Robert Alessandri
81 rue Auguste blanqui
13005 Marseille


Marseille, le 18 juillet 2002


Cher Maître,



Le service d'Aide juridictionnelle de la Cour de Cassation m'a informé que vous aviez été désigné pour me défendre dans l'affaire qui m'oppose à M. Velasco, directeur du Service d'expertise des phénomènes de rentrées atmosphériques au CNES.

Je ne sais pas comment va se dérouler la procédure, je suppose que le dossier vous a été transmis, mais je vous apporte quelques précisions et y joins un exemplaire de la revue qui m'a valu ces poursuites, plus lisible que les photocopies.

Depuis l'assignation en première instance (où je n'avais pu me défendre du fait que l'Aide juridictionnelle avait refusé de prendre en compte ma demande, prétextant du fait que j'étais attaqué à titre de «directeur de publication» et représentant d'une association) jusqu'à la clôture du dossier en appel, il a toujours été clair pour moi que j'étais poursuivi pour diffamation et non pour injures.

J'étais poursuivi en «réparation de préjudice» sur le fondement très vague de l'article 1382 du Code Civil, et non dans le cadre beaucoup plus précis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, où la distinction prend toute son importance.

Tout au long de la procédure, l'accusation m'a accusé sans distinction d'«appréciations manifestement diffamatoires et injurieuses», d'«imputations diffamatoires et expressions injurieuses», de «termes outrageants et expressions diffamatoires», sans qu'il soit jamais précisé ce qui serait diffamatoire ou injurieux... Puisque d'autre part M. Velasco ne me contestait pas «le droit de critiquer les conclusions du SEPRA, même si ces critiques sont sans fondement et scientifiquement erronées, mais à la condition qu'elles s'inscrivent, comme l'a retenu le jugement dont appel, dans une critique normale, objective, raisonnable et constructive», et qu'il me «déniait la possibilité de contester sa compétence professionnelle, alors qu'il bénéficie de la confiance de son employeur, le CNES, et de la communauté des ingénieurs et professionnels avec lesquels il travaille», il était évident que même dans son esprit, c'était la diffamation le motif principal, le terme d'injures n'étant ajouté que pour faire bonne mesure.

Ça n'est que le 14 décembre 2000, après la clôture du dossier et seulement quinze jours avant la date d'audience initialement prévue, que le Ministère public a dans son intervention surprise placé l'affaire dans le contexte de la loi sur la liberté de la presse, et a demandé que je sois condamné pour «injure publique génératrice d'un préjudice», ne mentionnant plus la diffamation. Et M. Velasco faisait de même de son côté en répondant à la sommation interpellative qui lui a été délivrée le 15 novembre 2000 : «Je n'entends pas apporter de réponse précise aux questions posées. Elles ne sont pas liées à l'action pour injure que j'ai engagée». Mais je n'ai pu prendre connaissance de cette réponse qu'immédiatement avant l'audience, l'huissier qui l'avait signifiée ayant refusé longtemps de la transmettre en estimant que cet acte ne pouvait être couvert par l'Aide juridictionnelle.

Cela démontre du reste qu'il y a eu une véritable collusion (le terme ne me semble pas excessif) entre le Ministère public et l'accusation, puisque M. Velasco n'était pas censé connaître les intentions du Ministère public avant qu'il ait déposé ses conclusions le 14 décembre, et le Ministère public n'avait normalement pas connaissance de la sommation interpellative puisqu'elle n'a pas pu être versée au dossier.

Quoi qu'il en soit, le juge n'ayant pas tenu compte des remarques de mon avocat lors de l'audience au sujet de cette absence de distinction entre injures et diffamation, il a trouvé pratique de me condamner pour injures, ce qui lui évitait d'avoir à se prononcer sur les compétences professionnelles de mon adversaire, alors que j'avais toujours cru à juste titre être poursuivi pour diffamation... C'est totalement contraire à l'article 53 de la loi de 1881 par laquelle je suis condamné, lequel indique :

«Dans l'intérêt de la défense, l'objet de la poursuite et les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre sont définitivement fixés par la citation; le prévenu ne doit avoir aucune incertiude sur les faits qui servent de base à la poursuite, sur la signification qui leur a été donnée».

La jurispridence concernant cet article est on ne peut plus claire :

«Une imputation unique ne peut être poursuivie à la fois comme injure et comme diffamation, et la citation qui retiendrait cumulativement les deux délits serait nulle».

«Lorsqu'une imutation diffamatoire contient une expression injurieuse, l'injure est absorbée, et seule la diffamation est poursuivie».

«L'article 53 de la loi de 1881 interdit au juge de requalifier les faits qui lui sont soumis, et ce, par exception aux principes posés par l'article 12 du Nouveau Code de Procédure Civile; il ne peut notamment requalifier les infractions dont la définition est incompatible, telles la diffamation et l'injure».

Le juge d'appel indique pourtant lui-même dans sa condamnation qu'il a procédé à une telle «requalification» : «Attendu qu'il incombe au juge de restituer leur exacte signification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée». Et il écrit pour s'en justifier : «Attendu que mes dix phrases citées textuellement dans l'assignation comportant des termes estimés injurieux, qualifiés comme tels par le premier juge»... et «Attendu que le caractère parfaitement injurieux, non sérieusement contesté par Robert ALESSANDRI, d'ailleurs, a été admis par le premier juge selon des motifs pertinents que la Cour adopte expressément»...

Il prétend donc s'appuyer sur les motifs du jugement de première instance, alors que ce dernier n'a JAMAIS parlé d'injures ! Ce premier jugement me condamnait seulement pour «dépassement outrancier et fautif, au sens de l'article 1382 du Code Civil, des droits d'une critique normale, objective, raisonnable et constructive.» Cela relève manifestement de la diffamation, non de l'injure !

Je ne pense donc pas qu'il y ait de difficulté pour casser le jugement sur ce motif, mais j'imagine que la Cour devra décider sur quel motif je devrai être rejugé, et il me semble que ça devra être uniquement pour diffamation :

— dans les dix citations dont les termes me sont reprochés dans l'assignation, la plupart font référence à la totale ignorance qu'a M. Velasco dans le domaine spécifique des rentrées atmosphériques : «incompétence totale de son directeur en la matière», «nullité absolue en la matière», «profonde incompétence», «aucune compétence dans le domaine des rentrée atmosphériques, et visiblement aucune connaissance non plus»... Et cette incompétence totale étant largement démontrée en s'appuyant sur des faits précis discutés de façon objective, cela ne peut être discuté que sous le terme de diffamation;

— le terme de «fumiste», que les dictionnaires définissent comme «personne peu sérieuse, sur qui l'on ne peut compter», n'est certainement pas excessif ni injurieux dans le cas de quelqu'un qui n'a pas le moindre début de connaissance dans un domaine technique très précis mais se présente comme expert national précisément dans ce domaine;

— la qualification de «scientifique de dernier sous-sol dont tout le monde sait qu'il n'a qu'une fonction de relations publiques» ne pourrait être injurieuse que si elle désignait un authentique scientifique. Mais les prétentions scientifiques de ce Monsieur sont aussi déniées de façon objective dans l'article qui m'est reproché, aussi bien ses titres (ingénieur d'une «école d'optique de Paris» qui n'existe pas) que ses compétences dans des domaines dont il se prétend expert et que sa démarche;

— quant au fait qu'un tel personnage serait «nuisible à la réputation du CNES», ça devient un truisme au vu de ce qui précède !


Vous remarquerez que le fait d'avoir redéfini en injures ce qui ne pouvait à mon avis se rapporter qu'à la diffamation a conduit le juge à inverser totalement la signification des pièces du dossier :

— la lettre de soutien de Jean-Claude Pecker, astrophysicien membre de l'Académie des sciences, affirmant que mes critiques lui semblent «judicieuses et bien argumentées sur le fond du problème» et que le SEPRA a été «léger dans ses conclusions», n'est mentionnée que pour montrer que «la faible répercussion d'une polémique un peu obsessionnelle [...] n'a été relayée qu'auprès d'un ancien professeur au Collège de France ne permet pas de considérer que Jean-Jacques Velasco [...] ait subi un préjudice notoire au sein de la communauté scientifique à laquelle il appartient» (ce qui sous-entend que si d'autres scientifiques m'avaient apporté leur soutien de la même manière que Jean-Claude Pecker, cela aurait démontré un préjudice important et aggravé ma condamnation : cette lettre est donc bien dans la «logique» du juge un élément à charge !)

— inversement, le courrier du CNES soutenant son employé est mentionné pour montrer que «le crédit à l'égard de son employeur ne semble nullement atteint», et devient donc un élément à décharge... C'est le monde à l'envers !


Enfin, mon avocat en appel Maître Rancan m'avait informé que la procédure de cassation n'était pas suspensive et que M. Velasco pouvait la bloquer si je ne payais pas le montant des dommages et intérêts. Il m'avait par contre dit que cela ne concernait que les dix-mille francs de condamnation pour dommages et intérêts (plus les intérêts), et pas les 8000 F au titre de l'article 700... Je vous remercie de bien vouloir me le confirmer, et je suis prêt à régler cette somme pour que la procédure se poursuive.


En vous remerciant de l'attention que vous voudrez porter à cette affaire, je vous prie d'agréer, cher Maître, l'expression de ma considération distinguée


Robert Alessandri