COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
PARQUET GENERAL


R. G. N° : 99/01884 - Audience du 19 Décembre 2000 1ère Chambre Civile A

CONCLUSIONS DU MINISTERE PUBLIC


LE PROCUREUR GENERAL Près la COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE,

Vu la procédure en cuse d'Appel suivie entre :

Mr Robert ALESSANDRI, demeurant 81, Rue Auguste BLANQUI, 13005 MARSEILLE, pris en ses qualités de Directeur et Rédacteur en Chef de la revue "UNIVERS OVNI" et en tant qu'auteur d'articles parus dans cette revue,

APPELANT,

Représenté par la S. C. P. LIBERAS-BUVAT-MICHOTEY, Avoués,

Plaidant par Maître RANCAN, Avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

ET :

Mr Jean-Jacques VELASCO, demeurant [...]

INTIME,

Représenté par la S. C. P. TOLLINCHI & PERRET, Avoués,

Plaidant par Maître BARTHET, Avocat au Barreau de TOULOUSE,

Vu le Jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE le 26 Novembre 1998 et dont Appel,

A l'honneur d'exposer ce qui suit :

I - FAITS ET PROCEDURE


1° - Mr Jean-Jacques VELASCO est le responsable du Service d'Expertise des Phénomènes de Rentrées Atmosphérique dit SEPRA. Il s'agit d'un Service du Centre National d'Etudes Spatiales (C. N. E. S.).

Une Association d'Etudes des Manifestations d'Intelligences non Humaines, dite "I. N. H. Evidence", fait paraître une revue intitulée "UNIVERS OVNI" dont le Directeur de la Publication et le Rédacteur en Chef est Mr Robert ALESSANDRI sous la plume de qui paraissent des articles dans ce périodique.

2° - Par acte d'huissier en date du 29 décembre 1997, Mr Jean-Jacques VELASCO faisait assigner Mr Robert ALESSANDRI, en ses qualités de Directeur de la Publication et de Rédacteur en Chef de la revue précitée ainsi qu'en tant qu'auteur de deux articles publiés dans ledit périodique (N° 2 couvrant la période d'Octobre à Décembre 1997), en responsabilité du dommage qu'il disait lui avoir été causé en pareille circonstance du fait de telles publications, sur le fondement de l'Article 1382 du Code Civil, ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts, outre l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. À cet égard, le demandeur faisait alors état d'un article signé par Mr Robert ALESSANDRI, publié entre les pages 16 à 29 du numéro incriminé sous le titre : "LE CULTE DU 5 NOVEMBRE 1990". Ainsi, il se plaignait de passages écrits mettant en cause sa compétence professionnelle et son sérieux.

Par conclusions subséquentes signifiées le 22 Juin 1998, Mr Jean-Jacques VELASCO faisait observer que Mr Robert ALESSANDRI avait réitéré ses dires "diffamatoires et injurieux" dans le dernier bulletin de liaison de l'Association d'Etudes des Manifestations d'Intelligences non Humaines, dite I. N. H. Evidence, d'où une volonté manifeste de nuire de la part de l'auteur de ce dernier écrit.

Régulièrement cité à domicile, Mr Robert ALESSANDRI ne comparaissait pas et ne se faisait pas représenter.

3° - Par Jugement réputé contradictoire en date du 26 Novembre 1998, le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE :
- condamnait le défendeur à payer à Mr Jean-Jacques VELASCO la somme de 30.000 Frs à titre de dommages-intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil,
- ordonnait la publication par extraits de cette décision dans le plus prochain numéro à paraître de la revue UNIVERS OVNI aux frais du défendeur,
- condamnait ce dernier à verser à Mr Jean-Jacques VELASCO la somme de 6.000 Frs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre le remboursement des dépens.

Dûment signifié le 8 janvier 1999 à la personne de Mr Robert ALESSANDRI, le Jugement dont il s'agit faisait l'objet d'un appel régulièrement interjeté par l'intéressé le 27 du même mois. De son côté, Jean-Jacques VELASCO constituait avoué le 24 Mars 1999.

4° - En l'état, Mr Robert ALESSANDRI conclut à l'infirmation de la décision entreprise et, par conséquent, au débouté de son adversaire. Subsidiairement, dans l'hypothèse où sa responsabilité serait retenue, il demande à la COUR de limiter le montant des dommages-intérêts au "franc symbolique"; Enfin, il sollicite l'allocation de la somme de 10.000 Frs sur le fondement des Articles 36 et 75 de la Loi du 10 Juillet 1991, outre le remboursement des dépens.

L'intimé, quant à lui, demande à la COUR de confirmer le Jugement querellé en toutes ses dispositions, sauf à y ajouter la condamnation de Mr Robert ALESSANDRI au paiement de la somme de 17.000 Frs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre l'imputation des dépens à son adversaire.

II - MOYENS ET OBSERVATIONS DES PARTIES :


5° - Pour faire grief à la décision attaquée, Mr Robert ALESSANDRI soutine que les premiers Juges ont fait une application erronée des faits de la cause en ne retenant que des propos extraits de leur contexte pour en conclure à un dépassement outrancier et fautif générateur de responsabilité délictuelle.

Sa critique s'articule essentiellement sur des faits relatifs à une importante rentrée atmosphérique observée en FRANCE le 5 Novembre 1990 due à le retombée sur terre du troisième étage d'une fusée soviétique Proton. À cette occasion, l'avis et les explications du SEPRA, par l'intermédiaire de Mr Jean-Jacques VELASCO, étaient sollicités et attendus, tant par la communauté scientifique que par le grand public. Si celui-ci a pu être rassuré par les publications faites par voie de presse ou à la télévision, les hésitations, les erreurs grossières et les explications approximatives de Mr VELASCO ont en revanche largement troublé, désappointé, voire excédé la communauté scientifique qui s'intéresse de près à ce type de phénomène. Dès lors, par les publications litigieuses, Mr Robert ALESSANDRI prétend qu'il a voulu simplement dénoncer le comportement de son adversaire, de tels écrits ayant du reste été publiés en un petit nombre d'exemplaires et à faibles moyens.

Ainsi, dans l'article incriminé paru dans le 2ème numéro de la revue trimestrielle "UNIVERS OVNI", Mr Robert ALESSANDRI estime qu'il met en évidence, outre les atermoiements inexcusables de Mr VELASCO quant à l'identification du phénomène, quatre séries d'erreurs graves quant à leurs conséquences, à savoir : des erreurs sur la trajectoire, l'appréciation de la durée du phénomène, l'interprétation des aspects de ce dernier et enfin l'identification d'une photographie prise le 5 novembre 1990.

Par conséquent, sur le plan scientifique, de telles erreurs permettent de conclure à l'incompétence de leur auteur dans la mesure où celui-ci est présenté comme Expert national. Ceci justifie donc une critique virulente susceptible de se développer.

Puis, après avoir précisé certaines notions d'ordre terminologique tirées du dictionnaire, Mr Robert ALESSANDRI ajoute que la mission du SEPRA consiste à prendre en compte officiellement le suivi des objets satellisés rentrant dans l'atmosphère. Il s'agit là d'une mission de prévention des retombées de débris sur les populations civiles.

Et l'appelant d'en conclure que la critique des capacités professionnelles de Mr VELASCO s'appuyant sur des faits précis, une démonstration rigoureuse dénuée d'animosité personnelle et intellectuellement honnête, ne peut être qualifiée de dépassement d'une critique normale, objective, raisonnable et constructive dans la mesure où : d'une part, il s'agit d'un domaine qui touche aux intérêts généraux de la Société, d'où, pour le public, un droit à l'information tout à fait légitime et exclusif de toute intention de nuire; d'autre part, eu égard aux faits de la cause, l'auteur de l'article litigieux s'est montré d'une évidente bonne foi justifiant sa critique eu égard à la mission de prévention exclusivement confiée à Mr VELASCO sur le plan national.

6° - Pour sa part, Mr Jean-Jacques VELASCO oppose les arguments suivants :

Il est le directeur du Service d'Expertise des Phénomènes de Rentrée Atmosphérique dit SEPRA qui dépend du Centre National des Etudes Spatiales (C. N. E. S.). Une Association d'Etudes des Manifestations d'Intelligences non Humaines, dite I. N. H. EVIDENCE, fit paraître une revue intitulée UNIVERS OVNI dont Mr Robert ALESSANDRI est le Directeur de la Publication et le Rédacteur en Chef.

De périodicité trimestrielle, le N° 2 de cette revue recouvre les mois d'Octobre à Décembre 1997. Dans les pages 16 à 29 de cette revue, a été publié un article sous la signature de l'appelant intitulé :  "LE CULTE DU 5 NOVEMBRE 1990" donnant le point de vue de son auteur sur l'observation faite ce jour-là "d'un immense ensemble de lumières qui traversait le ciel dans le plus parfait silence".

L'auteur de l'article incriminé mentionnait en exergue que "quelques jours plus tard, le SEPRA, service officiel d'étude des OVNI, annonçait qu'il s'agissait de la rentrée dans l'atmosphère du troisième étage d'une fusée soviétique PROTON".

Et, non satisfait d'une telle explication, Mr Robert ALESSANDRI d'ajouter : "Une identification contestée par beaucoup d'ufologues, et la controverse fait encore rage plus de 6 ans après les événements. Simple rentrée atmosphérique ou plus importnte vague d'ovnis en France depuis 1954 ? Le point sur une question qui est devenue une affaire de foi bien plus que de recherche".

Puis, Mr Jean-Jacques VELASCO précise qu'au lieu de se livrer à un exposé de ses arguments et à une critique technique, Mr Robert ALESSANDRI a porté à son encontre des appréciations inadmissibles et fautives. On peut en effet lire, en page 16, ... pourquoi les ufologues... "ont-ils préféré discuter uniquement des affirmations du directeur du SEPRA, ce scientifique de dernier sous-sol dont tout le monde sait qu'il n'a qu'une fonction de relations publiques". Puis, en page 17 dudit Article, il est fait état que "les contradictions du SEPRA s'expliquent par l'incompétence totale de son directeur en la matière".

En outre, l'encadré des pages 18 et 19 du même article est intitulé : "quand le C. N. E. S. emploie des fumistes. On y lit encore : ... "et lorsque cet expert s'est empêtré dans d'invraisemblables contradiction, imprécisions et silences, nos ufologues, mal informés sur des phénomènes peu courants qui n'intéressent pas grand-monde, ont naturellement pensé que ce porte-parole de la science officielle mentait pour cacher une réalité dérangeante". "Comment auraient-ils pu se douter que le Directeur du Service d'Expertise des Phénomènes de Rentrées Atmosphériques était d'une nullité absolue en la matière ?", "que s'il ne répondait pas aux questions que lui posaient les ufologues et les témoins, c'était parce qu'il ignorait totalement les réponses". "Cette profonde incompétence, VELASCO n'a jamais cherché à la corriger durant les années qui ont suivi"...

Suivent d'autres citations qui peuvent être aisément retrouvées dans les conclusions de l'intimé.

Ceci exposé, Mr Jean-Jacques VELASCO observe que son adversaire s'est volontairement abstenu de comparaître en première instance. Il lui reconnaît par ailleurs le droit d'émettre des critiques sur le plan scientifique, même si elles se révèlent sans fondement, mais à condition de rester dans certaines normes sur le plan terminologique. De surcroît, à la suite de la publication de l'article litigieux, Mr ALESSANDRI fut destinataire, à l'initiative du C. N. E. S., d'une lettre de protestation. Aussi ne peut-il exciper de la légitimité des critiques par lui formulées.

III - DISCUSSION :


7° - Aucune difficulté n'apparaît quant à la recevabilité de l'appel relevé par Mr Robert ALESSANDRI à l'encontre du Jugement réputé contradictoire rendu à son encontre.

Cependant, il importe d'observer que l'action initialement introduite par Mr Jean-Jacques VELASCO ne peut être envisagée sur le fondement des Articles 1382 et 1383 du code civil, dans la mesure où, applicable en l'espèce, la Loi du 29 Juillet 1881 s'analyse en un texte dérogatoire au Droit commun, tel étant le sens, à cet égard, d'une jurisprudence constante.

Aussi importait-il de savoir si, en première instance, la prescription de trois mois prévue par ce texte avait été interrompue car, dans la négative, la procédure s'en fût trouvée viciée, l'éventualité d'une telle irrégularité s'analysant en un moyen d'ordre public.

Or, au fil de l'élaboration des présentes écritures, le Ministère Public a estimé prudent de prendre la précaution de se faire communiquer la procédure suivie devant le Tribunal. En effet, le Jugement présentement déféré fait état d'une assignation délivrée le 29 Décembre 1997, puis de conclusions additionnelles signifiées le 22 Juin 1998. Or, il ressort du dossier de la procédure suivie devant le Juge du premier degré qu'un acte contenant des conclusions a été délivré à la personne de Mr Robert ALESSANDRI le 25 Mars 1998, d'où le respect scrupuleux du fatidique délai de trois mois, du reste respecté par l'intimé en cause d'appel.

8° - Donc, il ne reste plus qu'à envisager le litige au fond. À cet égard, Mr Robert ALESSANDRI se retranche derrière des considérations purement terminologiques en considérant que les mots "fumiste" et "incompétent" figurent au dictionnaire.

Or, aussi habile et pertinente qu'elle soit, sur le strict plan du vocabulaire, l'argumentation qu'a développée Mr Robert ALESSANDRI doit être envisagée par rapport à l'esprit qui l'animait. En effet, il convient d'observer qu'une critique, fût-elle objective, doit s'exprimer en des termes pondérés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Ainsi, exprimés à mots non couverts, les propos tenus par Mr Robert ALESSANDRI dans l'article de presse présentement déféré à la COUR et dont il fut l'auteur s'analysent à tout le moins à une injure publique génératrice d'un préjudice pour Mr Jean-Jacques VELASCO, directement mis en cause et par conséquent victime des agissements de son adversaire.

Sur ce point, il convient de s'en référer purement et simplement au Jugement attaqué méritant d'être confirmé en toutes ses dispositions, sans préjudice d'une éventuelle amende pour fol appel.

PAR CES MOTIFS :


Le Ministère Public requiert qu'il plaise à la COUR :

Déclarer recevable en la forme l'appel relevé par Mr Robert ALESSANDRI à l'encontre du Jugement rendu le 26 Novembre 1998 par le Tribunal de grande Instance de MARSEILLE;

Confirmer ledit Jugement en toutes ses dispositions, en application : non des Articles 1382 et 1383 du code civil, mais de la Loi du 29 Juillet 1881;

Y ajoutant, condamner Mr Robert ALESSANDRI a paiement d'une amende de 5.000 Frs pour fol appel;

Le condamner aux dépens.

FAIT AU PARQUET GENERAL, A LA COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE, le DOUZE DECEMBRE DEUX MILLE.

P/ LE PROCUREUR GENERAL