couramment pour la cuisine, qui se déchire à la moindre traction, pèse de l'ordre de 50 grammes par mètre carré ! En résumé, les panneaux réflecteurs des cibles Rawin devaient être faits d'une sorte de papier à cigarettes doublé d'aluminium (ou autre métal), du style de celui qui enveloppe les chewing-gums... Et le tout devait être d'une résistance assez ridicule !

De telles cibles radar ont été fabriquées par l'Army Signal Corp pendant la guerre (des ballons ainsi équipés ont servi notamment à mesurer les vents pour le débarquement en Normandie), et ont été ensuite largement utilisées aussi par les services de météorologie. Mais en 1947, elles restaient encore surtout utilisées par les militaires parce qu'ils étaient à peu près les seuls à disposer de radars. Du fait qu'elles étaient très similaires à des cerfs-volants, l'armée avait fait appel à des fabricants de jouets pour les fournir ! Les enquêteurs en ont retrouvé deux qui fabriquaient de telles cibles à l'époque du crash de Roswell : Alox et Merri Lei. Notons que ces deux constructeurs ne fabriquaient pas les premières versions des cibles radar, très légères et non moins fragiles comme nous venons de le voir...

Le premier fabriquait le modèle « C », utilisé peu après le programme Mogul : le bois n'était pas du balsa mais sans doute du pin, et à lire les explications les réflecteurs étaient faits de « tissu et feuilles de métal ». De telles cibles pesaient sûrement plus de 300 g. On en voit une ici, avec des baguettes secondaires larges et plates :

Cible Alox

Il y avait aussi sur ce modèle des ailerons que l'on voit bien sur la partie supérieure, dont la fonction était de mettre la cible en rotation lors de son ascension. Ces ailerons étaient absents des modèles précédents (modèle B) qui ont été utilisés avec le programme Mogul.

Et le second, Victor Hoeflich, fondateur de la société Merri Lei, interviewé le 18 juillet 47, précise que ses cibles étaient faites de balsa, de papier d'imprimerie et de papier alu ordinaire, et pesaient 12 onces, soit 340 grammes, ce qui semble cohérent (nous avons toujours 50 g de balsa ou guère plus, les panneaux de papier alu + papier normal pouvaient peser de l'ordre de 160 g/m2, ce qui correspond à peu près à du papier alu standard doublé de papier bureautique et de colle ; c'est mieux que du papier à cigarette, mais encore pas très résistant tout de même !)

Des cibles pas ordinaires pour le programme Mogul

C'est Charles Moore, ingénieur d'étude du programme Mogul à l'université de New-York, qui est à l'origine de l'utilisation des cibles Rawin dans ce projet. Elles étaient alors très utilisées par l'armée pour le suivi des ballons météo, mais Moore avait été amené à les associer par trois, voire plus, afin d'améliorer leur efficacité. On voit ici les cibles attachées à un train de ballons en cours de préparation.

Cibles en préparation

La dernière cible, en bas à droite, n'est pas complètement dépliée... On distingue bien les baguettes formant les arêtes, qui doivent avoir de l'ordre de 5 mm de largeur. Notons que ce vol a été fait plus d'un an après celui qui serait impliqué dans le crash, il est donc possible que les cibles aient été modifiées entre-temps.

C'est Moore qui a compris lorsque des enquêteurs l'ont interrogé au sujet du crash de Roswell que « ses » cibles radar étaient à l'origine de l'affaire... Cela parce qu'elles avaient la particularité d'avoir été renforcées par le fameux scotch décoré qui évoque tant ce qu'ont décrit les témoins des débris... Il se souvient parfaitement de ce détail, simplement parce que ça l'avait toujours intrigué... Il l'explique dans son interview pour l'armée :

Je me rappelle que chaque fois que je préparais une de ces cibles pour le vol, je me demandais toujours pourquoi ces figures étaient sur le ruban... Il y avait toujours cette question du pourquoi de leur présence là. Quand les marquages pourpre-rose sur les débris ont fait surface, je me suis immédiatement rappelé ces sortes de marques.

Et il n'était pas le seul à s'en souvenir... Le colonel Trakowski, chargé de projet du programme Mogul, écrit de son côté :

Je me rappelle si clairement quand le fournisseur de ces cibles a été choisi, et Jack [le Major Jack Peterson, qui était chargé de se procurer les cibles radar] pensait que c'était la meilleure blague du monde qu'ils aient affaire à un fabricant de jouets pour faire ces cibles radar. Mais c'était encore une meilleure blague quand il apparut qu'en raison des rationnements de matériaux durant la guerre, l'adhésif qu'ils utilisaient pour assembler ces cibles, le matériau réflectif sur les tiges de balsa, était une sorte de ruban rose pourpre avec des motifs de coeur et fleurs dessus...

Et Peterson lui-même l'évoquait dans une lettre qu'il avait adressée à Moore.

Moore pense que son équipe a été la seule à utiliser des cibles ayant cette particularité, et on n'en a effectivement pas trouvé trace ailleurs. À la suite de sa découverte, Moore a coécrit un livre sur l'affaire Roswell, défendant bien sûr l'hypothèse Mogul : Ufo Crash at Roswell, The Genesis of a Modern Myth. Voici ce qu'il y écrit au sujet des cibles :

À partir de notre récente reconstitution des événements, il apparaît que, pour l'expédition de 1947 à Alamogordo, Peoples avait repéré un stock de quelques cibles radar ML-307 qui étaient un surplus provenant des efforts de développement du Evans Signal Laboratory en 1944 et 1945. Pour autant que j'aie pu le déterminer lors des discussions récentes avec Fletcher et l'un de ses chargés de projet, Edwin J. Istvan, ces cibles étaient des prototypes de préproduction, fabriqués par un fournisseur du quartier de la confection de Manhattan. Istvan a dit que les vents provoquaient la dislocation en vol des premiers modèles commerciaux de cibles portées par des ballons, de 1944, si bien qu'il a fallu les modifier. Ces changements, pour le modèle B des cibles, comportaient un renforcement avec du ruban adhésif du collage des feuilles de papier couvert d'aluminium sur des baguettes de balsa. Le fabricant avait apparemment utilisé du ruban qu'il avait en stock ; ce ruban, qui ne fut plus utilisé pour les fabrications suivantes, portait au dos un motif distinctif de fleurs stylisées abstraitement, de couleur rose pourpre.

Notons que Moore précise bien qu'il s'agit là juste d'une tentative de reconstitution des événements, et il précise par ailleurs dans son témoignage pour l'armée :

Vous devez considérer que tout ce que je vous dis est avec la mémoire d'il y a presque cinquante ans. Je dirai les choses au mieux de mes souvenirs, mais d'un autre côté, si une autre évidence indique que ma mémoire est défectueuse, je l'accepterai sans mal.

Une autre source de renseignements sur la genèse de ces cibles est le colonel Trakowski, qui a été chargé de projet du programme Mogul. Il nous explique qu'Istvan, à qui on doit le choix des fournisseurs, travaillait dans le bureau du Colonel Duffy, lequel était chargé de récupérer pour l'Air force les technologies utilisées pendant la guerre par le Signal Corps de l'armée, parmi lesquelles il y avait ces fameuses cibles. Normalement, le Signal Corps aurait dû trouver lui-même un fabricant pour les cibles. Mais ce service manquait quelque peu d'efficacité, si bien que le personnel du Colonel Duffy outrepassait souvent ses fonctions... C'est ce qu'avait fait Ed Istvan en cherchant lui-même un fournisseur capable de fabriquer ces cibles radar, en l'occurrence un fabricant de jouets, et cette initiative avait causé beaucoup de remous au sein de la hiérarchie d'après Trakowski.

Moore dit pour sa part dans son interview que d'après le lieutenant radar Tibbetts, les cibles de modèle B, d'une forme très différente des précédentes, ont commencé à être fabriquées à la fin 1945. C'est aussi Tibbets qui lui aurait dit qu'il y avait beaucoup de problèmes de casse en 1944 (sur les modèles A donc), et qu'ils avaient dû les renforcer.

Tout ceci permet de dater l'origine des cibles radar particulières de Mogul. Le colonel Duffy, pour qui Istvan travaillait, a occupé sa fonction jusqu'en août 1946, après quoi il a été chargé de projet du programme Mogul jusqu'en janvier 1947, remplacé par Trakowski. Les cibles radar de modèle B ayant commencé à être produites en novembre 1945, ça serait entre cette date et août 46 que les cibles particulières équipées du scotch décoré ont été produites.

Lorsqu'il est interviewé pour le rapport de l'armée, Moore précise :

Et les cibles pesaient nominativement peut-être un quart de livre (110 g)

Q: Ces cibles pesaient seulement quatre ou cinq onces (110 à 140 g) ?

R: C'était dans le cahier des charges. Poids approximatif, 100 grammes. Celle-ci
[une cible radar plus récente, datant de 1953, sans doute celle fabriquée par Alox], comme je l'ai dit, était quelque chose de plus lourd que celles que nous avions.

Et plus loin, en comparant toujours avec la cible de 1953 qu'il a retrouvée, il précise que le matériau réflectif de celles qu'il utilisait était plus fin, plus proche de simple papier d'aluminium. Et au sujet des baguettes, toujours en comparant avec cette cible plus récente : là où on dirait des baguettes de pin, la matière sur celles que nous avions c'était du balsa et quelque chose de plus petit en diamètre.

Bref, à en croire Moore, ces cibles issues d'une préproduction étaient juste renforcées avec du papier adhésif, mais en dehors de cela elles avaient la légéreté des cibles de première génération, et étaient de ce fait beaucoup plus fragiles que celles qui ont suivi.

Et là, il y a quelque chose qui cloche !

On peut comprendre que des cibles radar très fragiles puissent être utilisées avec des ballons météo, afin de minimiser la masse : un ballon météo simple n'est pas très grand, il suit les mouvements de l'air et même s'il y a du vent la cible radar est emportée avec le ballon... Et pourtant, nous avons vu que même pour cet usage les cibles avaient paru excessivement fragiles, et on a de ce fait utilisé des matériaux beaucoup plus résistants pour les suivantes : papier fort ou tissu pour les réflecteurs, pin plutôt que balsa pour la structure.

Mais les trains de ballons Mogul avaient pour certaines configurations une hauteur de 200 m... Il peut alors y avoir de grosses différences dans les mouvements de l'air entre les différents niveaux du train, soumettant les cibles radar à des vents importants...

La force exercée par le vent est à peu près égale à SV2/10, avec S en m2, V en m/s et la force en kilogrammes-force... Pour un vent de 36 km/h (10 m/s), chaque décimètre carré exercera donc une force de 100 g... Vu les dimensions des cibles radar, la force exercée sur un élément réflecteur (0,22 m2) dépassait deux kilogrammes-force pour un tel vent assez modéré (avec des rafales à 72 km/h, il faut multiplier par quatre)... Il n'est pas difficile de comprendre qu'avec une sorte de papier à cigarettes et des baguettes de balsa, ces cibles auraient été mises en pièces !

Notons que le vent dépasse couramment 150 km/h dans la haute atmosphère... Certes, il y a moins de variations qu'au niveau du sol et la densité de l'air est moindre, mais il serait étonnant qu'en plusieurs heures de vol, passant du jour à la nuit, les cibles n'aient pas subi systématiquement des tensions capables de les disloquer...

Il me paraît donc évident que les cibles radar décrites par Moore auraient été totalement inutilisables dans le cadre du programme Mogul. Et il est clair aussi que ça ne sert à rien de renforcer le collage si les éléments eux-mêmes continuent à avoir la résistance du papier à cigarettes et si l'armature est faite du bois le plus fragile que l'on puisse trouver ! J'ai essayé de coller du papier d'imprimante sur une baguette de balsa de 8 mm de section avec de la colle à bois, et de tirer dessus... Le résultat est sans appel : la colle tient bon, mais le balsa craque !

Notons qu'il faut une force de l'ordre de l'ordre du kilogramme, appliquée à l'extrémité d'une baguette de balsa de 8×8 mm et 30 cm de longueur (la moitié de la longueur des « bras » des cibles radar) pour la briser ! Je l'ai vérifié, et l'ingénieur Robert Galganski l'a testé également (lire son article en anglais), en vérifiant aussi que cela ne change pas beaucoup si elle est enduite de colle.

Alors, soit ces cibles de préproduction particulières avaient déjà bon nombre de caractéristiques des modèles qui seraient produits en série quelques années plus tard, soit elles ont été modifiées pour le programme Mogul en raison de leur fragilité excessive.

Dans cette deuxième hypothèse, on peut imaginer que l'équipe responsable des ballons Mogul aurait été la première à se heurter, lors des premiers vols en avril 1947, à la fragilité excessive des premières générations de cibles, en raison de la dimension extrême de ses trains ou grappes de ballons. Dans l'urgence, elle aurait contacté le même constructeur de jouets qui avait fait ces cibles de présérie un an auparavant, pour lui demander d'en fabriquer une série utilisant des matériaux plus résistants, aussi bien pour les panneaux réflecteurs que pour la structure... Et ce constructeur aurait continué à utiliser le ruban adhésif décoré qu'il avait toujours en stock !

Moore aurait seulement gardé le souvenir de la première série de cibles utilisées, mais on trouve la mention d'un changement de matériaux dans l'interview du directeur du projet, Athelsthan Spilhaus :

Les réflecteurs radar étaient faits d'un matériau réflectif et ils ont changé au cours du temps mais je ne me rappelle pas les détails des changements. [...] Les réflecteurs servaient au suivi et étaient faits de papier ou tissu métallisé.

Notons que ni Moore ni Spilhaus n'avaient été chargés de mettre au point les cibles radar et de les améliorer du fait de leur trop grande fragilité. Ils les recevaient et les utilisaient, s'il y avait un problème ils trouvaient quelqu'un pour le résoudre, ensuite ils n'avaient pas besoin de savoir ce qui avait été fait et comment !

Le choix d'un fabricant de jouets pour fournir les matériaux était sûrement dicté par le fait que ces cibles ressemblaient à un cerf-volant plus qu'à tout autre chose... Ce fabricant devait donc avoir une certaine compétence en matière de cerf-volant... Et toute personne connaissant un peu la fabrication des cerfs-volants vous dira que le balsa pour l'armature et le papier pour la voilure sont les PIRES des matériaux que l'on puisse utiliser dès lors que l'on cherche autre chose qu'un jouet jetable à utiliser uniquement sous une légère brise !

Nouvelle matière à réflexion

En ce qui concerne les panneaux réflecteurs, ce qui vient à l'esprit c'est du tissu plutôt que du papier... Ça n'est pas sans raison que les voiles des voiliers ou des cerfs-volants sont en toile plutôt qu'en papier... La résistance du papier diminue en outre considérablement à l'humidité, très importante la nuit ou dans les nuages.

Les toiles de cerfs-volants les plus courantes sont faites de tissu de nylon pesant de l'ordre de 40 g/m2, soit la moitié du papier bureautique courant, et sont beaucoup plus résistantes. Elles sont enduites de polyuréthane pour être imperméables à l'air, ce qui n'est pas nécessaire dans le cas qui nous occupe.

Aluminiser du tissu ne présente pas plus de difficulté que du papier (ou du verre, comme pour les miroirs)... Ça peut se faire par dépôt de métal vaporisé ou par réaction chimique, des techniques maîtrisées depuis longtemps... La couche de métal est alors très fine, quelques microns, le tissu n'en est guère alourdi et cela ne nuit pas à sa capacité réfléchissante.

De nos jours, on trouve sur tous les marchés du tissu métallisé. Et il s'agit bien de tissu recouvert de métal : le fait de réfléchir la lumière est intimement lié à la présence d'électrons libres, caractéristique des métaux. Et donc ces tissus métallisés réfléchissent les ondes radar aussi bien que le papier d'aluminium. On les utilise d'ailleurs souvent comme « protections anti-ondes » depuis que les maniaques du « principe de précaution » dénoncent les « dangers possibles » des rayonnements électromagnétiques !

Cela peut d'ailleurs créer des situations amusantes : un jour que j'attendais dans une banque, une jeune femme était bloquée dans le sas parce qu'elle déclenchait le détecteur de métaux... On lui avait demandé de déposer son sac à main, ses clés, son téléphone, et rien n'y faisait ! Elle portait des pantalons de toile argentée... Malheureusement (je pense bien sûr au point de vue expérimental), le vigile l'a finalement laissée entrer sans lui demander d'enlever ses pantalons, mais je suis sûr qu'ils étaient en cause... Les détecteurs utilisés sont sensibles à la surface du métal plutôt qu'à sa masse : j'en ai fait l'expérience en étant bloqué dans le même sas parce que j'avais avec moi une plaque de circuit imprimé vierge, de la bakélite recouverte d'une très fine couche de cuivre.

Le nylon est aujourd'hui le matériau le plus utilisé pour les toiles de cerfs-volants, en 1947 c'était peut-être moins évident. Inventé en 1935, le nylon a d'abord été commercialisé en 1938 sous forme de poils de brosses à dents, puis de fil de pêche et de suture... Mais c'est en 1940 qu'il a été popularisé dans l'industrie textile avec les fameux « bas nylon ». La production a été arrêtée pendant la guerre, où le nylon a surtout servi à faire des toiles de parachute, mais elle a repris immédiatement après et le bas nylon a connu un grand succès : des bas « soyeux, brillants, légers, infroissables », disaient les publicités de DuPont... Une couche de métal en plus, et vous avez presque la description testimoniale des débris de Roswell !

En bref, le matériau idéal pour constituer les réflecteurs des cibles radar était du tissu de nylon similaire à celui utilisé pour faire les bas, très léger, recouvert d'une fine couche d'aluminium... Le genre de matériau qui devait pouvoir être obtenu facilement en 1947, mais qui était encore quelque chose de très nouveau et dont l'aspect pouvait surprendre.

Le personnel de l'université participant au projet Mogul ne pouvait en tout cas pas ignorer l'existence d'un tel matériau, puisqu'il en a utilisé ! En effet, certains des ballons qui ont été testés pour ce projet, fabriqués par les laboratoires Seyfang, étaient recouverts d'une telle toile :

Ballon avec toile réfléchissante

Dans le rapport de l'armée, la légende accompagnant cette photo indique que ces ballons étaient facilement confondus avec des soucoupes volantes en raison de leur forme et de leur couverture extérieure métallique.

Il est précisé ailleurs que ces ballons étaient constitués d'une toile de nylon métallisée et enduite de néoprène. Une autre légende de photo indique : les ballons de nylon enduit de néoprène fabriqués par les laboratoires Seyfang ont été utilisés avec un système de valve pour éviter le déchirement. Le tissu a été enduit de peinture métallique pour minimiser les effets des rayonnements. Notons que pour que la toile soit bien réfléchissante, il devait réellement s'agir d'une métallisation plutôt que d'une simple peinture ayant l'aspect de métal. Le rapport indique aussi, à propos du vol Mogul 79 qui a utilisé ce ballon, une forte élévation de température « en dépit du revêtement d'aluminium du ballon ».

On comprend aussi que ces ballons étaient conçus pour résister à une certaine pression et ainsi ne pas varier en volume en fonction de la température... La toile devait être pour cela très solide...

L'équipe de Mogul utilisait donc de la toile de nylon aluminisée et caoutchoutée, parfaite pour réaliser des cibles radar ! Les vols de ces ballons se situent entre décembre 1947 et septembre 1948... Avec 22,5 pieds de diamètre (7 mètres), un seul ballon pouvait fournir suffisamment de toile pour construire une soixantaine de cibles radar. On ne sait pas quand ils ont été reçus, on sait par contre que l'armée en a reçu dix et que seulement quatre ont volé... Et on sait aussi qu'il y a eu une discussion sur la fabrication de grands ballons avec le représentant des laboratoires Seyfang le 26 mars 47, plus de deux mois avant le vol du ballon Mogul n°4 qui pourrait être responsable des débris trouvés à Roswell.

Une autre commande de ballons Seyfang mentionnée date de fin mars 47, mais il s'agissait alors de ballons plus petits et faits de tissu de soie enduit de néoprène (il n'est pas dit qu'il était métallisé). Il ne s'agit donc sans doute pas du même type de ballons, mais la toile devait être à peu près aussi résistante, et il est indiqué que ce tissu pesait « 3 onces », ce qui signifie probablement 3 onces par yard carré, soit 106 grammes par mètre carré... C'est nettement plus que le papier à cigarettes métallisé qui aurait dû être utilisé pour réduire le poids des cibles aux 100 grammes édictés par le cahier des charges, mais nettement moins, tout en étant beaucoup plus résistant, que du vulgaire papier d'aluminium collé sur du papier fort, comme certains l'envisagent. Cela donnerait un poids de « voilure » d'environ 180 grammes par cible radar, qui reste raisonnable compte tenu que la masse totale des trains de ballons Mogul avec leur charge d'instruments dépassait 30 kilogrammes.

Notons que Gildas Bourdais, notre spécialiste national de Roswell, écrit dans ses livres : D'autre part, il existait aussi des ballons en néoprène recouverts d'une couche métallisée pour servir de réflecteur radar... Un ballon métallisé serait très peu efficace pour la détection radar : les cibles sont efficaces parce qu'elles renvoient les ondes vers le radar émetteur, alors qu'un ballon réfléchissant ne ferait que les disperser dans toutes les directions... Nous avons vu que la véritable utilité de cette couche métallisée était d'empêcher l'échauffement... Mais on peut se demander si Bourdais a tiré ce détail de son imagination (il me semble personnellement qu'il n'en a pas beaucoup !), ou si quelqu'un parmi ses nombreux contacts (Bourdais fait partie de ceux qui ont le plus enquêté sur cette affaire) ne lui aurait pas dit que le revêtement métallisé de certains ballons aurait servi de réflecteur radar, ce qui serait la stricte vérité dans mon hypothèse !

Il me semble en fait très incertain que de la toile de ballons ait été utilisée pour fabriquer des cibles radar, mais on voit en tout cas qu'il n'était pas difficile à l'époque de se procurer de la toile de nylon métallisée, permettant de fabriquer des cibles radar qui n'auraient pas été déchiquetées au moindre coup de vent comme les premières du genre !

Moore ne parle jamais de tissu, mais on peut se demander s'il n'y fait pas une allusion involontaire lorsqu'il explique qu'il garde un souvenir particulier du scotch de renforcement appliqué aux coutures des réflecteurs et qui portait des symboles tels que arcs, fleurs, cercles et diamants. Des coutures sur du papier ? Mais surtout, lorsqu'on lui demande si les cibles étaient fabriquées par un fabricant de jouets, il répond :

Eh bien, c'était soit un constructeur de jouets soit un fabricant de prêt-à-porter dans le quartier de confection de Manhattan, ou c'était par un fournisseur de nouveautés.

J'ai un peu de mal à comprendre pourquoi on serait allé contacter un fabricant de prêt-à-porter dans un quartier de confection pour fabriquer des sortes de cerfs-volants en papier et balsa ! C'était par contre sûrement le bon endroit pour trouver, faire découper et coudre du tissu ! Et si le tissu aluminisé n'était encore pas assez courant pour être trouvé chez un confecteur de vêtements, c'était peut-ête la raison du fournisseur de nouveautés, une de ces sociétés à l'affût de tous les trucs nouveaux susceptibles de devenir des gadgets à la mode !

Rappelons aussi que le directeur du projet, Athelsthan Spilhaus, indiquait que le matériau réflectif des cibles radar avait changé au cours du temps, et qu'il était fait de papier ou de tissu métallisé.

Si l'on se tourne maintenant vers ceux qui ont eu en mains les débris du crash, il est tout à fait remarquable qu'aucun d'entre eux ne mentionne du papier au sujet des feuilles d'aspect métallique, mais par contre un certain nombre évoquent du tissu : Jesse Marcel lui-même décrit ces feuilles comme « ressemblant à du tissu, mais c'était aussi métallique. C'était un tissu métallique », Sally Tadolini décrit « un morceau de ce que je pense toujours être un genre de tissu » qu'elle compare aussi à du satin, et le journaliste Jason Kellahin parle de « morceaux d'un tissu de couleur argentée, peut-être du tissu aluminisé ».

Et la plupart des témoins (Jesse Marcel, Mac Brazel d'après Loretta Proctor, Sally Tadolini, Bill Brazel, Jack Trowbridge) étaient surpris par le fait que ce matériau se dépliait spontanément après avoir été plié. Une caractéristique évoquant bien plus le tissu que le papier ! D'autres (Bessie Shreiber, Walt Whitmore, Jesse Marcel Jr), ne mentionnent pas une telle propriété, mais évoquent la résistance extrême de ce matériau, qui s'accorde encore beaucoup mieux avec du tissu qu'avec du papier.

Notons au sujet du matériau qui se dépliait spontanément que des ufologues fantaisistes y voient une référence aux matériaux « à mémoire de forme », mais c'est de l'ignorance : ce terme s'applique à un matériau qui peut être déformé et conserve la forme qu'on lui donne, mais reprend sa forme initiale lorsqu'il est porté à une certaine température... Le fait pour un matériau de reprendre spontanément sa forme après avoir été déformé, ça s'appelle tout simplement l'élasticité ! Les témoins sont simplement surpris que ces feuilles qui ont l'aspect de métal soient justement élastiques, contrairement aux feuilles de métal, mais ils n'en font pas pour autant un matériau aux propriétés extraordinaires : on a vu que Sally Tadolini compare cela à un gant de cuir, et Jesse Marcel parle de métal qui aurait les propriétés du plastique. De la matière en feuille qui reprend sa forme quand on la froisse, on en connaît depuis longtemps, on l'appelle le caoutchouc : essayez donc de froisser un ballon de baudruche dégonflé, vous verrez qu'il reprendra aussitôt sa forme ! Bien sûr, une feuille de caoutchouc est aussi élastique dans tous les sens, ce dont il n'est pas question au sujet des débris de Roswell, mais pour conserver son « infroissabilité » tout en l'empêchant de s'étirer il suffit de la doubler d'un tissu fin... Une feuille de tissu enduit de caoutchouc a toutes les qualités réputées extraordinaires des débris de Roswell !

Il n'y a pas de raison que le tissu métallisé utilisé pour des cibles radar ait été couvert de caoutchouc, sauf peut-être si une enveloppe de ballon avait été utilisée... Il y a un doute concernant les ballons Seyfang dont on vient de parler : il est dit qu'ils étaient faits de toile enduite de néoprène, mais les photos semblent plutôt montrer que la toile enveloppait simplement un ballon de caoutchouc interne, auquel cas elle n'avait pas besoin d'être elle-même étanche. Mais le rapport de l'universtié de New-York décrit bien, à plusieurs reprises, ces ballons comme étant « en nylon enduit de néoprène » (neoprene coated nylon) alors que d'autres ballons en néoprène enveloppés dans une toile de nylon (non métallisée) sont bien décrits ainsi (encased in a nylon shroud, shrouded neoprene balloon...)

Concernant les témoignages, seule Bessie Schreiber, la fille de Mac Brazel, a parlé dans son témoignage le plus tardif d'un aspect de caoutchouc d'un côté... Mais Jesse Marcel indique pour sa part que la matière à l'aspect de feuille métallique était poreuse, et ne pouvait donc pas provenir d'un ballon... Étant donné que c'est un des détails qui lui ont fait écarter l'idée d'un ballon, on peut penser que ce souvenir est fiable... Notons que du tissu métallisé reste poreux tant que la couche de métal est fine, par contre pour du papier c'est beaucoup moins évident, et c'est encore une raison de douter que les cibles radar responsables de l'affaire aient été faites de papier !

Dans tous les cas, du tissu, qu'il soit ou non enduit de caoutchouc, est bien plus « infroissable » que du papier, et nous avons vu que le tissu de nylon dont on faisait les bas était lui-même vanté pour son « infroissabilité » par son fabricant DuPont... Ce qui était sûrement quelque peu exagéré, mais les témoins peuvent aussi avoir exagéré dans leurs souvenirs remontant à trente ans ou plus.

Et un tissu un peu nouveau recouvert d'une couche de métal avait de quoi étonner les témoins, bien plus que du papier métallisé similaire à celui que l'on trouvait dans les paquets de cigarettes !

À la recherche d'un bois étrange et incassable

L'autre élément principal des cibles Rawin, c'est l'armature, faite de baguettes de balsa aussi sûrement que les réflecteurs étaient faits de papier ! Mais les souvenirs de Charles Moore sont encore la source presque unique de cette supposition.

Le balsa est connu pour être le bois le plus léger qui existe, avec une densité de seulement 0,15 (à peu près le sixième de celle de l'eau)... Il convient donc parfaitement pour faire des cibles radar très légères, ce qui était la contrainte principale pour les cibles Rawin classiques, mais dès que la résistance prend de l'importance il devient à peu près la pire des solutions. Ce qui importe, c'est le rapport résistance/densité, désastreux dans le cas du balsa !

On sait que les cibles Rawin étaient assemblées par un fabricant de jouets parce qu'elles étaient très semblables à des cerfs-volants... Et tous les amateurs de cerfs-volants savent bien que le balsa est le pire des bois que l'on puisse utiliser pour la fabrication de ces objets, étant donné sa fragilité ! Et le meilleur, c'est le bambou : sa densité est nettement plus élevée que celle du balsa, elle varie entre 0,5 et 0,8 selon les variétés, ce qui reste tout de même très léger, mais sa résistance est exceptionnelle... On connaît les échafaudages de bambou utilisés en Asie pour la construction même des plus hautes tours.

Pour peu que le fabricant de jouets ait pu disposer de baguettes de bambou, il était judicieux de les proposer en remplacement du balsa lorsqu'on lui a demandé de concevoir des cibles plus solides que celles qu'il fournissait alors. Il est vrai que l'on trouve beaucoup plus facilement des baguettes de balsa que des baguettes de bambou, mais il faudrait savoir ce qu'il en était en 1947... Ce qui est sûr c'est qu'on trouve de tout en bambou, comme des parquets et beaucoup de jouets en provenance de chine... Des baguettes en bambou refendu (c'est-à-dire du bambou non entier), on en fabrique beaucoup de petite taille pour les baguettes alimentaires, et on en trouve aussi dans toutes les jardineries sous forme de tuteurs, dont la longueur peut atteindre 90 cm. Les amateurs de cerfs-volants les utilisent souvent, quand ils ne taillent pas eux-mêmes des bambous entiers... Et c'est aussi ce que font les amateurs de cannes à pêche de tradition, qui sont encore très nombreux (eux taillent des baguettes de section triangulaire, qu'ils assemblent par six). Bref, il n'est pas douteux que des baguettes de bambou ayant les dimensions décrites pour les cibles radar peuvent se trouver, pas très facilement de nos jours mais je ne sais pas ce qu'il en était en 1947 aux États-Unis.

Nous avons vu pourtant que les cibles de la génération suivante étaient faites avec du bois de pin, au moins aussi dense que le bambou et beaucoup moins résistant. Si on l'a préféré au bambou, c'est sûrement pour des questions de disponibilité. Mais il s'agissait alors de faire fabriquer les cibles en grande série, sûrement plusieurs milliers, et peut-être par différents fabricants. Pour une petite série, il ne devait pas être très difficile de se procurer des baguettes en bambou, et pour une application où la résistance était primordiale le choix s'imposait.

J'ai fait des tests, avec un matériel sommaire, pour comparer la résistance du bambou à celle du balsa :

Poids accroché à une baguette

La baguette, en balsa ou en bambou, a une section de 4x4 mm, et les dossiers de chaise sont distants de 20 cm... La baguette de balsa s'est cassée avec un poids de 1,1 kg, et la baguette de bambou a trop plié, sans se casser, avec un poids de 10 kg.

Le bambou est donc dix fois plus résistant que le balsa... Même s'il est trois à cinq fois plus lourd, on est largement gagnant ! En utilisant des baguettes plus fines que celles de balsa, on pouvait avoir des cibles à la fois plus légères et plus solides, et en utilisant plutôt des baguettes de même section, on obtenait des cibles plus lourdes mais BEAUCOUP plus solides. Le bambou que j'ai utilisé (une baguette alimentaire, ce qu'il y a de plus facile à trouver) a une densité proche de 0,8, ce qui en fait un maximum pour ce type de bois...

D'autre part, si on l'examine de près, le bambou présente un aspect assez étrange... Un peu comme un matériau composite (ce qu'il est en réalité... On utilise même ses fibres pour les intégrer à des matériaux composites de synthèse !), avec ses grosses fibres bien visibles en coupe et son aspect plastifié :

Baguette de bambou

(Vous remarquerez que j'ai trouvé des baguettes portant d'étranges motifs pourpre, je soigne les détails !)

Les témoins ayant décrit les débris en forme de baguettes étaient pour la plupart étonnés par leur légèreté et leur grande résistance (une baguette en bambou de près d'un centimètre carré de section est très difficile à briser), mais aussi par leur aspect, couleur de bois mais qui ne ressemble pas à du bois... Ce sont là des détails qui paraissent incompréhensibles dans le cas du balsa (même enduit d'une sorte de colle ou de vernis), et qui s'expliquent beaucoup mieux avec du bambou.

Bill Brazel parle de pièces évoquant le bois de balsa pour le poids, mais un peu plus sombre et beaucoup plus solide ; Loretta Proctor d'une sorte de plastique de couleur bronze, brun clair, très léger, comme du bois de balsa mais qui n'était pas du bois, lisse comme du plastique et qui ne brûlait pas ; Walt Whitmore de poutrelles qui semblaient être de bois ou d'une substance ressemblant à du bois ; Jesse Marcel de poutrelles ressemblant à du bois de balsa, et d'une légèreté comparable, mais qui n'étaient pas du tout du bois, très dures et flexibles, et qui ne brûlaient pas ; son fils de poutrelles métalliques en I dont certaines portaient des sortes de hyéroglyphes de couleur violette ou pourpre (et quand on a voulu le convaincre que c'étaient des baguettes de balsa avec du scotch décoré qu'il avait vu, il a dit que sa mémoire pouvait le tromper mais que si ç'avait été du balsa il l'aurait reconnu parce qu'il en utilisait couramment pour faire des maquettes) ; Cavitt de débris semblables à des bâtons de bambou de section carrée, très légers ; Jason Kellahin de bois très léger, comme celui dont on fait les cerfs-volants ; et Irving Newton de matériau paraissant être comme des baguettes de cerfs-volants en bois de balsa mais beaucoup plus dur.

Si on fait une synthèse, ça ressemblait à du bois sans en être, léger comme du balsa mais très résistant... Pratiquement tous les témoignages s'accordent sur cette résistance, qui évoque bien plus le bambou que le balsa...

Moore avait de son côté supposé que les baguettes étaient enduites d'une colle ou d'un vernis destiné à rendre le bois imperméable et peut-être plus solide... Cette explication pourrait à la rigueur rendre compte de l'aspect étrange décrit par les témoins, mais des tests ont montré qu'un tel revêtement ne faisait que doubler la résistance du balsa, ce qui reste très fragile, et le rendait par contre beaucoup plus lourd. D'ailleurs, Moore précise aussi que seules certaines parties des baguettes étaient enduites d'une sorte de colle à bois, ce qui donne à penser que cette colle avait pour fonction de coller, justement, les panneaux, plutôt que de renforcer et protéger les baguettes.

Jesse Marcel dit quant à lui qu'il a tenté de brûler une des baguettes, en vain... Or, le bambou brûle aussi bien que le balsa. « L'incombustibilité » des baguettes fait partie des rares détails que mon hypothèse n'explique pas, mais elle est beaucoup moins bien attestée que leur résistance. Notons que dans ses deux témoignages espacés de plusieurs années, Marcel évoquait cette anecdote à propos de deux types de débris différents ! On peut remarquer que le néoprène est un caoutchouc qui résiste bien à la chaleur, jusqu'à environ 150°... Il se pourrait donc que cette mention de débris qui ne brûlait pas se réfère plutôt à un débris d'enveloppe de ballon, d'autant qu'une relative incombustibilité pouvait paraître surprenante pour un matériau ressemblant à du plastique.

Enfin, lorsque j'ai suggéré pour la première fois cette utilisation de bambou (Univers Ovni n°2, octobre 1997), je ne savais pas qu'un des témoins avait dit que les baguettes trouvées sur le crash étaient en bambou ! Il s'agit d'ailleurs du seul témoin qui identifie la matière de ces baguettes ! Les autres parlent d'une sorte de matière plastique ayant la couleur du bois, d'une matière ressemblant à du bois mais qui n'en était pas, etc... Pour Cavitt, ça ressemblait à du bambou et à rien d'autre.

Cavitt était le chef du contre-espionnage, il accompagnait Marcel pour récupérer les débris... Et il dit qu'il a reconnu tout de suite les restes d'un ballon météo et de sa cible... Son témoignage est contesté parce qu'il contient quelques contradictions, habituelles pour des faits remontant à plus de quarante ans, mais sur ce détail particulier je ne vois vraiment pas pourquoi il aurait menti... Il a eu les débris en mains, cela personne ne le nie, il a toujours affirmé qu'il s'agissait de débris de cibles radar, si les cibles radar avaient été faites en balsa comme tout le monde le dit pourquoi donc aurait-il inventé cette mention du bambou ? Je suis tenté de penser que Cavitt était le seul à avoir eu l'occasion, pour une raison ou une autre, d'examiner le bois de bambou de près, et avait reconnu son aspect caractéristique et étrange.

J'ai déjà défendu la remise en cause des matériaux constitutifs des cibles radar en 2005 dans la liste de discussion Ovni-sciences, maintenant disparue... Il en est résulté un article sur le site de Patrick Gross : Si les tiges étaient en bois, quel bois était-ce ? Gross ne conclut pas, se contentant de remarquer que tous les témoins parlant de la construction des cibles radar indiquent qu'elles étaient faites de balsa, mais que la plupart s'inspirent directement ou non des souvenirs de Moore... Il ne précise pas non plus que cette idée s'appuie sur le fait que le balsa aurait été trop fragile pour rendre ces cibles utilisables avec des trains de ballons de grande dimension, et ne discute pas de l'idée d'utilisation de tissu métallisé pour les éléments réflecteurs qui dérive du même raisonnement.

Les photos de Fort Worth : quand on se trompe de cible

Parlons maintenant du matériel qui a été présenté à la presse à Fort Worth le 8 juillet, et dont les photos ont été largement diffusées. Six photos ont été prises, on voit ici celle où les débris sont le plus visibles, avec à droite le Général DuBose et à gauche le Général Ramey.

Les débris présentés à Fort Worth

Ce que montrent ces photos, ce sont les débris d'une cible radar tout à fait ordinaire. On y voit du papier métallisé manifestement très fin, d'aspect très fragile, tout froissé et déchiré... Sûrement typique des premières cibles radar fabriquées, dont la masse était de 100 grammes ou guère plus. On voit aussi des débris brunâtres qui sont certainement les restes de ballons en néoprène dégradés par le soleil, des baguettes de bois, et des bandes adhésives, mais pas trace de petits dessins dessus, bien que les photos originales soient d'une excellente définition.

Alors, les sceptiques persuadés que l'essentiel des débris recueillis sur le ranch provenait de cibles radar et de ballons ne doutent pas que ces photos présentent bien ce qui a été trouvé, et les tenants du crash extraterrestre sont persuadés qu'on a substitué aux débris réels ceux d'une cible radar ordinaire...

Et l'idée d'une substitution repose sur des arguments très forts...

C'est d'abord ce que Jesse Marcel a toujours dit, comme dans son interview de 1979 par William Moore :

Tout fut envoyé à Wright-Patterson pour analyse. Juste après que nous soyions arrivés à Carswell, Fort Worth, on nous dit d'apporter ce truc jusqu'au bureau du général — qu'il voulait y jeter un oeil. Nous le fîmes et le déversâmes sur le sol sur un papier marron. Ce que nous avions n'était qu'une petite partie des débris — il y en avait beaucoup plus en tout. Il y avait un B-29 rempli à moitié dehors. Le général Ramey permit à certains membres de la presse à l'intérieur de prendre une photo de ces trucs. Ils prirent une photo de moi sur le sol tenant certains des débris métalliques les moins intéressants. La presse fut autorisée à photographier cela, mais ne fut pas autorisée assez loin dans la salle pour les toucher. Ce qu'il y a sur cette photo-là était des morceaux de ce que nous avions trouvé. Ce n'était pas une photo truquée. Plus tard, ils enlevèrent nos débris et les remplacèrent par certains des leurs. Alors ils permirent plus de photos. Ces photos furent prises alors que la véritable épave était déjà sur sa route vers Wright Field. Je n'étais pas sur celles-là. Je pense qu'elles furent prises avec le général et un de ses aides. J'ai vu beaucoup de ballons météo, mais je n'en ai jamais vu un comme ça auparavant. Et je ne pense pas qu'eux non plus.

Il y a certes quelques incohérences dans son récit, normales au vu du temps écoulé. En particulier, la photo sur laquelle il figure est de la même série et présente les mêmes débris que celles qu'il dit avoir été prises après la substitution. Mais en tout cas sur le fait qu'il y ait eu subtitution il était tout à fait affirmatif.

Et quoi qu'on ait pu en dire il en allait de même du Général DuBose, chef d'État-Major de la base de Fort Worth.

Lorsqu'il a été interrogé en 1979 par William Moore, l'auteur du premier livre sur Roswell, DuBose a déclaré que les débris avaient été acheminés à Wright Field (base devenue ensuite Wright Patterson), et que l'histoire du ballon météo n'était qu'une invention pour écarter les journalistes. Une version qu'il a confirmée en 1990 lorsqu'il a été interrogé par Randle et Schmitt, puis dans une déclaration sous serment :

La matériel montré sur les photographies prises dans le bureau du major-général Ramey était un ballon météo. L'explication du ballon météo pour le matériel était une histoire de couverture pour détourner l'attention de la presse.

Et dans une interview au reporter Billy Cox :

Il y avait une foule de gens qui descendaient à notre QG en demandant de l'information à Ramey, le harcelant pour des informations que nous n'avions pas. Je ne savais pas ce que c'était. Blanchard [commandant de la base de Roswell] ne savait pas. Ramey ne savait pas... Nous ne savions pas que diable cela pouvait être. Personne ne le savait. Mais je peux dire cela : ça n'était sûrement diable pas un ballon météo... Mc Mullen [commandant adjoint du Strategic Air Command, ayant demandé à ce que les débris soient expédiés à Wright Field] dit, voyez, pourquoi n'arriveriez-vous pas avec quelque chose, quoi que ce soit que vous pourriez utiliser pour que nous n'ayons plus la presse sur le dos ? Alors nous sommes arrivés avec cette histoire de ballon météo, qui je pense était une sacrée bonne idée. Quelqu'un est allé en chercher un et on l'a laissé tomber de quelques centaines de pieds pour faire en sorte qu'il ait l'air de s'être écrasé, et c'est ce que nous avons utilisé.

Mais voilà que dans une interview à James Shandera, co-auteur avec William Moore d'un nouveau livre paru en 1991, DuBose aurait déclaré que les débris photographiés dans le bureau de Ramey étaient ceux provenant de Roswell, qu'il n'y avait eu aucune substitution... Mais il dit aussi que ces débris n'étaient pas ceux d'un ballon météo !

Bref on y perd son latin... Cette déclaration est contraire à toutes les autres faites par DuBose. Notons tout de même que cette interview n'est pas enregistrée, et que Shandera et Moore sont connus pour leurs déformations. Peu après, Randle et Schmitt ont à nouveau interrogé DuBose, qui a déclaré sans aucune ambiguïté que les débris présentés dans le bureau de Ramey n'étaient pas les débris ramassés à Roswell, et que lui-même n'a jamais vu ces derniers !

On peut donc supposer que DuBose n'a pas vu les débris que l'on a ramenés de Roswell, que ceux-ci n'ont pas été déballés à Fort Worth, du moins pas en sa présence, et que les débris présentés à la presse sont ceux d'un ballon météo et d'une cible détériorés pour l'occasion.

L'examen des photos ne fait que renforcer nos doutes... On sait que les ballons Mogul, tout comme les simples grappes de ballons lancées par le même groupe, emportaient trois cibles radar (voire plus)... Cela parce que les premiers essais avec une seule cible n'avaient pas donné satisfaction avec le radar mis à la disposition de l'équipe, utilisé pour suivre les tirs d'essai de V-2. Et la matière de trois cibles serait assez représentative des débris récupérés sur le ranch de Brazel d'après les témoignages... Mais ce que l'on voit sur les photos de Fort Worth, c'est ce qui pourrait constituer une cible et une seule, mais presque complète ! Rappelons qu'une cible radar, c'est 9 réflecteurs totalisant 1,7 m2, ici on voit au moins 8 réflecteurs et on ne doit pas être loin de la surface totale ; quant aux baguettes, une cible en contient 11 totalisant un peu moins de 9 mètres, et sur les photos on en dénombre au moins dix totalisant plus de 6 mètres (ce ne sont que les parties visibles, d'autres sont masquées par le papier ou débordent des photos). En fait, tout porte à croire que ces photos montrent l'intégralité d'une cible radar et rien de plus.

Quant au petit tas de débris brunâtres typique des débris dégradés au soleil des ballons en néoprène, il ne représente sans doute pas plus qu'un ballon unique (un poids de 350 g), deux au maximum. On est loin du tas de 20 cm d'épaisseur et 50 cm de longueur mentionné par Mac Brazel pour le type de débris qui pourrait s'y rapporter, lequel aurait pu former l'enveloppe d'un ballon long de 3,5 m « si c'est comme cela que ça fonctionnait ».

Et l'ensemble des débris étalés dans le bureau de Ramey devait peser nettement moins d'un kilogramme, beaucoup moins que l'ensemble des débris d'après toutes les estimations des témoins ayant participé à la récupération ou au transport des débris du crash (plus de deux kilogrammes d'après le premier témoignage de Mac Brazel à la presse, pour une partie incomplète des débris, et encore beaucoup plus, de quoi remplir à moitié un avion B-29, d'après le témoignage tardif de Jesse Marcel). On est loin aussi de la dimension d'un plateau de table estimée par Mac Brazel pour l'ensemble des débris métalliques, qui serait beaucoup plus proche de la surface totalisée par trois cibles radar (5 m2 environ).

Certes, l'explication donnée à la presse à l'époque était que les débris présentés étaient ceux d'un ballon météo porteur d'une cible radar, il ne fallait donc pas en montrer plus pour ne pas risquer de révéler l'existence d'un programme ultrasecret ! Mais on imagine la difficulté qu'il y aurait à sélectionner les débris complètement mélangés de trois cibles radar pour en former une seule... Il était certainement plus simple de prendre une cible radar neuve et de la froisser et déchirer pour lui donner l'aspect du matériel ramené de Roswell ! Et rappelons que c'est précisément ce qu'a déclaré DuBose à un journaliste (même si son histoire de cible qu'on aurait larguée d'un avion est certainement une interprétation personnelle complètement invraisemblable : outre qu'il est bien plus économique et amusant de détériorer une cible radar en jouant au football avec, un objet aussi grand et léger ne souffrirait pas beaucoup d'une chute, quelle que soit sa hauteur !)

Et cela nous amène à une remarque faite par David Rudiak : on voit sur ces photos deux baguettes fines isolées, qui ne sont collées à rien (une tout au fond que l'on voit presque intégralement, l'autre est en grande partie couverte de débris), ce qui était précisément le cas avec les cibles radar neuves : deux des baguettes secondaires devaient être mises en place et collées après dépliage de la cible... Et si elles n'étaient pas collées elles ne tenaient à rien !

On a aussi cherché en vain le moindre signe du « scotch à fleurs » qui a tant fait parler de lui... On voit bien du ruban adhésif, mais pas le moindre symbole visible dessus, alors que les photos originales sont d'une très bonne définition, au point qu'on arrive à lire en partie le texte du message que tient le Général Ramey à la main !

Enfin, le papier métallisé visible sur ces photos est un peu trop froissé à mon goût... Je comprends que du papier fragile ait pu être déchiré en étant traîné par le vent dans les cailloux et les broussailles, mais froissé à ce point ça me paraît suspect... Ça évoque plutôt ce qu'aurait fait quelqu'un sans trop réfléchir à qui on aurait donné une cible radar neuve en lui demandant de faire en sorte qu'elle ait l'air d'avoir été complètement déchirée et abîmée.

Bref, tout permet de penser que ce que montrent les photos, ce sont les débris d'une cible Rawin, mais pas une de celles qui étaient utilisées avec les ballons Mogul...

D'où provenait cette cible ? C'était peut-être une des premières cibles utilisées, en mauvais état justement à cause de sa fragilité excessive... Mais plus probablement une cible neuve de fabrication courante, qu'il devait être facile de se procurer à Fort Worth. Il est vrai que Newton a déclaré que ces cibles n'étaient pas utilisées sur cette base, mais pourtant les militaires de Fort Worth on fait la démonstration d'un lâcher de ballon avec cible radar à la presse le 10 juillet, moins de deux jours après leur conférence de presse sur les débris retrouvés à Roswell !

Quant aux débris de ballons décomposés que l'on voit aussi sur les photos, caractéristiques d'une exposition prolongée au soleil, c'était peut-être moins évident de s'en procurer étant donné qu'il n'y a a priori pas de raison de conserver des restes de ballons détériorés, mais on peut peut-être obtenir un état similaire en mettant par exemple des ballons dans un four !

La raison d'une substitution pouvait être simplement de ne pas devoir évoquer autre chose qu'un ballon météo des plus banal, conformément à l'explication donnée à la presse... Mais surtout, il est vraisemblable que les débris récupérés ne pouvaient pas être montrés à la presse pour la simple raison qu'ils étaient déjà partis pour examen à la base de Wright Field.

C'est ce qu'a clairement expliqué Jesse Marcel dans son interview par Moore :

Ces photos furent prises alors que la véritable épave était déjà sur sa route vers Wright Field.

[...]

C'est le général Ramey qui a émis l'histoire de couverture au sujet du ballon juste pour nous débarasser de la presse. On a dit à la presse que c'était juste un ballon et que le vol pour Wright-Patterson avait été annulé ; mais tout ce qui arriva réellement fut que je fus enlevé du vol et que quelqu'un d'autre le prit jusqu'à W.-P.

Et ça semble confirmé par un télex déclassifié du FBI émis le jour-même, qui ne manque pas d'intérêt :

Information concernant disque volant.

Le Major Curtan, des Quartiers généraux de la 8e Air force, a prévenu notre bureau par téléphone qu'un objet supposé être un disque volant a été récupéré près de Roswell, Nouveau Mexique, ce jour. Le disque est de forme hexagonale et était suspendu à un ballon par un câble, lequel ballon avait environ vingt pieds de diamètre. Le Major Curtan a en outre indiqué que l'objet trouvé ressemble à un ballon météo de haute altitude avec un réflecteur radar, mais qu'une conversation téléphonique entre son bureau et Wright Field n'avait pas confirmé cette idée. Le disque et le ballon sont transportés à Wright Field par avion spécial pour examen des informations fournies par ce bureau en raison de l'intérêt national en jeu, et le fait qu'une agence de presse nationale, Associated press, et d'autres tentent aujourd'hui de révéler l'histoire de la localisation du disque. Le Major Curtan a indiqué qu'on demanderait à Wright Field de tenir le bureau de Cincinnati au courant des résultats de l'examen. Aucune enquête complémentaire n'est menée.


Ce télex précise bien qu'il y avait un doute sur l'identité de l'objet et qu'il était de ce fait transporté à Wright Field pour examen. Le télex a été émis à 18 h 17 alors que la conférence de presse avait lieu vers 18 h 30, il est donc évident que les débris du crash avaient déjà quitté la base au moment de cette conférence.

Notons qu'il est curieux que ce télex mentionne un ballon de vingt pieds de diamètre, alors qu'aucun témoignage ne suggère quelque chose d'aussi grand et que des ballons aussi gros étaient rarement utilisés en météorologie. Par contre des ballons de 15 ou 20 pieds de diamètre ont été utilisés à partir du 5 juillet pour le projet Mogul ! Il semble donc que lors de l'émission de ce télex, on savait déjà que les débris pouvaient bien être en relation avec ce programme.

Le colonel Trakowski, un des responsables du programme Mogul, indique pour sa part avoir reçu un appel de celui qui a été appelé à la base de Wright Field pour identifier ces débris, le Colonel Duffy, lui indiquant qu'un des ballons qu'il avait envoyés avait été pris pour un disque volant... Il se trouve que Duffy était bien la personne la mieux placée à Wright Field pour examiner les restes d'un « disque volant », et qu'il connaissait parfaitement les cibles radar particulières utilisées par l'équipe de Trakowski puisque c'était dans le bureau qu'il dirigeait alors que les fournisseurs de ces cibles avaient été contactés, et que la fameuse histoire du scotch à fleur avait beaucoup fait rire ! En outre, juste avant d'être affecté à la base de Wright Field, il avait occupé le poste de chargé de projet pour le programme Mogul, auquel Trakowski l'avait ensuite remplacé ! Ceci dit, il aurait pu aussi reconnaître les constituants d'un ballon Mogul à la bouée acoustique qui pouvait faire partie des débris, puisqu'il est peu vraisemblable qu'une autre équipe que celle de Mogul ait accroché un tel capteur sous-marin à des ballons stratosphériques !

De son côté, comme il l'a écrit à l'enquêteur Robert Todd, Duffy n'avait pas gardé le souvenir de cette conversation avec Trakowski, mais il se souvenait par contre très bien d'avoir été appelé cet été-là pour examiner des débris de matériel météo qui avaient été pris pour un « disque volant ».

Il fallait qu'il y ait un doute sur l'identité des débris pour qu'ils aient ainsi été envoyés à Wright Field pour une analyse approfondie, et dans ce cas il est douteux qu'on ait attendu de les exposer pour une conférence de presse avant de les envoyer ! Les débris avaient donc vraisemblablement déjà été expédiés à Wright Field lorsque cette conférence de presse s'est tenue, et on conçoit qu'il était difficile pour l'armée de dire qu'un avion avait été spécialement affrété pour transporter en urgence de simples débris d'un ballon météo que les responsables d'une grande base militaire avaient été incapables d'identifier ! Alors, pour présenter quelque chose à la presse, on avait trouvé d'autres débris de cibles radar et ballons endommagés, ou on avait volontairement détérioré une cible neuve.

Et le dernier argument suggérant une substitution, c'est que presque tous les témoins qui ont eu les débris du crash en main ont été étonnés par le fait que les sortes de feuilles de métal étaient difficiles à déchirer et reprenaient lentement leur forme quand on les froissait, alors que ce que l'on voit sur les photos de Fort Worth ce sont des feuilles métallisées toutes froissées et déchirées, de plus sans aucun adhésif décoré !

Un témoin particulier est Irving Newton, l'officier météo de la base qui a immédiatement identifié un ballon météo et sa cible radar lorsqu'on lui a montré les débris à Fort Worth. Lui a vu le « scotch à fleurs », et se rappelle que c'est ce détail qui incitait Jesse Marcel à douter de l'explication par un ballon météo... Il faut croire que Newton a vu les vrais débris à Fort Worth, avant qu'on les ait substitués à d'autres, et c'est tout à fait compréhensible : Newton n'était pas un journaliste, ça n'est pas pour la conférence de presse qu'il a été convoqué (il dit que des photographes étaient présents, mais il pouvait s'agir de photographes de l'armée), mais pour identifier les débris ramenés de Roswell...

C'est ce que suggère son témoignage quand on l'a appelé d'urgence au bureau du Général en lui demandant de laisser tomber ce qu'il faisait :

J'ai été abordé au bureau du Général par un Lieutenant-Colonel ou un Colonel qui m'a dit que quelqu'un avait trouvé une soucoupe volante au Nouvau-Mexique et qu'ils l'avaient amenée au bureau du Général. Et qu'un vol avait été affrété pour l'envoyer à Wright Patterson AFB, mais le Général suspectait que cela pouvait être un équipement météorologique ou quelque chose de cette nature et voulait le faire examiner par du personnel météorologique qualifié.

C'est même peut-être après son intervention qu'on aurait décidé d'organiser une conférence de presse en présentant les débris d'une cible Rawin ordinaire à la place des débris déjà partis à Wright Field par avion.

Je serai donc à ma connaissance le premier sceptique à considérer qu'il y a eu une substitution... d'une cible radar (ou plutôt de trois) par une autre cible radar ! Les premières étaient faites de tissu métallisé, de bambou et de scotch à fleurs, convenant pour l'utilisation dans des trains de ballons Mogul, et la seconde était faite de papier métallisé très fin et de balsa, de celles qu'on lançait régulièrement avec des petits ballons météo.

Et c'est certainement l'existence de ces photos qui a empêché de penser que les cibles radar étaient faites notamment de tissu, alors que nous avons vu qu'il y a de très bonnes raisons de le penser... Les sceptiques n'ont simplement pas voulu imaginer qu'il y avait eu substitution, pensant que cela renforcerait l'hypothèse extraterrestre, et tous ceux qu'ils ont convaincus de l'explication du crash par un ballon Mogul, Charles Moore le premier, ont cherché absolument à faire coller ce qu'ils connaissaient des cibles radar avec ce que l'on voyait sur ces photos ! Et s'ils n'ont pas été capables en quinze ans de remettre en cause leurs certitudes, c'est sans doute parce qu'ils ne sont nullement gênés à considérer qu'il y a des quantités d'imbéciles : ici, ce seraient tous les témoins civils ou militaires qui auraient confondu des débris de balsa cassés et du papier aluminium tout froissé et déchiré avec des baguettes très résistantes et des feuilles métalliques indéchirables et infroissables, mais aussi tous les scientifiques et techniciens, à commencer par Moore, qui auraient utilisé pendant des mois des cibles radar bien trop fragiles pour leur usage sans se rendre compte du problème !

Notons enfin que ces photos ont suscité bien d'autres commentaires... Notamment parce qu'on voit sur l'une d'elles le papier que tient le général Ramey dans la main, et qu'il est en partie lisible sur les photos originales scannées en haute résolution... Ça semble être un télex que Ramey a émis à l'intention de la base où les débris ont été acheminés, on y lit quelques portions de phrases qui ne prêtent guère à interprétation ni à conflit comme « wether balloon », mais une autre qui a été beaucoup plus commentée est « victims on the wreak » (victimes de l'épave)... Toutefois, certains y lisent plutôt « remains », soit « débris », ce qui serait beaucoup moins étrange ! Le photographe lui-même, James Bond Johnson, a créé avec d'autres ufologues le Roswell Photo Interpretation Team, et en examinant les photos en haute résolution ils sont arrivés à la conclusion qu'elles présentent bien les débris du crash, mais qu'il s'agit réellement d'un vaisseau extraterrestre et pas d'une simple cible radar ! Cette conclusion résulte d'une interprétation vaseuse de détails agrandis au-delà du raisonnable, à rapprocher des interprétations de photos de la Lune ou de Mars sur lesquelles certains rêveurs voient des constructions étranges, des machines de terrassement ou des visages... Cette équipe a eu l'intérêt de diffuser assez largement les images en haute résolution de ces photos, mais leur conclusion est considérée comme absurde par la grande majorité des ufologues (qu'ils soient sceptiques ou croyants)... Bond Johnson est décédé en 2006, et le RPIT n'a plus fait parler de lui... Le débat reste par contre vif sur le contenu du télex tenu par Ramey, mais aucun élément vraiment convaincant n'en est ressorti.

Pourquoi personne ne s'en souvient ?

Ma supposition est donc que les cibles radar utilisées pour les ballons Mogul étaient faites de matériaux bien plus résistants que celles qui étaient utilisées à l'époque pour les ballons météo, et que c'était une nécessité incontournable. Soit elles auraient été des prototypes fabriqués en été 1946 et préfigurant la génération suivante de cibles (le modèle C), comme le supposait Moore, soit même elles auraient été modifiées spécialement dans le cadre du programme Mogul quelques semaines seulement avant leur utilisation pour le vol de juin 1947.

Dans un cas comme dans l'autre, on aurait contacté un fabricant de jouets spécialisé en cerfs-volants pour lui demander de fournir des matériaux plus résistants pour la fabrication de ces cibles que le balsa et le papier utilisés dans les premières productions. Il savait comme tout amateur de cerfs-volants que le bambou était le bois le mieux adapté pour réaliser des cerfs-volants à la fois légers et solides, alors que le balsa était sûrement le pire choix qu'on pouvait faire. Il savait aussi que pour que les cibles résistent au vent il était nécessaire de remplacer le papier par de la toile, en particulier de la toile en nylon récemment apparue mais qui avait déjà beaucoup servi à la confection de parachutes...

La toile métallisée aurait été coupée et cousue par un confecteur de vêtements, et fournie par lui ou par un distributeur de nouveautés, à moins qu'elle ne soit provenue d'un type particulier de ballons testé dans le cadre du programme Mogul.

Tout cela se tient assez bien, mais il reste à expliquer pourquoi aucun élément probant ne vient confirmer une telle hypothèse...

Gardons à l'esprit que c'est 47 ans après le crash que la thèse du ballon Mogul a émergé, et après une telle période beaucoup de témoins directs sont morts, la mémoire des survivants est très déformée, et les documents manquent. L'essentiel de ce que l'on sait des cibles radar particulières utilisées pour le programme Mogul provient de la mémoire de Moore (et lui-même précise qu'on ne peut lui accorder qu'une confiance limitée) et de quelques documents et photos d'époque (sur lesquels Moore s'appuie d'ailleurs souvent pour essayer de raviver ses souvenirs), donc certains ont pu comme on vient de le voir apporter de la confusion plutôt que des éclaircissements !

On ne connaît même pas l'identité du fabricant des cibles : certains sont persuadés de le tenir en la personne de Victor Hoeflich, fondateur de Merri Lei, simplement parce qu'en juillet 47 il fabriquait des cibles pour l'armée et qu'il pensait qu'elles avaient été prises pour des soucoupes volantes ! Mais nous avons vu que le lot de cibles radar utilisées par Moore et son équipe avait été fabriqué en été 46 (ou plus tard mais par le fabricant qui s'en occupait cet été-là, celui qui utilisait du scotch décoré). On a retrouvé deux entreprises qui ont à un moment ou un autre participé à la production de ces cibles radar, mais il y en a sans doute eu d'autres, et chacune d'elles aurait pu reconnaître une de ses cibles dans les photographies publiées comme explication du « disque volant » tombé à Roswell (ou d'autres, puisque d'autres cibles radar ont été prises pour des soucoupes volantes).

Moore utilisait les cibles, il se rappelait de détails comme le scotch décoré parce que ça l'avait beaucoup intrigué, il se rappelait que celles de première génération avaient posé des problèmes et avaient dû être renforcées, on ne pouvait guère attendre plus de lui après presque cinquante ans ! Quant aux documents qui restent sur l'assemblage des ballons, ils sont très disparates et incomplets : un plan de montage d'une cible radar du modèle postérieur à celui utilisé (sans aucune mention du type de bois utilisé, ni de la composition des panneaux, et si du ruban adhésif est mentionné c'est pour le collage des « ailerons » qui n'existaient pas sur les modèles précédents), quelques photos de qualité médiocre, c'est à peu près tout.

Mais nous avons tout de même vu que Moore évoquait l'adhésif de renfort décoré en disant qu'il était « appliqué aux coutures des réflecteurs », et précisait que parmi les fournisseurs contactés pour la fabrication de cibles radar il y avait un confecteur de prêt-à-porter, ce qui donne tout de même fortement l'impression qu'on faisait quelque part usage de tissu !

On peut se demander si Moore ne faisait pas la confusion entre des cibles radar initiales trop fragiles et les cibles renforcées qui ont été utilisées dans le projet Mogul, en écrivant : les cibles que nous utilisions apparaissaient plus fragiles que les modèles suivants. Une confusion inspirée peut-être par sa conviction que les cibles qu'il utilisait étaient visibles sur les photos prises à Fort Worth, montrant justement des cibles très fragiles.

On peut remarquer aussi que même les témoins qui décrivent le mieux des cibles radar nous font douter qu'ils parlent des débris visibles sur les photographies : Bessie Schreiber, la fille de Mac Brazel, parle du « papier métallisé » comme des feuilles ayant l'aspect de métal d'un côté et de caoutchouc de l'autre, et qu'on ne pouvait pas déchirer... Cavitt nous dit que les baguettes semblaient en bambou en non en balsa, et Newton nous dit qu'elles étaient semblables à du balsa dont on fait les cerfs-volants mais beaucoup plus dur ! Et rappelons que le responsable du projet se souvient qu'il y a eu des changements dans la constitution des cibles radar, et que les panneaux réflecteurs étaient faits de papier OU DE TISSU métallisé.

Alors, finalement, les indices permettant de mettre en question le dogme des cibles radar faites de papier et de balsa ne manquent pas, et ce qui surprend c'est plutôt que depuis plus de quinze ans que la thèse Mogul a fait surface et déchaîné les passions, personne à ma connaissance ne se soit demandé par exemple ce que diable venait faire un confecteur de vêtements dans la fabrication de sortes de cerfs-volants en balsa et papier !

Moore est décédé il n'y a pas longtemps, comme pratiquement tous les autres témoins directs, et on ne saura jamais ce qu'il aurait pensé de tout cela... Je suis de mon côté bien mal placé pour faire moi-même des recherches et pour les valider... Mais peut-être que ça sera fait par d'autres...

Les témoins étaient-ils idiots ?

Les croyants au crash extraterrestre nous assènent à longueur de temps leur argument choc : comment des militaires chevronnés, occupant les plus hauts grades dans la base militaire responsable des bombardiers atomiques, pourraient avoir pris des débris de ballons météo et de cibles radar pour une soucoupe volante ?

Et en réaction, les sceptiques s'acharnent à essayer de discréditer les témoins, notamment Jesse Marcel sous le prétexte qu'il a quelque peu embelli son CV...

Mais le problème disparaît dès que l'on remet le terme de « soucoupe volante » dans le contexte de l'époque : en 1947, une soucoupe volante, ça n'était pas nécessairement un vaisseau extraterrestre, c'était juste quelque chose d'inconnu qui survolait les États-Unis, et on offrait même des récompenses à qui en rapporterait une !

Ce qui inquiétait beaucoup les militaires de l'époque, c'était l'idée que ces objets puissent être des armes soviétiques. On connaît par exemple le « mémo Schulgen » dans lequel les militaires s'inquiètent que les Soviétiques soient en train de construire 1800 bombardiers inspirés des projets des frères Horten, pionniers des ailes volantes en Allemagne... Ce mémo demande que des informations particulières soient recherchées « pour tout avion dont la forme s'approcherait d'un ovale, disque ou soucoupe », et note que de tels engins pourraient utiliser « une construction en composite ou en sandwich utilisant des combinaisons variées de métaux, plastique et peut-être bois de balsa » ! Les frères Horten utilisaient en effet beaucoup de bois et de résines plastiques dans leurs avions (y compris à réaction !) pour alléger la structure sans faire appel à des techniques difficiles (ici leur planeur « Parabola », celui qui était suspecté dans une version motorisée d'être construit par les Soviétiques... Peut-être d'ailleurs parce que sa forme évoquait les objets observés le 24 juin par Kenneth Arnold, à l'origine de la première vague de « soucoupes volantes »).

Horten Parabola

Ce mémo montre bien qu'il ne paraissait à l'époque pas du tout absurde que des « soucoupes volantes » soient en particulier constituées de bois ! Il date d'octobre 47, quelques mois après le crash de Roswell, mais les Américains connaissaient les travaux des Horten depuis 1946, et se sont inquiétés de la possibilité que les Soviétiques aient continué leurs travaux dès le début de la guerre froide, en juin 1947. Quant aux « soucoupes volantes », le même mémo indique que les premières observations dataient de la mi-mai 1947 (d'autre documents déclassifiés mentionnement même le mois d'avril). Il est donc très possible que dès le mois de juillet, des informations aient circulé sur la possibilité que les « disques volants » soient des engins très légers utilisant des matériaux peu conventionnels comme du bois ou des assemblages de métaux et de plastiques feuilletés, et dans ce cas l'officier de renseignements Jesse Marcel aurait été bien placé sur la base de Roswell pour en avoir connaissance. La ressemblance avec les débris trouvés sur le ranch de Brazel avait de quoi l'intriguer !

Certes, Marcel était convaincu en 1978 que ce qu'il avait ramené à la base de Roswell était les restes d'un vaisseau extraterrestre, et pas d'un engin secret soviétique... Mais en 1978, on savait bien que les soviétiques n'avaient pas construit d'avions extraordinaires inspirés des frères Horten, et pour Marcel qui était persuadé que ce qu'il avait transporté en 1947 était quelque chose d'inconnu il ne restait plus que l'hypothèse extraterrestre... Je ne suis pas sûr qu'il en était déjà convaincu en 1947. Il est vrai que Newton, l'officier qui a immédiatement reconnu les débris d'une cible radar, explique que Marcel essayait de le convaincre que quelques inscriptions sur la baguette étaient des écritures extraterrestres, mais lui aussi témoigne trente ans après, quand la signification de « soucoupe volante » a pris un sens nouveau, et peut avoir déformé les propos de Marcel... Outre le fait que terme « d'Alien writings » employé par Newton peut désigner en anglais une écriture étrangère et pas forcément extraterrestre.

Tout ce que l'on peut dire c'est que Jesse Marcel ne s'expliquait pas les signes bizarres alignés sur certaines baguettes... Et on peut en sourire maintenant qu'on connaît l'explication, mais il faut reconnaître qu'il n'était pas évident de la trouver... À mon sens, les idiots étaient plutôt ceux qui ne se posaient aucune question sur ces signes !

Et Marcel doutait de l'explication officielle pour une autre raison : il explique qu'il ne pouvait pas s'agir d'un ballon parce que les débris qu'il avait vus étaient poreux ! Or, nous avons vu que le néoprène des ballons se détériorait après une exposition au soleil, devenant vraisemblablement poreux et en tout cas tout à fait impropre à former l'enveloppe d'un ballon. Ce détail, Marcel pouvait l'ignorer sans pour autant être un imbécile ! Il faisait du reste plutôt allusion aux feuilles métalliques, qui étaient elles aussi vraisemblablement poreuses (plus encore si elles étaient faites de tissu plutôt que de papier !)

Une autre source d'interrogation que l'on trouve dans les témoignages est que cet engin qui tombait du ciel et ne semblait pas être un ballon n'avait aucun élément qui évoque un moteur, une hélice ou quoi que ce soit qui aurait pu le sustenter.

Si on ajoute comme je le suppose que les réflecteurs étaient faits d'un tissu métallisé encore peu courant (sans doute du nylon), dont l'aspect et « l'infroissabilité » pouvait surprendre à l'époque, et que les baguettes étaient faites non de balsa mais d'un bois léger mais très résistant et d'aspect assez étrange, cela pouvait augmenter sa perplexité... Marcel, comme les autres témoins, avait d'excellentes raisons de douter de l'explication par un ballon météo ou tout autre engin connu... Et qu'il se soit persuadé avec le temps et l'évolution des idées sur les « soucoupes volantes » qu'il avait récupéré les restes d'un vaisseau extraterrestre était tout à fait naturel.

Dans tous les cas, ces débris extrêmement légers, sans rien qui ressemble à un moteur, et faits d'une matière poreuse, évoquaient bien peu une « soucoupe volante » telle qu'on la conçoit maintenant ! Imaginez qu'on interroge un témoin d'atterrissage en lui demandant si ce qu'il a vu ne pouvait pas être un ballon, et qu'il réponde : « non, ça ne pouvait être qu'une soucoupe extraterrestre, puisque c'était poreux » !

En outre, si les débris avaient des caractéristiques aussi extraordinaires que certains voudraient le faire croire (résistance incroyable, « mémoire de forme »...), ça serait vraiment dénigrer le professionnalisme de Jesse Marcel d'imaginer qu'il ait pu faire un détour par chez lui pour montrer ces matériaux de haute étrangeté, intéressant sans aucun doute la défense nationale, à son jeune fils et sans doute d'autres personnes !

Quoi qu'en disent les croyants, les débris des cibles radars Mogul pouvaient tout à fait passer pour ceux d'une « soucoupe volante » dans son acception de l'époque, et quoi qu'en disent les sceptiques Marcel et les autres étaient loin d'être des idiots pour avoir douté de l'explication par un ballon !

Incertitudes sur le vol Mogul numéro 4

Charles Moore s'est donné beaucoup de mal pour tenter de démontrer que c'est le train de ballons Mogul numéro 4, lancé le 4 juin, qui a été retrouvé à Roswell... Ce choix s'imposait parce que ce vol était le dernier qui utilisait à la fois des cibles radar et des ballons en néoprène.

Lors de l'étude du programme Mogul, il était prévu que la mesure d'altitude des ballons serait fournie par une radiosonde, un émetteur radio fournissant des données atmosphétiques (température, pression...). Ç'a été fait lors des premiers vols sur la côte est, mais lorsque l'équipe a déménagé au Nouveau-Mexique, le récepteur au sol des radiosondes s'est avéré trop lourd pour être transporté par avion... C'est alors qu'on a pensé à suivre les ballons avec le radar dont la base d'Alamogordo disposait pour les tirs d'essai de fusées V-2. Mais même en multipliant le nombre de cibles, la portée du radar n'était pas satisfaisante, et les techniciens se sont rabattus sur l'utilisation de radiosondes avec un récepteur bricolé, qui ne permettait pas d'exploiter tout leur potentiel mais s'avérait suffisant. Et ce système a été utilisé dès le vol suivant, le numéro 5, qui a décollé le 5 juin, portant donc une radiosonde à la place des trois cibles radar. Ces dernières n'ont plus été utilisés qu'occasionnellement sur des vols Mogul, mais encore largement pour des vols d'essais et de mesure des vents.

Quant aux ballons en néoprène, extensibles, ils ont été remplacés à partir du vol numéro 8, lancé le 3 juillet, par des ballons en plastique non élastiques et de grande taille, qui permettaient de mieux contrôler l'altitude de stabilisation et résistaient au soleil ! Et quel que soit le type de ces ballons, qui a varié, aucun n'aurait pu évoquer un des matériaux trouvés à Roswell, alors que la description par plusieurs témoins d'une grande quantité de morceaux de plastique brunâtres évoque parfaitement l'enveloppe en néoprène des ballons météo ayant passé un certain temps au soleil.

En outre, le vent souffle dans des directions assez variables dans la région d'Alamogordo, mais lors du lancement du vol numéro 4 c'était à peu près dans la direction du site du crash. Moore a d'ailleurs tenté dans son livre de reconstituer précisément la trajectoire du vol numéro 4 en s'appuyant sur les données enregistrées par les stations météo proches, pour obtenir une arrivée sur le champ de débris. Et en appliquant les mêmes méthodes au vol numéro 5, il retrouvait à peu près sa trajectoire réelle enregistrée. C'était un bel exercice, mais Moore avait fait beaucoup de suppositions assez gratuites pour arriver au résultat désiré, et son travail a été beaucoup critiqué, même si c'était quelquefois de façon excessive. Tout ce que l'on peut dire, c'est que Moore a montré que le ballon Mogul numéro 4 pouvait bien avoir terminé sa course sur le site des débris, comme il aurait pu tomber un peu partout ailleurs dans un rayon assez large.

Le problème avec ce vol numéro 4, c'est qu'on n'en connaît pas grand-chose. Il n'est pas référencé dans le rapport de l'université parce qu'il n'a pas fourni de résultat exploitable, et on peut se demander si l'interprétation de Moore, comme pour les cibles radar, ne résulte pas plus d'une tentative de reconstitution que de souvenirs réels. On peut remarquer qu'il avait bien peu de souvenirs, voire pas du tout, de ce vol lorsqu'il avait été interrogé pour le rapport de l'armée, alors qu'il est très prolixe en détails dans son livre paru un peu plus tard  :

Je me souviens distinctement que Richard Smith, mieux connu comme J.R., voyait le train de ballons du 4 juin dans un théodolite par un matin clair et ensoleillé, et que le Capitaine Larry Dyvad, notre contact avec le SCR-584 des Watson Lab [le radar qui suivait les cibles], indiquait que le radar avait perdu les cibles alors que J.R. les avait en vue. C'est aussi mon souvenir que le train de ballons était suivi jusqu'à à peu près 75 miles (120 km) au nord-est d'Alamogordo par l'équipage du B-17. Autant que je me souvienne de ce vol, l'équipage du B-17 a terminé sa poursuite alors que les ballons étaient toujours en l'air (et alors que J.R. les voyait toujours dans le théodolite) aux environs de Capitan Peak, Arabela, et Bluewater, au Nouveau-Mexique. Étant un habitant de la côte est, je n'avais jamais entendu des noms de lieux aussi exotiques, aussi leurs noms sont gravés pour toujours dans ma mémoire. Il s'agit de la seule occasion où j'ai jamais entendu parler de ces endroits. D'après les notes du journal de Crary, la raison de la fin de la poursuite était une faible réception des informations acoustiques télémétrées par le récepteur dans l'avion. Nous n'avons jamais retrouvé ce vol et, en raison de la bouée acoustique, la charge utile et les ballons étaient tous des équipements non récupérables, nous n'étions plus concernés par eux mais commencions les préparations pour le prochain vol.

Des souvenirs bien précis, mais David Rudiak remarque que dans le cas du vol numéro 17 qui a eu lieu trois mois plus tard, le contact par avion a aussi été perdu alors que le ballon se trouvait aux envions d'Arabela et Bluewater, ces lieux dont Moore dit ne plus avoir jamais entendu parler ! Il se demande donc, avec quelque raison, si Moore n'aurait pas pu confondre ces deux vols dans sa mémoire.

Le journal de Crary auquel Moore se réfère constitue la seule mention du vol numéro 4 dans des documents d'époque. Albert P. Crary était géophysicien, il avait participé à des essais de détection de l'onde de choc d'explosions nucléaires ou de tirs de missiles par des détecteurs acoustiques au sol... C'est-à-dire exactement ce que l'on cherchait à faire dans le programme Mogul avec des ballons stratosphériques. Il avait donc tout naturellement intégré le programme, et il était chargé de faire exploser des charges qui devaient être détectées aussi bien par des capteurs au sol que par les ballons Mogul, et de faire coïncider certains des tirs d'essais de V-2 effectués dans la base avec les vols Mogul, aux mêmes fins de détection. Il tenait un journal qui résumait quotidiennement, et très succinctement, ses activités.

Voici le contenu de ce journal pour la période concernée :

Lundi 2 juin : Avons changé le calendrier de tirs pour les coordonner avec les vols de ballons. Un ballon est prêt à partir. Il y a un récepteur au sol et un récepteur dans l'avion. [...]

Mardi 3 juin : Debout à 2h30 prêt à faire voler le ballon mais abandonné en raison d'un ciel nuageux. Suis sorti sur le site de Tularosa et ai fait sauter des charges de 6h à 12h. Tir de 5h30 raté — problème pour trouver l'artilleur.

Mercredi 4 juin : Dehors sur le site de Tularosa et tirs de charges entre 0h et 6h ce matin. Pas de vols de ballons à nouveau en raison des nuages. Avons fait voler une bouée acoustique courante dans une grappe de ballons et avons eu une bonne chance pour la réception au sol mais faible dans l'avion. Dehors l'après-midi avec Thompson. Ai fait sauter des charges de 18h à 24h.

Jeudi 5 juin : Debout à 4h pour tirer 2 charges pour un vol de ballon. Assemblage complet de ballons d'altitude constante installé à 5h. Ai tiré des charges à 5h37 et 5h52
[...]

Si on lit bien, ce texte dit que le vol du 2 juin, monté et prêt à partir le matin du 3, a été annulé en raison des nuages, et le lendemain il n'y a pas eu de vol de ballon à nouveau en raison des nuages, mais on a fait voler une bouée acoustique avec une grappe de ballons.

C'est ce qui fait dire à certains qu'il n'y a pas eu de vol numéro 4 ! En fait, il y a bien eu un vol puisqu'une bouée acoustique ne flotte pas toute seule dans l'air, mais on peut s'interroger sur la composition de ce vol. Pour Moore et tous les sceptiques, Crary veut dire, de façon très ambiguë, que le vol constitué et annulé la veille a à nouveau été retardé en raison des nuages, mais qu'il a été lancé un peu plus tard lorsque le ciel s'est dégagé comme le montrent les relevés météo de l'époque.

Mais il est curieux que Crary ne parle que d'une bouée acoustique portée par une grappe de ballons, alors que pour le vol numéro 5 du lendemain il précise que c'est un « assemblage complet de ballons d'altitude constante » qui a été lancé ! Les sceptiques notent que le terme « grappe » (cluster) s'appliquait indifféremment à un petit groupe de ballons tels que l'université en lançait souvent avec seulement des cibles radar, qu'à des trains Mogul complets, comme en témoigne la légende du schéma du train numéro 2.

Tournons-nous vers ce que dit un des auteurs du rapport de l'armée, Richard Weaver, en s'appuyant sur les indications de Moore :

Les « vols de service » étaient composés de ballons, réflecteurs radar, et charges utiles spécialement dédiées aux tests de capteurs acoustiques (aussi bien les bouées acoustiques que les appareils des Watson Labs qui ont suivi). « L'appareillage emporté » était non récupérable, et certains ne portaient pas d'étiquettes « récompense » ou « retourner à » parce qu'il n'y avait pas d'association entre ces vols et les vols à altitude constante enregistrés qui étaient complètement répertoriés. Les vols de ballons de la NYU sont listés séquentiellement dans leurs rapports (i.e. A, B, ou 1, 5, 6, 7, 8, 10...), pourtant des lacunes ont existé pour les vols 2 à 4 et 9. L'interview du Professeur Moore indique que ces trous sont les « vols de service » non enregistrés.

On comprend donc bien qu'il s'agissait ici d'un vol de service, mais aussi que ces vols, en tout cas pour certains, n'emportaient pas tout l'appareillage d'un vol complet et n'étaient destinés qu'à tester les capteurs acoustiques... Il y a pourtant eu un de ces vols de service non répertorié, le numéro 2, qui était un vol Mogul complet, puisqu'on possède sa constitution (cliquez dessus pour avoir l'image en grand) :

Assemblage du vol numéro 2

Alors, on peut sans doute considérer que certains de ces vols de service étaient des vols de test, et que d'autres n'ont été considérés comme des vols « service » que parce qu'ils n'ont pas fourni de données exploitables. Il ne reste plus qu'à trouver dans quelle catégorie classer le vol numéro 4 !

Moore considère en fait que tous les vols de « service » étaient des trains de ballons complets, et que les vols 3 et 4 sur lesquels on n'a aucun renseignement étaient similaires à ce vol numéro 2, hormis qu'ils ne portaient pas de radiosonde. Le vol numéro 5 était de son côté très similaire mais au contraire il emportait une radiosonde et pas de cibles radar. Mais nous avons vu qu'il y a des raisons de ne pas se fier aveuglément aux « souvenirs » de Moore, et on peut donc se demander si le vol numéro 4 n'était pas une simple grappe de ballons emportant une bouée acoustique, comme semblent très clairement le suggérer le journal de Crary et les indications de Weaver.

On peut dans ce cas donner une interprétation différente des événements... Le train de ballons complet, préparé dans la journée du 2 juin, devait être lancé le matin du 3 comme c'est précisé dans le journal de Crary, mais un ciel nuageux avait empêché le vol. Le lendemain, le vol était à nouveau reporté, et par ailleurs on avait décidé d'abandonner l'utilisation des cibles radar au profit d'une radiosonde, pour un vol qui serait lancé dès le lendemain... Dans ce cas, ne valait-il pas mieux renoncer purement et simplement au vol d'une formule obsolète et utiliser tous ses éléments pour le vol du lendemain ? Sa constitution était pratiquement la même, il suffisait de remplacer les trois cibles radar par une radiosonde et rajouter quelques ballons...

Et en allant plus loin, rien n'indique que ça n'était pas déjà une radiosonde que portait le vol prévu pour le 3 juin, plutôt que des cibles radar... La présence de ces cibles n'a été supposée que pour expliquer les débris retrouvés à Roswell. Autrement dit, le train de ballons qui devait initialement être lancé le 3 serait simplement celui qui a été lancé le 5 ! Après tout, s'il a pu attendre un jour, il pouvait bien attendre un jour de plus !

Bien sûr, on ne peut pas reporter indéfiniment un vol prêt à être lancé, du fait que l'hélium s'échappe peu à peu. Pour de tels trains de ballons ayant pour fonction de conserver le plus longtemps possible une altitude constante dans l'atmosphère, la force ascensionnelle doit être connue précisément, et il est douteux que le gonflage puisse être repris pour compenser la perte d'hélium lorsque les ballons ont été attachés. On peut toutefois penser que la perte est minime en deux jours pour des ballons qui sont peu gonflés, et en tout cas si ça n'était pas possible après deux jours ça ne l'était sans doute pas non plus après un jour, auquel cas il fallait de toute façon remonter entièrement le train de ballons.

Un vol Mogul de recherche (ce qui n'est pas un vol de service) nécessitait des conditions météo optimales : il devait notamment être suivi visuellement à grande distance avec un théodolite. Ces conditions n'étaient sans doute pas remplies le 4, même si le ciel s'était un peu dégagé. Par contre, un vol ayant simplement pour but de tester une bouée acoustique devait être moins contraignant : ces appareils avaient de toute façon une autonomie limitée à trois heures... On aurait donc décidé le matin du 4, pour ne pas s'être levé pour rien, d'assembler rapidement une petite grappe de ballons n'emportant rien d'autre qu'une bouée acoustique et des cibles radar, ne nécessitant pas un ciel aussi clair qu'un vol de « recherche » et répondant parfaitement à la définition de Weaver d'un vol de « service » et aux indications du journal de Crary.

Est-ce que cette vision d'une simple grappe de ballons avec une charge minimale est quelque chose de concevable, et est-ce que ça présentait un intérêt ? Il y a eu une discussion à ce sujet entre Alain Delmon, un des rares ufologues qui n'ait pas d'opinion tranchée au sujet de Roswell (c'est sûrement le cas qui suscite le plus d'intégrisme, dans un camp comme dans l'autre !), qui penche comme moi pour une simple grappe de ballons, et Gilles Fernandez, auteur d'un récent livre très documenté sur Roswell, sceptique qui suit aveuglément les opinions de Moore. Vous pouvez lire les textes de l'un et de l'autre ici, je me contenterai de répondre aux quelques passages où Fernandez pense réfuter cette idée :

Un vol avec « seulement » une bouée-sonar ne pourrait pas donner lieu à une réception au sol. Il faut un radio-transmetteur pour cela donc, par exemple. Cela n'est pas mentionné dans le journal. Il faut sans aucun doute un ou deux ballasts également qui se vident lentement, et d'autres appareillages puisqu'en tout état de cause, il a été suivi par avion, des enregistrements au sol sont constatés lorsqu'il est en altitude, c'est à dire un vol, qu'il soit service ou pas, ne se démarquant pas « foncièrement » de ce qui se fait (réception au sol de signaux, suivi par avion) pour des vols recherche ou service et à assemblage plus complexe que celui proposé par Alain Delmon. Il faut également une triangulation theodolite (données horizontales) + suivi visuel avion + suivi au sol (pour avoir les données d'altitudes) par radar ou bien radio-sondes, comme j'y reviendrai.


Tout cela est faux... Les bouées acoustiques sont autonomes, elles comprennent un microphone, une batterie et un émetteur. Les bouées utilisées, de modèle AN/CRT1, sont bien connues puisqu'il s'agit des premières bouées acoustiques et qu'elles ont été utilisées pendant très longtemps, elles font partie du patrimoine historique de l'armée américaine et on trouve facilement leur description. On sait donc que la portée de l'émetteur était de 10 miles (16 km), et le récepteur était très petit. Pour les recevoir au sol, il suffisait donc d'avoir un deuxième récepteur, et c'est exactement ce que précisait Crary le 2 juin : Il y a un récepteur au sol et un récepteur dans l'avion ! Et il est tout à fait clair dans le journal de Crary que la « réception au sol » se rapporte aux signaux de la bouée acoustique et non à des données télémétriques : le 5 juin, pour le vol numéro 5 donc, Crary écrit que « le récepteur de l'avion n'a pas fonctionné du tout, et le récepteur au sol a marché sur une courte période mais n'a pas enregistré les explosions ».

Curieusement, Moore avait fait la même erreur dans son interview pour le rapport de l'armée, en commentant ainsi le journal de Crary :

Tous les ballons lancés pendant cette période devaient être des ballons météo, des ballons météo de 350 grammes, quelques-uns avec des cibles radar juste pour tester le radar dehors et quelques-uns, j'avais tout oublié de cela, mais le journal de Crary dit que nous avions des microphones de bouées acoustiques sur certains d'entre eux. Aussi cette boîte noire de Cavitt a vraiment commencé à retenir mon attention.

Q : Ça ne pourrait pas être une radiosonde ?

R : Ça ne pourrait pas être une radiosonde.

Q : À quoi ressemble une radiosonde ?

R : Elle peut être blanche, habituellement une boîte en carton ou plastique, et le fait que nous nous soyons impliqués dans le radar est parce que nous n'avons pas pu avoir notre équipement de radiosonde. Nous n'avions pas toute l'installation pour ça.

Q : Vous dites que vous ne l'avez pas apportée avec vous.

R : Nous n'avons pas apporté le récepteur. Je dois me corriger, nous avons attaché des radiosondes à eux, aux vols portant des microphones puisqu'il y a un rapport dans ce résumé de réception de radiosonde. Un enregistrement de radiosonde. Aussi je reviens là-dessus. Oui, nous avions une radiosonde. Mais nous avions fait voler celui mentionné ici, « le 4 juin, dehors dans le périmètre de Tularosa, pas de vol de ballon, à nouveau, en raison des nuages ». Il entend par là aucun de leurs vols. Alors « nous avons fait voler un microphone courant de bouée acoustique dans une grappe de ballons et avons eu une bonne réception au sol mais faible en avion ».

En fait, Moore semblait penser que seuls les microphones des bouées acoustiques avaient été utilisés, et qu'il fallait donc leur associer un émetteur : ces microphones sont de petits objets reliés à la bouée elle-même par un câble de 6 m, enroulé avant que la bouée ne touche l'eau. La bouée, qui flotte comme son nom l'indique, contient une batterie d'une autonomie de 3 h et un émetteur. Mais c'est bien la bouée complète, avec son émetteur, qui était utilisée avec les ballons Mogul avant que le microphone spécialement conçu n'arrive. Il suffit pour s'en convaincre de regarder les schémas de montage des ballons (par exemple le numéro 2), où cette bouée est représentée schématiquement, comparée à une photo de cette bouée :

Bouée acoustique

Le cylindre entouré de rouge évoque parfaitement, en forme comme en dimension, la bouée acoustique... Il s'agissait d'un cylindre de 1 m 20 de longueur et 15 cm de diamètre. L'espèce d'anneau qui la surplombe sur le schéma devait servir à protéger l'antenne, qui se déploie à la partie supérieure, et la longueur du câble (50 pieds, soit 15 mètres) la séparant du ballast devait être prévue pour laisser le microphone pendre librement. Et sa masse, de 6,3 kg, est un peu inférieure aux 7,9 kg indiqués comme charge (payload 17,5 lbz ; notons que 1,6 kg de poids supplémentaire pour juste accrocher la bouée au train de ballons ça paraît beaucoup, mais dans le schéma du train n°5, ce qui semble être la même charge est indiqué avec une masse de 15 livres, soit un kilogramme de moins).

Notons que Moore est revenu sur cette idée que les vols munis d'une bouée emportaient aussi une radiosonde, puisque dans son livre il indique que les vols 3 et 4 n'en avaient pas.

Quant aux ballasts et autres appareillages, ils ne sont destinés qu'à maintenir longtemps le ballon à altitude constante, ce qui n'était pas nécessaire si on savait que ce vol ne fournirait que des informations sur la réception de la bouée sur une durée de trois heures.

Fernandez note encore :

De même, il est peu économique et déraisonnable de penser, en terme de coût humain également, qu'en quelques heures, il a été désassemblé un train de ballons déjà gonflé et tout prêt à décoller, pour en ré-assembler un autre, et tout cela en quelques heures dans la nuit du 3 au 4, train composé de matériaux « expendable » (consommable, sacrifiable) par ailleurs. Cela n'a que peu de sens. En effet, il faut s'efforcer de comprendre ce que représente un train complexe de ballons gonflés, tel qu'il était prévu le 3 juin (impossibilité de le lancer à cause de la couverture nuageuse) que l'on se prépare à relancer le 4 juin dans la nuit, mais que l'on désassemblerait la nuit parce que le temps est à nouveau nuageux, pour en réassembler un autre car le ciel se découvre.

J'ai déjà répondu à cela en supposant que le train de ballons n'avait pas été désassemblé, mais qu'au contraire il avait volé le 5 juin sous le nom de numéro 5. En outre, Fernandez semble penser que puisque le matériel était consommable, on pouvait le jeter sans regret dans un vol qui n'aurait aucune utilité pour la recherche... Mais tant que ce matériel n'est pas utilisé on peut toujours le récupérer, et ça n'est sans doute pas inutile : il y a le ballast, un certain nombre de petits parachutes et des mécanismes assez complexes destinés à libérer certains ballons à des altitudes précises, le tout représente un ensemble de matériel qui pèse une dizaine de kilogrammes et sûrement une certaine somme ! Et tout cela, à part peut-être un parachute par précaution, était parfaitement inutile pour procéder à un test de bouée acoustique ! Tous ces appareils destinés à maintenir de l'appareillage à une altitude constante ne sont utiles que pour des vols de recherche, et constituaient la difficulté principale du programme Mogul. Pour tester la réception d'une bouée acoustique jusqu'à la stratosphère, on n'a aucun besoin de tout cela, un simple assemblage de ballons, vite monté, suffit.

Combien de ballons sont nécessaires pour soulever cette charge de quelque 9 kilogrammes en comptant le poids de trois cibles radar (je compte 300 g par cible) et d'un petit parachute ? Un ballon gonflé à l'hélium s'élève parce que l'hélium est beaucoup plus léger que l'air, par la poussée d'Archimède. L'air pèse environ 1,2 kg par mètre cube, l'hélium seulement 0,2 kg, la force d'ascension sera donc d'environ un kilogramme par mètre cube... Un ballon de 6 pieds de diamètre représente un volume d'environ 3 m3, il peut donc s'il est complètement gonflé soulever 3 kg... Mais cela, c'est valable pour les ballons qui ne s'élèvent pas très haut... Dans la stratosphère à 35000 pieds (12 km, c'est l'altitude que les ballons Mogul devaient atteindre), la pression de l'air tout comme sa densité est divisée par quatre, si bien que si l'hélium n'est pas retenu son volume sera de son côté multiplié par quatre ! Alors, soit le ballon éclate, ce qui est généralement le cas des ballons en caoutchouc, soit son enveloppe est suffisamment résistante pour maintenir l'hélium sous pression et dans ce cas la poussée d'Archimède diminuera avec l'altitude... La solution, c'est de gonfler le ballon au quart de sa capacité maximale lorsqu'il est au sol, il atteindra alors son volume nominal en altitude. Il est inutile de faire de savants calculs, le schéma du vol numéro 2 indique que les ballons principaux du train étaient gonflés pour une force ascensionnelle libre (free lift) de 900 g. Le free lift, c'est le poids qu'un ballon peut soulever en plus de son propre poids. Et pour gonfler un ballon convenablement, c'est très simple : on lui attache un sac de sable de 900 g, et quand le sac se soulève le ballon est assez gonflé ! Pour soulever les 9 kg de notre charge utile, il fallait donc dix ballons...

Mais il ne suffit pas de maintenir la charge en l'air, il faut encore qu'elle puisse gagner rapidement une haute altitude... On utilisait pour les trains de ballons Mogul deux ou trois ballons supplémentaires plus gros associés à un système de libération à l'altitude voulue et un parachute. Il était possible de s'en servir ici avec sans doute un seul ballon, mais plus simplement on pouvait rajouter deux ou trois ballons normaux un peu plus gonflés que les autres, qui seraient donc les premiers à éclater.

On se retrouve donc avec peut-être treize ballons, un ou deux petits parachutes, trois cibles radar et une bouée acoustique, et c'est tout... C'est beaucoup moins coûteux et plus facile à monter qu'un train de ballons Mogul complet.

Fernandez avance aussi qu'un tel test d'une simple bouée acoustique serait complètement inutile, ces appareils étant utilisés depuis longtemps... Certes, mais il s'agit d'appareils qui sont largués depuis des avions, destinés à flotter sur l'eau avec leurs microphones déployés à six mètres de profondeur pour détecter des sous-marins... Je doute qu'on ait eu souvent l'occasion de les tester dans la stratosphère pour détecter des explosions ! Donc, des essais avec une configuration simple n'étaient sûrement pas inutiles, outre que ça correspond tout à fait à ce qu'explique Weaver d'après les indications de Moore au sujet des vols de service.

On peut d'ailleurs très bien imaginer que le ballon qui avait été préparé le 2 juin était ce vol de service réduit plutôt qu'un vol Mogul complet, puisque rien n'indique que les vols numéro 3 et 4 étaient constitués sensiblement de la même manière que le 2, il s'agit juste d'une supposition de Moore. Mais ça nous ramène à donner aux indications de Crary sur le vol « qui n'a pas eu lieu à nouveau » une interprétation qui me paraît pour ma part un peu tirée par les cheveux.

Un tel ensemble aurait-il pu tomber à Roswell ? A priori, ce qui change par rapport à un train Mogul complet c'est qu'il va rester moins longtemps dans la stratosphère... On pourrait penser que ça signifie qu'il ira moins loin, mais en fait comme l'a montré Moore les vents de haute altitude allaient en direction à peu près opposée aux vents au sol, si bien qu'en jouant sur l'altitude atteinte, la vitesse d'ascension et celle de descente on pourra toujours s'arranger pour que le ballon arrive sur le lieu des débris, qui était dans la direction générale du vent. Et s'arranger ne veut pas dire tricher, ça veut dire qu'en l'absence d'indications sur la composition exacte du train de ballons et sur son heure de départ tout ce que l'on peut dire est qu'il est possible que ce ballon soit tombé là.

Un tel ballon « réduit » expliquerait bien mieux la description des débris qu'un ballon Mogul complet : la grande majorité de ces débris évoquent uniquement les composants des cibles radar et les enveloppes de ballons.

Certains imaginent que la grande quantité d'une sorte de « parchemin » que mentionne Jesse Marcel pourrait désigner les parachutes, mais ces parachutes étaient en soie, ça n'évoque pas vraiment du parchemin, et on peut plutôt penser que Marcel parlait des débris abîmés des ballons, qu'il n'évoque pas autrement. Et il en va de même pour les débris d'une sorte de « bakélite » fondue et brûlée décrits par Jesse Marcel Jr : certains veulent plutôt y voir des morceaux du réservoir de lest, mais il n'y avait aucune raison que celui-ci se soit brisé.

La seule mention de quelque chose qui pourrait être un appareillage est la « boîte noire » à laquelle fait allusion Cavitt en la comparant à un appareil de météo... Serait-ce la bouée acoustique ? Peut-être, mais il n'est pas habituel de parler de boîte pour désigner un cylindre.

Notons que Weaver écrit dans le rapport de l'armée : Le matériel et une « boîte noire », décrite par Cavitt, était, dans l'opinion scientifique de Moore, très probablement le vol 4, un « vol de service » qui incluait le cylindre métallique d'une bouée acoustique et des portions d'instruments météo enfermés dans une boîte, qui ne ressemblait pas à celles des classiques radiosondes météo qui étaient en carton. Ça semble inspiré de l'idée de Moore que la bouée acoustique, qu'il ne se rappelait pourtant pas avoir utilisée lors de son interview, n'était pas autonome et était associée à d'autres instruments. Et c'est en contradiction avec les schémas de compositon des ballons qui montrent que la bouée acoustique n'était pas du tout enfermée dans une boîte ! Voilà qui permet encore de relativiser la confiance que l'on peut accorder aux souvenirs de Moore !

L'autre auteur du rapport, James McAndrew, évoque plutôt une « boîte noire de "coupure" contenant des portions d'instruments météo », l'appareil destiné à libérer une partie des ballons à une certaine altitude (il est bien possible que notre « ballon réduit » en ait porté une pour libérer un ballon d'ascension ; un train de ballons Mogul complet en portait trois).

On trouve aussi un témoignage indirect d'un militaire qui aurait participé au transport des débris de Fort Worth à Wright Field qui parle d'une sorte de « bouteille thermos géante » parmi ces débris, ce qui évoque cette fois fortement la bouée acoustique. McAndrew remarque à ce sujet que contrairement aux autres éléments constituant un ballon Mogul qui étaient du matériel météo courant, cette bouée était quelque chose de très inhabituel dans un ballon et pouvait compromettre le secret du programme Mogul. Cela pourrait expliquer que cette bouée ait été dissimulée.

L'ensemble de débris trouvés à Roswell devait peser un peu plus de deux kilogrammes selon le témoignage du fermier.

On ne s'en éloigne pas trop avec la grappe de ballons que nous avons envisagée, qui devait comprendre 4 kg de ballons, 1 kg de cibles radar, et peut-être 1 kg de plus pour un petit parachute, un système de libération des ballons d'ascension et une centaine de mètres de câble en nylon.

Par contre, le ballon Mogul numéro 4, s'il avait la même composition que le numéro 2 hormis la radiosonde, devait peser en tout de l'ordre de 22 kg une fois le ballast vidé : la bouée acoustique, 7 kg de ballons, les cibles radar, trois parachutes, trois systèmes de libération, le réservoir de ballast avec le système de contrôle de sa vidange progressive, 250 m de câble en nylon... Ça fait beaucoup de choses qu'on ne retrouve pas sur le champ de débris !

Plus un certain nombre d'étiquettes incitant à rapporter le matériel contre une récompense (maigre il est vrai, on parle de 5$) :

Etiquettes de retour

Ces étiquettes qui n'étaient pas attachées aux « vols de service » composés uniquement de matériel « jetable » : ballons, cibles radar et éventuellement bouée acoustique.

On peut alors s'étonner que les sceptiques s'acharnent à vouloir montrer que ce qui est tombé sur le ranch était un ballon Mogul complet, alors que cela est tellement contraire aux témoignages et que nous venons de voir qu'il y a de très bonnes raisons de douter que le fameux vol n°4 ait été complet ! On a l'impression qu'ils ont fait du professeur Moore, celui qui a fourni la plupart des renseignements sur le programme Mogul, leur prophète, et que de ce fait il est sacrilège de remettre en question ses paroles !

Et il est tout aussi étonnant que les croyants au crash extraterrestre pensent remettre en cause l'hypothèse Mogul en voulant démontrer que le « vol numéro 4 » n'a pas volé ou se résumait à une simple grappe de ballons emportant des cibles radar et peut-être une bouée acoustique, alors qu'un tel ensemble est beaucoup plus en accord avec ce qu'a trouvé Mac Brazel dans le ranch dont il s'occupait !

Enfin, il est aussi possible que le matériel retrouvé à Roswell ait été une simple grappe de ballons portant uniquement des cibles radar. En effet, outre les vols numérotés qui devaient emporter un minimum de matériel, on sait que l'équipe de l'université a procédé à de nombreux lâchers de grappes de ballons en néoprène (3 à 5 ballons et 3 cibles radar) pour mesurer les vents ou tester le suivi des cibles. Étant donné que l'essentiel des débris retrouvés à Roswell évoquent ceux des ballons et des cibles radar, il se pourrait bien qu'un de ces simples vols d'essai soit à l'origine de l'affaire. Il y a toutes les raisons de penser que les cibles radar étaient les mêmes, celles portant le fameux scotch décoré (du reste nous avons vu que bien peu de ces cibles ont été associés à des vols Mogul complets), on ne possède qu'un témoignage douteux évoquant ce qui pourrait être une bouée acoustique parmi les débris retrouvés, l'idée est donc défendable. Dans ce cas le vol numéro 4 du 4 juin n'est pas en cause, et cette grappe de ballons peut avoir été lancée n'importe quand entre le premier juin et le trois juillet (un peu moins tout de même pour que l'enveloppe des ballons se soit dégradée au soleil)... Voilà qui peut donner raison à ceux qui pensent que le « crash » a eu lieu le 2 ou le 3 juillet, mais il ne s'agissait pas pour autant d'un vaisseau extraterrestre !

Explosion ou pas ?

Un autre sujet de discorde chez les spécialistes de Roswell concerne l'importante dispersion des débris, qui impliquerait selon certains une explosion. Que ces débris très légers aient été éparpillés par le vent en un mois n'a rien de surprenant, surtout sachant qu'il y avait eu un gros orage dans la nuit du 2 au 3 juillet, mais c'est leur quantité qui pose problème, comme si ballons et cibles avaient été réduits en miettes. L'explication imaginée par Moore est que les ballons s'étaient dégonflés lentement, laissant traîner par terre un certain temps les appareillages et les cibles qui auraient été déchiquetées dans les buissons... Une explication pas vraiment convaincante !

A priori, on ne voit pas trop ce qui aurait pu exploser dans les ballons Mogul... Rien dans l'appareillage transporté n'était explosif. Il pouvait y avoir quelques kilogrammes de kérosène utilisé comme lest (pourquoi du kérosène, on ne sait pas trop)... La quantité variait de deux à cinq kilogrammes au décollage, ce lest était vidé peu à peu pour compenser les pertes de gaz porteur dans le temps et la diminution du volume des ballons avec la chute de température ; il pouvait donc en rester après quelques heures de vol mais ça ne devait pas être beaucoup. En outre, ce lest n'était utilisé que pour les trains de ballons complets : il y en avait peut-être un dans le cas du vol du 4 juin, mais pas avec les grappes de ballons.

Quant aux ballons eux-mêmes, ils étaient d'après les documents et les témoignages qu'on possède gonflés à l'hélium, gaz non inflammable... Mais n'étant plus à une remise en question près, je vais défendre l'idée que les ballons étaient gonflés à l'hydrogène !

L'hydrogène a plusieurs avantages sur l'hélium : il est deux fois plus léger et donc un peu plus efficace pour l'élévation des ballons, et beaucoup plus facile à produire. Mais son désavantage est justement d'être explosif en présence d'air. Il a de ce fait été beaucoup délaissé depuis l'incendie du Zeppelin Hindenburg en 1937, en grande partie responsable du déclin des grands dirigeables (en fait, le Hindenburg était conçu pour être gonflé à l'hélium, mais l'hydrogène avait été utilisé en raison d'un embargo des Américains sur l'hélium après la prise de pouvoir par Hitler).

Dans les documents du projet Mogul, il est précisé que l'hélium a été choisi pour des raisons de sécurité en raison de la grande taille des ballons... Mais les demandes d'autorisations de lâchers de ballons au contrôle du trafic aérien, publiées dans le rapport de l'Air Force, précisent qu'ils devaient être gonflés à l'hydrogène. Il y a donc eu hésitation, et c'est bien la grande taille des ballons qui a fait opter pour l'hélium.

Mais il se trouve justement que les premiers ballons Mogul, dont celui qui est supposé avoir provoqué notre affaire, étaient faits de ballons en néoprène assez petits, de six pieds de diamètre, contre vingt ou plus pour ceux qui ont été utilisés plus tard : il ne faut que 100 grammes d'hydrogène pour gonfler un ballon de six pieds (en tenant compte du fait qu'ils n'étaient gonflés que partiellement), contre quatre kilogrammes pour un de vingt pieds, ça fait une sacrée différence en terme de dangerosité ! Certes, le petit volume des ballons était compensé par leur nombre, mais pour ces premiers essais les ballons étaient gonflés à distance les uns des autres, si bien qu'une éventuelle explosion d'un ballon ne pouvait pas se propager aux autres. On peut d'ailleurs se demander si cette distance de vingt pieds (6 m) entre les ballons, qui paraît quelque peu excessive et qui explique la hauteur démesurée du train complet, n'était pas une mesure de sécurité pour éviter justement une explosion en série. Il n'y avait en tout cas aucune raison que ces ballons n'aient pas été gonflés à l'hydrogène, moins coûteux que l'hélium, comme c'était prévu initialement !

Alors, une vingtaine de ballons de deux mètres de diamètre gonflés à l'hydrogène qui explosent, plus peut-être quelques kilogrammes de kérosène, ça doit faire un certain bruit et disperser pas mal de débris... Encore faudrait-il expliquer comment des ballons séparés par une certaine distance auraient explosé simultanément, alors que je viens de dire que ça n'était pas possible !

Je suis tenté de penser que les ballons auraient été frappés par la foudre... On peut imaginer le résultat d'un coup de foudre sur un train ou grappe de ballons... La corde en nylon, si elle était mouillée, pourrait avoir été presque entièrement vaporisée, ce qui expliquerait son absence ; les ballons éclateraient et seraient réduits en lambeaux ; quant aux cibles radar, on peut supposer que les divers panneaux métallisés seraient partiellement fondus, ne laissant que des morceaux épars, et le pivot central, une pièce métallique assurant l'assemblage des tiges de bois, aurait sûrement fondu, provoquant la dislocation immédiate des cibles... Et finalement, le fait que les ballons aient été gonflés à l'hélium ou à l'hydrogène n'a plus vraiment d'importance, mais ça m'amusait de remettre en question encore une des nombreuses certitudes des spécialistes de Roswell !

Il n'y avait apparemment pas d'orages dans la région de Roswell au moment du vol numéro 4, mais compte tenu de la distance séparant les stations météo il ne me semble pas exclu qu'il y ait eu un orage isolé.

Il est aussi possible que le ballon n'ait pas été frappé par la foudre en vol, mais plutôt au sol, auquel cas ç'aurait pu être plusieurs jours après son atterrissage : une fois que la bouée acoustique, la charge la plus lourde, avait touché le sol, les ballons et les cibles radar pouvaient encore flotter en l'air pendant un temps assez long, jusqu'à ce que les ballons se dégonflent ou que leur enveloppe se dégrade. Et un train de ballons de quelque 200 m de hauteur s'il s'agissait d'un train Mogul complet, ou tout de même 100 m pour une version plus limitée si les ballons étaient assemblés de la même manière, ça pouvait attirer la foudre pour peu que le câble ait été mouillé !

Et dans le cas où le vol numéro 4, sous une forme ou une autre, ne serait pas en cause, on sait qu'il y a eu un gros orage le 2 juillet, quand Brazel dit avoir entendu un bruit d'explosion... Cette date pour le crash est surtout soutenue par les défenseurs d'un crash extraterrestre, mais nous avons vu que l'équipe Mogul lançait régulièrement de simples grappes de 3 à 5 ballons emportant trois cibles radar pour mesurer les vents.

Toutefois, les débris n'étaient peut-être pas aussi détériorés qu'on le dit, auquel cas cette discussion n'a pas lieu d'être... D'après les témoignages, il y en avait un grand nombre éparpillés sur une large surface, mais ce sont surtout ceux qui évoquent des restes de ballons qui étaient très fragmentés, et cela pourrait s'expliquer par leur dégradation au soleil. Les débris attribuables aux cibles radar indiquent qu'elles étaient complètement disloquées, ce qui n'est pas surprenant si elles ont été traînées par des vents parfois violents durant un mois, mais les panneaux n'étaient peut-être pas aussi déchirés qu'on le dit... Ce sont surtout encore les photographies prises à Fort Worth qui donnent cette impression, mais nous avons vu que ces photos ne présentent certainement pas les vrais débris ! Et rappelons-nous que trois cibles radar, cela représente 33 tiges de bois de 60 cm à 1,2 m de longueur, 12 pans de papier ou tissu métallisé, les plus grands étant des carrés de 90 cm de côté et les plus petits des triangles de 90 cm de base et la moitié de hauteur, et une dizaine de mètres de ruban adhésif... Ajoutez quelques centaines de débris de caoutchouc racorni, dispersez tout ça sur quelques centaines de mètres dans toutes les directions, et vous avez un champ de débris qui s'accorde assez bien avec les témoignages !

Bref, tout cela reste à discuter, mais quoi qu'il en soit c'est en s'attachant trop aux détails qu'on en vient à douter que des avions aient pu entraîner l'effondrement du World Trade Center ou que les Américains aient mis le pied sur la Lune ! Pour n'importe quel événement complexe dont on ne voit que le résultat, comme un crash d'avion, on trouvera toujours des détails qu'on ne pourra pas expliquer... Ça n'est pas la preuve qu'il y a quelque chose d'inexplicable, mais simplement qu'on ne pense jamais à tout (surtout quand on ne pense pas beaucoup, comme ça semble être le cas de beaucoup d'ufologues) !

Où sont passés les cadavres ?

Évoquons rapidement la thèse qu'outre les débris découverts par Mac Brazel, une véritable épave de vaisseau extraterrestre aurait été trouvée sur un site proche, avec à l'intérieur des cadavres d'extraterrestres... Le problème, c'est qu'alors qu'on a un certain nombre de témoignages concordants portant sur les débris du ranch, les quelques témoins ayant mentionné ces cadavres et vaisseaux présentent dans leur récit d'énormes contradictions ou invraisemblances. Il s'agit souvent aussi de témoignages de deuxième main, qui n'ont surgi que lorsque l'affaire du crash de Roswell a été popularisée par des livres à succès. Chaque nouveau livre favorable à la thèse extraterrestre présente ainsi de nouveaux témoignages de ce type, lesquels sont totalement discrédités par les enquêtes suivantes ! Il en résulte une multiplication des sites de crash simultanés, au point que certains croyants en sont venus à imaginer que deux vaisseaux extraterrestres se seraient percutés ! Tout cela ne plaide guère pour la crédibilité de ces thèses.

Bien sûr, les croyants invoquent le fait que tous ces témoins étaient tenus au secret, et ne se sont confiés à leurs proches que sur leur lit de mort... Mais pendant les trente années où l'affaire de Roswell était complètement tombée dans l'oubli, des témoins morts il a dû y en avoir un certain nombre, pourquoi aucun d'eux n'a laissé un tel « testament » avant que l'affaire ne soit connue du public ?

Pour expliquer ces témoignages, l'armée de l'air a publié en 1997 un nouveau rapport intitulé The Roswell report : case closed, défendant notamment l'idée que ces mentions de corps récupérés résultaient d'une confusion temporelle entre le crash du ballon Mogul en 1947 et des accidents d'avions ou des essais de parachutes avec des mannequins dans les années 50... Une hypothèse qui n'est pas complètement absurde compte tenu du peu de crédibilité des témoignages et du grand nombre d'essais militaires qui ont été effectués à la base de White Sands toute proche : des essais d'avions et de missiles, de fusées emportant des singes...

Il n'est pas impossible non plus que la retombée d'un ballon Mogul ait été utilisée par l'armée pour détourner l'attention d'un événement inavouable (mais pas forcément lié à des extraterrestres). C'est ce que j'avais suggéré dans mon article original en 1997, en imaginant même que l'armée pouvait avoir parsemé le site de débris à l'aspect étrange pour détourner l'attention... Karl Plock était lui-même partisan d'une explication semblable lorsqu'il a écrit son premier livre soutenant la thèse du ballon Mogul, mais il y a depuis renoncé et il ne semble pas nécessaire d'avoir recours à de telles hypothèses...

Si on veut tout de même s'y essayer, bien des possibilités peuvent être évoquées qui ne feraient pas appel à des extraterrestres !

On peut s'amuser par exemple à imaginer qu'un ballon Mogul aurait provoqué un crash d'avion, et que l'armée aurait étouffé l'affaire pour ne pas engager sa responsabilité... Ça ne serait au fond guère plus difficile à croire que l'idée que l'armée d'un grand pays puisse cacher qu'un de ses sous-marins ait provoqué le naufrage d'un chalutier au cours de manoeuvres militaires !

Il est assez intéressant de lire parmi les documents publiés dans le rapport de l'armée sur Roswell des lettres du comité de contrôle aérien demandant que les lâchers de ballons ne s'effectuent que par temps clair... Les responsables du projet Mogul trouvaient cela trop contraignant et voulaient obtenir que les vols soient autorisés lorsqu'il y avait des nuages épars, mais ils n'ont pas obtenu gain de cause en raison des risques que des ballons d'une telle dimension faisaient courir pour l'aviation. C'est en grande partie pour cette raison que les lancers ont finalement eu lieu sur la base militaire de White Sands, large terrain militaire dédié aux tests de missiles. Mais un nouveau message du comité de contrôle aérien, en date du 21 août, note qu'alors que les ballons étaient censés rester à l'intérieur du périmètre de White Sands, certains étaient descendus hors de cette aire, à proximité de Roswell, et que cela présentait donc des risques pour les avions (on peut penser que cela fait référence au fameux vol numéro 4 qui serait à l'origine de l'affaire, mais il pourrait aussi s'agir du vol numéro 5). Et on a vu que ce fameux vol n°4 a été reporté en raison d'un ciel nuageux, mais finalement effectué... Alors, si ce vol avait provoqué un accident, il serait compréhensible que l'armée ait voulu en effacer les traces.

Imaginons ce qui se passerait si un petit avion de tourisme à hélice rencontrait au détour d'un nuage un train de ballons de 200 mètres de hauteur (ou même « seulement » 100) : la corde se prend dans l'hélice et s'enroule, entraînant tous les éléments constitutifs du train, les appareils de mesures lourds se détachent et tombent à pic, les ballons et les cibles sont déchiquetés et tombent en lambeaux, dispersés et poussés par le vent à quelque distance de là, et le câble reste attaché à l'hélice et tombe avec l'avion peut-être trois kilomètres plus loin (ce que les ufologues appelleront le « troisième site »). Voila qui pourrait expliquer pas mal de choses !

Le plus difficile à admettre dans un tel scénario, c'est l'idée que l'armée de l'air ait pu faire ainsi disparaître toute trace d'un accident d'avion, jusqu'à l'existence même de l'avion et de son dernier vol, juste pour ne pas avoir à reconnaître sa responsabilité (il est vrai que certains l'imaginent capable de bien pire !) Même si en 1947 les vols n'étaient pas aussi réglementés que de nos jours et les radars civils n'existaient pratiquement pas, ça me paraît peu vraisemblable... Sauf peut-être s'il s'était agi d'un vol militaire, ou encore d'un vol non déclaré à des fins inavouables, par exemple pour de la contrebande. Dans ce dernier cas, il n'est même pas impossible que le crash ait eu lieu au début juin, impliquant le vol Mogul n°4, et n'ait été découvert qu'un mois plus tard. Et l'armée n'aurait alors eu aucun mal à faire disparaître l'épave et les corps. Les quelques témoignages relatifs à une épave trouvée sur le « site n° 3 », à environ trois kilomètres du champ de débris, mentionnent des corps dans un état de décomposition avancée et dont le statut supposé extraterrestre repose sur assez peu d'indications.

Il ne s'agit là que d'une idée en l'air, les témoignages concernant des corps sont vraiment trop peu crédibles pour qu'il soit nécessaire de développer ce genre d'hypothèse, mais ce qui est sûr c'est qu'il n'y a vraiment rien dans l'affaire de Roswell qui évoque sérieusement un crash de vaisseau extraterrestre !

Lectures recommandées en français

Gildas Bourdais : le Crash de Roswell, enquête inédite

Bourdais est devenu en France le spécialiste incontournable de Roswell... Chaque fois qu'un nouveau livre important sur l'affaire paraît en Amérique, Bourdais en sort un nouveau, en modifiant son scénario, en parlant des témoins qui ont été discrédités entre-temps et des nouveaux qui sont apparus... C'est un convaincu, il est d'une rare partialité dans ses interprétations, mais il est suffisamment exhaustif pour que chacun puisse se forger sa propre opinion. Pour ma part, c'est en lisant son premier livre sur le sujet que j'ai été convaincu que le crash de Roswell s'expliquait par un ballon Mogul !

Pierre Lagrange : la Rumeur de Roswell

Côté sceptique, c'est Pierre Lagrange qui s'y est collé... Un livre intéressant pour rappeler le contexte de la genèse de l'affaire de Roswell et d'autres cas de crashes allégués, mais assez pauvre comme référence et peu argumenté...

Karl Plock : Roswell, l'ultime enquête

C'est aussi à Pierre Lagrange que l'on doit la traduction en français de ce livre qui a lancé l'interprétation Mogul, et qui reste une référence incontournable.

Gilles Fernandez : Roswell, Rencontre du premier mythe

Et voilà un nouveau livre sceptique très intéressant, bien documenté et qui présente de nouvelles idées renforçant l'hypothèse Mogul. L'auteur, psychologue, apporte en outre pas mal de réflexions pertinentes sur le témoignage humain... Mais il en fait un usage largement abusif pour évacuer les problèmes posés par les principaux témoignages. À noter que ce livre était édité de façon assez confidentielle comme « livre à la demande », et que son auteur a décidé après trois ans de le rendre disponible en téléchargement gratuit. Vous n'avez donc aucune excuse pour ne pas le lire !

Robert Alessandri



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Ce texte a été lu fois depuis le 01/01/2011