LA JUSTICE FRANÇAISE CONNAÎT-ELLE

LA DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ?


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Article 10 : Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

Ça n'est pas pour souscrire à une mode passagère que je cite cette fameuse déclaration dont notre pays est si fier, mais parce que j'ai pu constater à quel point elle est bafouée par notre justice !

Cela concerne bien sûr (numéro spécial oblige) l'«affaire» qui m'oppose au directeur du SEPRA, que je suis censé avoir diffamé en dénonçant son incompétence totale dans les domaines dont il est présenté comme expert au plus haut niveau. Beaucoup de personnes, même dans les milieux judiciaires, ayant du mal à croire la façon dont ce «procès» s'est déroulé (entièrement dans le dos de l'accusé, moi en l'occurrence !), je vais la décrire en détail...

Le 29 décembre 1997, un clerc d'huissier m'amenait aimablement (l'huissier s'appelle d'ailleurs Plaisant) une lettre dont j'extrais l'essentiel :

À la requête de M. Jean-Jacques Velasco, [...] Avons donné assignation à M. Robert Alessandri, pris en sa qualité de directeur de la publication et rédacteur en chef ainsi qu'à titre personnel en tant qu'auteur de la revue Univers OVNI [...] d'avoir à comparaître par ministère d'avocat constitué [...] pardevant Messieurs les Président et Juges composant le Tribunal de grande instance de Marseille [...] Lui déclarant que faute par lui de constituer avocat dans le délai de quinzaine un jugement pourra être demandé contre lui au vu des seuls éléments fournis par le requérant.

Suivait le relevé des «appréciations manifestement diffamatoires et injurieuses» par lesquelles je désignais M. Velasco dans un article qui «tendait à le dénigrer tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel»... Ce dernier s'estimait donc dispensé de répondre aux nombreux arguments par lesquels je mettais en évidence la parfaite adéquation des termes employés, et réclamait cent mille francs de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, plus dix mille francs pour rembourser ses frais judiciaires...

J'avais reçu peu avant une lettre du directeur de l'établissement de Toulouse du CNES, Monsieur Trempat, qui reprenait mot à mot certaines phrases de cette assignation, visiblement sans avoir lu un traître mot de mon article, assurant que le CNES soutenait son protégé et me poursuivrait lui-même en cas de récidive.

Jusque là, rien de très surprenant : il est vrai que je n'avais pas mâché mes mots, et j'étais parfaitement préparé à démontrer que les termes que j'avais employés qualifiaient sans la moindre exagération l'incompétence inacceptable du directeur du SEPRA... Le seul problème était cette demande qui m'était faite de «constituer avocat» : je n'en voyais pas la nécessité, et je n'ai guère les moyens d'en payer un avec mon R.M.I. ! Je me suis donc rendu au Tribunal de grande instance pour exposer mon cas, on m'a expliqué que je n'avais pas la possibilité de me défendre sans être représenté par un avocat, et que si je ne pouvais pas en payer un je devais me présenter au bureau d'aide juridictionnelle.

Là, on m'a annoncé tranquillement que je n'avais pas droit à l'aide parce que j'étais attaqué aussi bien à titre personnel qu'en tant que «directeur de publication» et responsable d'une association (il y a pourtant dans le dossier de demande une case concernant les «personnes morales» : quelles sont donc ces personnes morales qui peuvent bénéficier de l'aide juridictionnelle, si ce ne sont pas les petites associations sans but lucratif ? Les clubs de football, les partis politiques, les multinationales ?) J'avais beau expliquer que la revue en question était un bulletin à petit tirage réalisé de façon entièrement bénévole et même largement déficitaire, que l'association était elle-même en déficit chronique, rien n'y faisait... Devant mon insistance, l'employée du bureau d'aide juridictionnelle a téléphoné à son chef pour avoir confirmation, mais décidément il n'y avait rien à faire, je n'y avais pas droit.

Ainsi donc, si j'avais été pigiste dans un grand journal commercial, j'aurais eu droit à cette aide... Mais du fait qu'en plus d'écrire un article non payé, j'avais consacré des centaines d'heures de bénévolat total à concevoir entièrement cette revue qui ne me rapportait strictement rien, et que j'avais financée moi-même (avec, je dois le dire, l'aide désintéressée de mon père, que je remercie vivement), je ne pouvais pas en bénéficier !

Il m'était donc interdit de me défendre par moi-même, et impossible de prendre un avocat... C'est ce qu'on appelle la justice.

Le 25 mars 98, le même clerc d'huissier m'apportait les «conclusions» de l'accusation, qui n'apportaient rien de nouveau si ce n'est qu'il était précisé en tête : «Affaire Velasco/Alessandri - Tribunal de grande instance de Marseille - 1ère chambre - M. Guichard - R.G. n°9800449 - C.P. du 05.05.1998 à 9 h 30».

J'ignore ce qu'est un «C.P.», mais puisque la date était indiquée je m'y suis rendu, espérant que je pourrais au moins exposer mon cas... Je suis donc arrivé comme un cheveu sur la soupe dans une réunion où un greffier (je suppose) énumérait les affaires à juger, où les avocats des différentes parties faisaient part d'éventuels problèmes de procédure, et où le juge, Monsieur Guichard donc, décidait de la date des audiences... Ce dernier a bien voulu interrompre la réunion quelques minutes pour m'écouter, et m'a confirmé que je ne pourrais pas me défendre sans être représenté par un avocat : même si je lui apportais des documents pour ma défense, m'a-t-il dit, il n'aurait pas le droit de les prendre en compte ! Il comprenait mon désarroi (un bien grand mot), mais il ne pouvait pas refaire les lois pour moi, et quand j'ai quitté la salle en disant que je n'avais plus qu'à faire appel à la presse, il m'a conseillé effectivement d'organiser une quête pour pouvoir payer un avocat ! Tout cela a donc été dit devant une bonne dizaine d'avocats réunis, avec sans doute parmi eux la représentante de Monsieur Velasco, Maître Christine Bernardot, qui a sûrement dressé l'oreille !

Je n'étais guère avancé, mais le juge saurait au moins que si je ne me défendais pas ça n'était pas par négligence mais parce qu'on ne m'en laissait pas la possibilité, et connaîtrait la précarité de ma situation et la maigre diffusion de ma revue (dont M. Velasco n'aurait peut-être même pas entendu parler si je n'avais pas eu la délicatesse de lui en envoyer un exemplaire) !

Le 22 juin, mon coursier habituel m'amenait enfin de nouvelles «conclusions», dans lesquelles M. Velasco relevait encore quelques phrases que j'avais employées pour enfoncer le clou dans le bulletin I.N.H. Contact du mois de mai (n°3), prouvant que je manifestais de façon évidente une «continuité dans la volonté de nuire»... Cela était suivi par des copies intégrales de mes articles dans Univers OVNI et I.N.H. Contact, et d'une lettre de M. Trempat, datée du 15 janvier, assurant à M. Velasco le soutien du CNES.

Il est à noter que l'article d'Univers OVNI, avec ses petits caractères, est totalement illisible sur les fax de photocopies qui m'ont été fournis... Ça n'est pas exagéré, en voici un extrait copié fidèlement et à l'échelle :

DES FUMISTES !

Effectivement, on arrive à lire le mot «fumistes» !

De plus, ces 14 pages sont agrafées dans un ordre bizarre : 20-19-18-17-16-21-22-23-24-28-27-25-24-26-29 ! Ça n'est pas très grave puisque je connais bien cet article, mais normalement cela constitue les pièces du dossier telles qu'elles ont été fournies également au juge (dans le cas contraire, je suggère à Velasco de changer d'huissier, ce dernier lui ayant facturé pas moins de 475 F pour ce travail bâclé !) Cela pourrait expliquer une ignorance criante de l'article incriminé manifesté plus tard dans le jugement... Mais il est vrai que ça n'était pas à l'accusation de fournir des pièces pouvant servir la défense... J'aurais bien amené au juge un original de la revue, mais, on l'a vu, il n'avait pas le droit de le lire !

De mon côté, je ne pouvais guère faire autre chose qu'attendre la suite des événements... Je pensais que je serais au moins entendu un jour ou l'autre, et que j'aurais le droit d'assister à mon procès... C'était bien mal connaître la justice française !

Au mois d'octobre, n'ayant plus aucune nouvelle, je me suis rendu au Palais de Justice pour savoir où en était cette affaire... On m'a aimablement reçu au Greffe du Tribunal, pour m'apprendre que l'audience avait eu lieu le 17 septembre ! Et devant mon étonnement de ne pas en avoir été informé, on m'a assuré que c'était parfaitement normal : seuls les avocats sont avertis de ce genre de détails... Que dire, puisque tout est normal ? Il s'agissait d'une audience publique (c'est précisé dans le jugement), tout le monde pouvait y venir, mais l'accusé n'était pas convié ! Certes, je n'aurais de toute façon pas eu le droit de me défendre, mais il me semble que ça serait une simple question de courtoisie... On nous demande d'avoir le plus grand respect pour les représentants de la Justice, donnant du «votre honneur» par-ci, du «maître» par-là, on aurait peut-être droit à un minimum de considération en retour ! Mais non, la considération, on ne l'a que quand on peut payer un avocat !

Quoi qu'il en soit, on m'a assuré ce jour-là que je serais informé en temps voulu du jugement ! Ça me rappelle un épisode de Star Trek dans lequel des peuples ennemis se livrent des guerres virtuelles, à la fin desquelles on met à mort le nombre obtenu de victimes : c'est beaucoup plus propre et beaucoup plus économique qu'une guerre normale, et ainsi ça ne met pas en péril la survie de la civilisation ! La seule différence, c'est que même virtuellement je n'ai pas été défendu !

De fait, j'ai bien reçu du gentil émissaire de Monsieur Plaisant ma déclaration de mise à mort, pardon mon jugement, le 5 janvier, très lisible et avec les pages dans l'ordre...

Il y est écrit que les débats ont effectivement eu lieu à l'audience publique du 17 septembre 1998, sous la présidence de Mme Dumon (ainsi, le juge avait changé entre-temps, bien entendu je l'ignorais totalement), à laquelle j'étais «défaillant» !

D'ailleurs, précise-t-on, «Le défendeur, Robert Alessandri, quoique régulièrement assigné à personne [tout est normal, vous dis-je], n'a pas constitué avocat».

Après deux fautes aussi graves (ne pas m'être présenté à une audience dont je n'avais pas été averti, et ne pas m'être privé de manger pour pouvoir payer un avocat avec mon R.M.I.), je ne pouvais qu'être reconnu coupable, et lourdement condamné !

Détail comique, la date du délibéré avait été fixée au... 5 novembre 1998 ! Peut-être que Monsieur Velasco a eu peur que cette date lui porte malchance, puisqu'elle a été finalement reportée au 26 novembre...

Le jugement mentionne donc sans la moindre précision toutes les phrases relevées dans l'assignation, puisque de tout évidence mon article n'a pas été lu, ne tient aucun compte de la faible diffusion de la revue qui n'était bien entendu pas précisée dans ladite assignation (elle l'était dans l'article d'I.N.H. Contact joint au dossier et relativement lisible, mais à quoi bon prendre la peine de le lire puisque la défense était «défaillante» ?)

Et donc, trêve de suspense, je suis condamné à verser trente mille francs à Monsieur Velasco à titre de dommages et intérêts, plus six mille francs pour les frais de justice. Ça n'est pas loin des condamnations habituelles pour les affaires de diffamation (un peu moins tout de même : la juge a dû estimer que puisqu'elle n'avait jamais entendu parler de cette revue, ça ne devait pas être tout à fait autant diffusé qu'Ici-Paris ou Voici !) Trente-six mille francs, c'est à peu près le double de ce que la revue a coûté (impression et expédition, tout le reste étant bénévole), et quatre fois ce qu'elle a rapporté pour l'instant, puisqu'elle est loin d'avoir été amortie.

Détail amusant alors que l'aide juridictionnelle m'avait été refusée parce que j'étais responsable de l'association éditant la revue : la revue, et donc l'association, serait en outre en droit de me réclamer les frais d'insertion dans le prochain numéro d'extraits du jugement... Mais sans toutefois que «le coût de cette insertion puisse excéder la somme de 5000 F»... À ce prix-là, on peut en répéter trois fois l'intégralité !

Tout ça me rappelle Pierre Richard dans un film français idiot (double pléonasme, mais cette réplique m'avait amusé !) s'esclaffant lorsqu'un milliardaire le menace de lui réclamer 100000 F de dommages (tout cela est approximatif) pour les dégâts qu'il avait occasionnés à sa propriété : «Si vous disiez 5000 F, je serais embêté parce qu'avec beaucoup de difficultés je pourrais les payer... Mais là, c'est tellement au-dessus de mes moyens que je ne peux que me tordre de rire».

Enfin, il reste encore un espoir que cette affaire soit réellement jugée par «un tribunal indépendant et impartial» qui entendra ma cause «équitablement et publiquement», bref qui respectera les droits de l'homme. Je n'ai pas l'impression que Monsieur Velasco souhaite qu'il y ait un vrai procès, dans lequel sa compétence sera nécessairement évaluée, mais en ce qui me concerne je ferai de mon mieux pour que ce procès ait lieu (tant qu'on ne me demandera pas pour payer pour cela !)

Je me suis donc rendu à Aix-en-Provence, dans les délais prescrits, pour demander à nouveau l'aide juridictionnelle, cette fois pour aller en appel... Et là, on ne m'a pas dit d'emblée que je n'y avais pas droit, on m'a fait remplir un dossier qui sera examiné par une commission... Après tout, peut-être que les absurdités judiciaires auxquelles j'ai été confronté se limitent à la ville de Marseille ! Réponse, m'a-t-on dit, début mars...

On peut avoir l'impression que je ne suis bon qu'à attaquer tout le monde : après le chef du SEPRA, c'est à la justice française que je m'en prends... Le monde entier serait-il contre moi ?

Il est vrai que tout ufologue qui se respecte se doit d'être plus ou moins paranoïaque... Mais puisque j'en suis conscient, je ne dois pas être trop gravement atteint, et je pense avoir conservé un minimum de lucidité... J'ai exposé très précisément ce qui s'est passé, je jure que je n'ai rien inventé, et il me semble que l'on peut sans être totalement fou trouver anormal d'être ainsi jugé sans avoir la possibilité de se défendre, sans même être entendu ni être invité à son procès ! Si j'ai tort, dites-le moi !

Certes, le pauvre Velasco n'est probablement pour rien dans tout cela (encore que ça ne soit pas certain : sa façon d'éviter de répondre à mes arguments m'en fait douter, puisqu'il sait bien que si je peux me défendre le débat portera là-dessus !)... Et je dis pauvre parce que c'est sûrement lui qui va en pâtir, l'affaire risquant de prendre des proportions démesurées ! Je ne voudrais surtout pas qu'on lui reproche d'avoir attaqué «un pauvre bougre qui n'a pas les moyens de se défendre» ! Non, ce qui est anormal, c'est qu'il soit nécessaire d'«avoir les moyens» pour se défendre !
Robert Alessandri