Quand l'avion spatial remplacera les fusées
(13/03/2003)
Vous pouvez traduire ce texte dans la langue de votre choix :
La fusée, c'est dépassé
Imaginez un voyage dans lequel vous devez consommer cinquante fois votre
poids en carburant pour arriver à destination... C'est typiquement
ce que nécessitent les fusées (et plus encore la Navette !)
pour vous amener en orbite basse, juste le tout premier pas vers l'espace.
Comment pourrait-on rendre l'espace accessible à un coût raisonnable
tant que durera une telle aberration ?
Le problème des fusées est qu'elles doivent atteindre une vitesse de
29 000 km/h, nettement supérieure à la vitesse à laquelle
elles éjectent leurs gaz de combustion (16 000 km/h avec les carburants
les plus performants)... Et cela implique qu'une grande partie du carburant
qu'elles emportent sert à accélérer le carburant lui-même,
plutôt que la charge utile.
La propulsion chimique par réaction utilise deux composés qui
en se combinant dégagent de l'énergie, laquelle sert à
accélérer les gaz résultants vers l'arrière.
Ces deux composés, que l'on appelle des ergols, sont le carburant
et le comburant. Une fusée, fonctionnant dans l'espace, doit emporter
dans ses réservoirs les deux composés, alors qu'un avion n'a
besoin que du premier, et utilise l'oxygène de l'air comme comburant.
La différence est d'autant plus importante que dans bien des cas,
la masse de comburant nécessaire est nettement supérieure à
celle de carburant. C'est en particulier le cas avec la combustion oxygène/hydrogène,
une des plus efficaces, où le produit de la combustion est de l'eau :
il faut donc deux fois plus d'atomes d'hydrogène que d'oxygène,
mais un atome d'oxygène pèse seize fois plus qu'un atome
d'hydrogène ; une fusée utilisant cette réaction doit
donc emporter une masse d'oxygène huit fois supérieure à
celle d'hydrogène (par contre, l'hydrogène liquide étant
beaucoup moins dense que l'oxygène, le volume sera à peu près
équivalent).
On aurait donc tout intérêt à construire des fusées
utilisant l'oxygène de l'air, comme les avions. Et puisqu'un tel engin
devrait se propulser dans l'air, au moins pendant une partie importante de
son ascension, il pourrait profiter d'une autre particularité des
avions : se servir de l'air pour assurer la portance. Cela permet d'économiser
encore la partie du carburant nécessaire à lutter contre la
pesanteur, et de décoller avec des moteurs dont la poussée
est inférieure au poids de l'appareil.
Ce sont ces deux caractéristiques qui font un avion spatial :
des ailes pour assurer la portance, et un moteur fonctionnant dans l'air,
« aérobie ». Le X-15, qui a battu à partir de 1959
tous les records de vitesse (près de Mach 7) et d'altitude (plus de
100 km) pour un avion, n'était qu'un avion-fusée, une fusée
avec des ailes.
La contrepartie, c'est qu'en restant dans l'atmosphère jusqu'à
une vitesse très élevée, un avion spatial doit lutter
contre la résistance de l'air et l'échauffement, lesquels augmentent
en fonction du carré de la vitesse... Heureusement, la quantité
d'oxygène passant dans le réacteur est elle proportionnelle
à la vitesse, si bien que l'avion pourra s'élever et fonctionner
dans une atmosphère de moins en moins dense en prenant de la vitesse.
Les moteurs des avions
Toute la difficulté est de concevoir des moteurs capables de fonctionner
à des vitesses proches des 29 000 km/h nécessaires pour placer
un satellite en orbite.
En aviation, on préfère parler en nombre de Mach, c'est-à-dire
en multiple de la vitesse du son. En effet, le nombre de Mach détermine
l'angle du cône de l'onde de choc, essentiel en aérodynamique.
Mais cette vitesse n'est pas fixe, puisqu'elle varie essentiellement en fonction
de la température. Disons qu'elle est de l'ordre de 1200 km/h à haute altitude.
La vitesse de satellisation est donc égale à environ Mach 24.
Même le pseudo-avion X-15 en était très loin, et l'avion
qui reste officiellement le plus rapide, le SR-71 « Blackbird »,
vole à guère plus de Mach 3. Il s'agit de la vitesse limite
d'un turboréacteur conventionnel, lequel
a besoin de recevoir de l'air comprimé : il est pour cela muni d'un
compresseur qui « aspire » l'air à l'entrée, et ce
compresseur est actionné par une turbine située en sortie.
À partir de Mach 2, la compression de l'air peut se faire par la seule
vitesse, si bien que le compresseur et la turbine deviennent inutiles : le
réacteur est alors réduit à une sorte de tube creux,
on appelle cela un statoréacteur (ramjet en anglais). Il a été
peu utilisé hormis pour des missiles, du fait qu'il ne peut pas fonctionner
au-dessous de Mach 2 : il devrait être complété par des
turboréacteurs ou un moteur-fusée, ou équiper un avion
lancé lui-même à partir d'un autre avion déjà
supersonique (c'est le cas de la plupart des missiles utilisant cette technique).
Et le statoréacteur a aussi ses limites, de l'ordre de Mach 7. Au-delà,
les problèmes d'échauffement deviennent trop importants, et
en outre il perd toute son efficacité du fait que la vitesse d'éjection
des gaz à l'arrière ne dépasse guère la vitesse
de l'avion (cette limite serait nettement repoussée si l'atmosphère
ne contenait que de l'oxygène ; mais elle contient surtout de l'azote,
qui ne participe pas à la combustion).
On peut aussi évoquer les moteurs à combustion externe,
dont la géométrie particulière génère
une couche d'air comprimé faisant office de tuyère. Si on peut
dire en simplifiant qu'un statoréacteur est un tube vide, avec la
combustion externe il n'y a même plus de tube ! Ces moteurs sont
pour l'essentiel restés à l'état de projets, à
moins qu'ils aient équipé des avions secrets (on a longtemps
pensé que le fameux avion Aurora utilisait ce principe, avant que
Jean-Pierre Petit ne fasse le rapprochement avec le projet russe Ajax dont
nous reparlerons). Quoi qu'il en soit, ils ne devraient pas dépasser
les limites de vitesse d'un statoréacteur.
Dans le domaine spatial, on a fondé beaucoup d'espoir il y a quelques
années sur un moteur à combustion externe particulier, « l'Aerospike »
linéaire développé par Boeing, qui devait équiper
l'avion spatial Venture Star. Ce projet développé à
partir de 1997 par les fameux « Skunk Works » de Lockheed Martin
avait été retenu par la NASA comme favori pour remplacer la
Navette spatiale aux environs de 2010.
Un modèle de dimension réduite de moitié, et ne pouvant
atteindre que la moitié de la vitesse de satellisation, a été
construit : le X-33 (la lettre X désigne chez les avionneurs américains
tous les avions expérimentaux ; on peut trouver une description concise
de tous ces « X » sur le
« X-Planes Data Site »).
Vue d'artiste du X-33, avec ses moteurs Aerospike bien visibles au centre.
Mais les premiers essais ont mis en évidence des problèmes
de résistance de matériaux (le Venture Star ne pouvait réaliser
le vieux rêve du lanceur spatial monoétage qu'en utilisant une
profusion de nouveaux matériaux, dont la fabrication en pièces
de grandes dimensions est encore mal maîtrisée), et le budget
étant insuffisant pour espérer y remédier le programme
a été abandonné en 2000.
Le Venture Star serait de toute façon resté plus proche d'une
fusée que d'un avion. Il décollait verticalement comme une
fusée, et l'air servait surtout dans le concept d'Aerospike à
améliorer les performances du moteur à toutes les altitudes
plutôt qu'à fournir l'oxygène. On voit d'ailleurs sur
ses représentations que le Venture Star ressemble plus à une
Navette ayant avalé son gros réservoir qu'à un avion !
Le superstatoréacteur, ou l'Arlésienne des moteurs
Pour aller au-delà de Mach 7, on a envisagé le superstatoréacteur,
scramjet en anglais, dans lequel l'air traverserait la chambre de combustion
en étant très peu ralenti, à vitesse supersonique ou
même hypersonique (on parle de vitesse hypersonique au-delà
de Mach 5 ; ça n'est pas une limite physique comme la vitesse du son,
mais aux alentours de cette vitesse les problèmes d'échauffement
deviennent difficiles à maîtriser : on appelle cela le « mur
de la chaleur »).
On considère que le superstatoréacteur pourrait fonctionner
au moins jusqu'à Mach 12 et peut-être Mach 15... Au-delà,
on serait tout de même obligé à faire appel à
un moteur-fusée. On n'est toutefois plus très loin de la vitesse
de satellisation, si bien que la quantité d'oxygène à
embarquer est fortement réduite par rapport à celle d'une fusée.
L'idée n'est pas nouvelle, puisqu'on avait déjà testé
une maquette de scramjet, non fonctionnelle, sur le X-15 dans les années
60. On voit sur cette photo du X-15 cette petite maquette, à l'arrière
et au-dessous du fuselage.
Mais les problèmes techniques s'étaient avérés
insurmontables à l'époque, et le superstatoréacteur
a été oublié pendant quinze ans.
C'est en 1982 que le DARPA
(agence des projets de recherche avancée du département de la Défense
américain) a entrepris des études sur la faisabilité
de réacteurs hypersoniques, capables de propulser des avions au-delà
de Mach 8.
Et en 1985, le DARPA (qui avait sans doute trouvé mieux !) a abandonné
ce programme à la NASA pour qu'il puisse être utilisé dans le cadre
d'un lanceur spatial.
L'avion spatial prend son envol... médiatique
Et c'est ainsi que, sous l'impulsion de Ronald Reagan, le programme NASP
(National AeroSpace Plane), connu également sous le nom de X-30, a
été annoncé à grand bruit en 1986.
Cet authentique avion spatial devait être équipé d'un
moteur unique reconfigurable pour fonctionner en statoréacteur, puis
en superstatoréacteur, et enfin en moteur-fusée qui permettrait
aussi d'atteindre la vitesse initiale de Mach 2 pour que le statoréacteur
démarre.
Vue d'artiste du X-30
L'annonce de la NASA a été rapidement suivie par une foule
de projets similaires partout dans le monde : Sänger allemand, Himes
japonais, Tupolev 2000 russe, Hotol britannique, Prépha français...
Tous n'étaient d'ailleurs pas de véritables avions spatiaux,
certains comportaient deux étages, d'autres étaient portés
à une vitesse initiale par un avion ou même par une sorte de
train (l'idée est toujours envisagée par la NASA)...
Mais la mise au point du superstatoréacteur, alors indissociable de
l'avion spatial, s'est encore avérée trop difficile, et le
programme NASP a été abandonné en 1994, entraînant
à sa suite tous ses petits frères.
Mais voilà qu'à peine quelques années plus tard, en
1997, les recherches sur le superstatoréacteur et l'avion spatial
ont repris de plus belle au sein de la NASA, sous le nom de programme « Hyper-X ».
Il s'agit essentiellement de tester le superstatoréacteur sur un avion
expérimental à échelle réduite. Ces tests sont
indispensables, du fait qu'il n'existe pas de souffleries hypersoniques fonctionnant
en continu et que les simulations sont encore loin de rendre compte parfaitement
du comportement des fluides à de telles vitesses.
C'est à cet effet qu'a été construit le X-43, qui sera
porté à vitesse élevée par un lanceur Pégase
(petit lanceur à deux étages lancé depuis un avion).
Il s'agit juste d'un modèle réduit, long de 3,7 m, bardé
de capteurs pour tester le comportement du moteur à Mach 7 puis plus
tard à Mach 10, avec du kérozène.
Le X-43
Malheureusement, le premier lancement en 2000 a échoué, le
problème incombant au lanceur Pégase, et le programme a pris du retard.
Il doit reprendre cette année.
La deuxième étape doit faire appel à un nouveau modèle
capable d'atteindre Mach 15, fonctionnant cette fois à l'hydrogène...
Enfin, lorsque le principe de propulsion aura été complètement
validé par ces essais en vol, on pourra envisager la construction
du véritable avion spatial capable d'amener des charges en orbite
au centième du prix des fusées actuelles... Mais la NASA n'espère
pas aboutir avant les années 2030 !
Le grand retour de la MHD
Et voilà que la MHD
si chère à Jean-Pierre Petit vient
bouleverser tout ça, comme vous ne pouvez l'ignorer puisque vous avez
certainement tous lu son dernier livre !
Pour les quelques exceptions, je
résume le principe du « pontage » MHD révélé
dans le projet russe Ajax, et que les américains ont
vraisemblablement appliqué avec leur avion Aurora :
— à l'avant, un générateur MHD, utilisant des « convertisseurs
pariétaux » à supraconducteurs tout à fait similaires
à ceux que décrivait Petit dans sa bande dessinée le
Mur du silence (que vous pouvez vous procurer sur CD-Rom avec la collection
complète des « Aventures d'Anselme Lanturlu » en visitant
son site)
convertit l'énergie cinétique de l'air
en électricité
— l'air, ainsi ralenti sans échauffement, pénètre dans
un réacteur « standard » à la vitesse qui convient
à celui-ci ;
— en sortie, les gaz sont réaccélérés par un accélérateur
MHD, fonctionnant selon le même principe que le générateur
mais inversé, en utilisant l'électricité produite à
l'avant.
Ainsi, la MHD fonctionne en boucle fermée et n'apporte aucune énergie
propulsive, mais elle permet de faire fonctionner un moteur très au-delà
de sa vitesse limite...
La limite d'application du système dépend du rendement de la
double conversion MHD, mais on considère qu'un statoréacteur
pourrait fonctionner selon ce principe jusqu'à Mach 13. Les avions-espions
Ajax et Aurora fonctionnent sans doute de leur côté à
Mach 8 avec des turboréacteurs conventionnels, et peuvent donc décoller
le plus naturellement du monde avant d'activer leur système
MHD.
Et bien sûr, si l'on arrive tout de même à mettre au point
les superstatoréacteurs, il serait possible de leur appliquer le même
principe afin de leur faire atteindre une vitesse supérieure à
Mach 15, très proche en fait de la vitesse de satellisation. Il faut
savoir que si les superstatoréacteurs peuvent fonctionner en théorie
jusqu'à Mach 15, leur rendement optimal se situe à Mach 7,
et décroît rapidement au-delà.
En outre (tout cela est très bien expliqué dans le livre de
Jean-Pierre Petit),
une partie de l'électricité produite par le générateur
MHD peut être utilisée efficacement pour limiter les problèmes
d'échauffement et de résistance de l'air, aussi bien pendant la propulsion à très haute vitesse dans
l'atmosphère que lors de la rentrée atmosphérique :
la création d'un « coussin » de gaz fortement électrisé
sur les bords d'attaque limite l'échauffement de ceux-ci, et des
convertisseurs MHD répartis sur toute la surface de l'appareil permettraient
de réduire voire d'annihiler l'onde de choc pendant le vol et de faire
participer toute la surface de l'avion au freinage au cours de la rentrée...
Bref, ce système MHD apparaît comme une solution miracle,
et la NASA s'y intéresse fortement, au moins depuis 2000. Pour l'instant,
il est juste question d'utiliser la MHD dans le conduit même des réacteurs,
mais le projet pourrait vite évoluer.
Petit
a d'ailleurs remarqué l'étonnante similitude entre le
X-43 et sa propre interprétation de l'avion Aurora, et imagine que
ce prototype pourrait en fait cacher des essais de propulsion MHD. Ça
ne me semble pas évident, le profil du X-43 étant surtout typique
d'un « waverider », un avion qui utiliserait la pression causée
par l'onde de choc d'une part pour se sustenter, et d'autre part pour fournir
une alimentation en air stable au moteur. On le constate sur ce schéma
expliquant ce principe que j'emprunte à A. Filippone et son dossier
« wings for all speeds » sur son site
Advanced Topics in Aerodynamics :
Il est donc douteux que le X-43, du moins sous sa forme actuelle, utilise
la MHD, mais il est fort probable que la NASA ait dans l'idée de le
faire évoluer dans ce sens...
Ajax vs superstatoréacteur
Il est d'ailleurs difficile d'expliquer autrement la soudaine reprise du
programme d'avion spatial en 1997, trois ans après son abandon causé
par la difficulté de mise au point des superstatoréacteurs...
A-t-on vraiment fait des progrès en science des matériaux au
point de rendre envisageable en 1997 ce qui paraissait utopique en 1994 ?
Il est utile de remarquer qu'il s'agit précisément de la période
durant laquelle le principe du projet russe Ajax a été peu
à peu dévoilé : c'est en effet en 1993 que les premières
révélations, très vagues, ont eu lieu, et en 1998 le
principe du « pontage MHD » était parfaitement compris puisqu'une
étude collective présentée lors d'un colloque de
l'AIAA
comparait les performances à attendre d'un tel système à
celles du NASP « de référence » qui venait d'être
abandonné, et concluait qu'il permettrait d'atteindre des performances
très supérieures sans nécessiter la mise au point du
superstatoréacteur (cause de l'abandon du NASP) !
Cette étude intitulée An AJAX Technology Advanced
SSTO
Design Concept peut être téléchargée sur
le site de l'AIAA,
mais elle est payante et à 25 $ les 7 pages elle
n'intéressera guère que les spécialistes. Je vous résume
ses conclusions :
L'avion spatial fonctionnerait jusqu'à Mach 2 en mode fusée,
puis de Mach 2 à Mach 5 en mode turboréacteur, de Mach 5 à
Mach 12 en mode « Ajax », atteignant alors une altitude de 30 km,
et enfin à nouveau en mode fusée pour s'élever rapidement
et atteindre la vitesse de satellisation.
Le champ magnétique nécessaire à la vitesse de Mach 12
dans le conduit des réacteurs serait de 8 teslas, valeur que l'on
peut atteindre facilement avec des supraconducteurs. La principale difficulté
serait plutôt d'après ce rapport de rendre l'air suffisamment
conducteur.
Avec des hypothèses raisonnables sur la masse du système MHD,
les auteurs concluent que ce principe permettrait, comparé au NASP
de référence et pour la mise en orbite d'une charge identique,
de réduire de 25 % la masse totale au décollage et de 40 % la
masse d'hydrogène à emporter, dont le volume est très
important, tout en permettant de se passer d'un superstatoréacteur
à la faisabilité incertaine. La masse totale de carburant nécessaire
ne serait plus que de treize fois la charge utile, contre dix-sept fois avec
le projet de référence (et, on l'a vu, cinquante fois ou plus
avec les lanceurs actuels).
Et cela ne tenait pas compte des possibilités d'utilisation de la MHD en dehors du cycle de propulsion.
On peut aussi se demander si un pontage MHD inversé (accélérateur
à l'avant, générateur à l'arrière) ne
permettrait pas de faire fonctionner le statoréacteur à faible
vitesse, économisant l'emploi du moteur-fusée en-deçà
de Mach 2. A priori, le système est tout à fait réversible,
il suffit d'inverser la polarité. Jean-Pierre Petit, à qui
j'en ai parlé, me dit qu'il est beaucoup plus diffficile de rendre
conductrice une atmosphère dense, au niveau du sol...
Quoi qu'il en soit, la NASA avait de très bonnes raisons de s'intéresser
à ce principe, dont la révélation n'est certainement
pas étrangère à l'étonnante résurrection
du projet d'avion spatial en 1997. Notons que puisque dans cette étude
la double conversion MHD se fait uniquement dans les conduits des moteurs,
il serait tout à fait possible de procéder aux test de ceux-ci
sur le X-43, en lieu et place des superstatoréacteurs.
Reconstitution des événements
On comprend mieux à la lumière de tout cela ce qui s'est vraisemblablement passé :
— entre 1982 et 1985, le DARPA étudie la faisabilité du superstatoréacteur, et n'aboutit pas ;
— parallèlement, il teste l'utilisation en milieu aérien d'un
pontage MHD déjà utilisé en milieu marin depuis 1980
sur des torpilles (d'une façon inverse ; voir encore le livre de Jean-Pierre
Petit), permettant d'obtenir des vitesses tout aussi
élevées que ce réacteur à combustion hypersonique
si difficile à mettre au point tout en assurant d'importantes avancées
dans le domaine de la furtivité (cela aboutira sans doute à
l'Aurora en 1990, et peut-être dans une moindre mesure au B-2) ;
— le DARPA propose alors (1986) à la NASA de continuer l'étude
de superstatoréacteur dans le cadre d'un lanceur spatial, et cela
suscite un enthousiasme général ;
— en 1994, la NASA finit par comprendre que le cadeau était empoisonné
et qu'il n'y a aucun espoir d'aboutir dans un délai raisonnable, et
laisse complètement tomber le projet ;
— les Russes, qui ont développé de leur côté un
concept similaire à celui de l'Aurora mais qui n'ont pas pu le mener
à terme par manque de moyens, estiment alors que cette technologie
serait plus utile à l'espace civil qu'aux seules mains des militaires
américains, et ils commencent dès 1993 à en dévoiler
les grandes lignes (des motivations d'ailleurs partagées par certains
de ceux qui avaient travaillé à cette idée dans les
programmes secrets américains, et qui ont tenté à la
même époque d'en révéler la teneur) ;
— le concept Ajax connaît rapidement un fort engouement, et en 1998
apparaissent les premières études publiques visant à
adapter ce concept à l'avion spatial ;
— la NASA reprend alors de plus belle l'étude de ce dernier, officiellement
toujours avec le superstatoréacteur, mais avec certainement l'idée
d'y ajouter le pontage MHD.
Et maintenant ?
La suite dépendra essentiellement du bon vouloir des militaires,
qui ont vingt ans d'avance sur la recherche civile en matière de MHD,
à la faire profiter de leur expérience. Si ça n'est pas
le cas, on ne voit guère la NASA mettre au point le système
avant trente ans : si la MHD est pleine de promesses, sa maîtrise n'est
certainement pas plus facile que celle du superstatoréacteur. Mais
on peut avoir bon espoir, puisque le secret autour de la MHD en aéronautique
ne s'impose plus vraiment.
On peut aussi se demander quel sera l'impact de l'accident récent
de la Navette spatiale. Il se pourrait que cela accélère les
recherches de solutions de remplacement, et l'avion spatial apparaît
comme la plus prometteuse. Il semble toutefois douteux qu'il puisse être
mis au point avant 2020, extrême limite envisagée pour la Navette
spatiale (et son accident poussera sans doute à raccourcir ce délai).
Il y aura donc sûrement un intermédiaire, probablement un
lanceur entièrement récupérable... L'idéal serait
qu'il soit à un seul étage, comme le défunt projet Venture Star,
mais il n'est pas certain que l'on maîtrise suffisamment les
nouveaux matériaux pour y parvenir : le lanceur qui assurera
l'intérim entre la Navette et l'avion spatial aura sans doute deux
étages.
Le dernier avatar de l'avion spatial
Je ne serais pas complet sans parler d'une autre idée envisagée
pour minimiser la quantité de carburant nécessaire à
une fusée : remplir le réservoir d'oxygène en cours
de vol. L'appareil fonctionnerait donc avec un moteur-fusée, mais
une première phase d'accélération se ferait avec un
réservoir vide, donc une masse réduite. Le principe permettrait
sans doute aussi d'aboutir à un lanceur monoétage peu coûteux.
La difficulté est bien sûr de stocker l'oxygène en quelques
minutes, en le séparant de l'azote et en le liquéfiant. Ça
n'est pas chose facile, mais des solutions sont envisagées.
La société américaine Andrews Space Technology développe
un tel projet nommé Alchemist, et l'Inde a annoncé en 1998
son intention de réaliser un avion spatial utilisant ce principe,
baptisé du joli nom d'Avatar.
L'Avatar devrait en fait combiner turboréacteur
et superstatoréacteur pour atteindre seulement Mach 8, et le moteur-fusée
prendrait alors le relais avec l'oxygène accumulé pendant cette
première phase de vol. La date de mise en service annoncée,
2015, paraît tout de même un peu optimiste...