Quand un ballon espion chinois survolait la France
(10/03/2023)


Vous pouvez traduire ce texte dans la langue de votre choix :


On a beaucoup parlé du ballon espion qui a survolé les États-Unis entre le 28 janvier et le 4 février, et qui a fini par être abattu. Depuis, les gouvernements de plusieurs pays s'interrogent pour savoir si leur pays a aussi été survolé par de tels ballons... Mais pas en France, où on nous assure que ça n'a jamais été le cas... Et pourtant...


Ciel, un ballon chinois espionne les États-Unis

Ç'a été la saga de cet hiver, le ballon espion chinois qui a survolé les États-Unis à quelque 20000 m d'altitude. Il a été repéré le 28 janvier lorsqu'il a survolé l'Alaska, et on en a vite pris de nombreuses photos.

Ballon sphérique avec de gros panneaux solaires

Il a traversé tous les États-Unis, dont le gouvernement s'est contenté dans un premier temps de l'approcher avec un avion U-2, le seul capable d'atteindre une telle altitude. Le pilote a pris un joli selfie en souvenir :



C'est sans doute pour éviter qu'il puisse faire des dégâts au sol qu'on a préféré attendre qu'il soit au large des côtes de Caroline du Sud pour l'abattre, avec un missile tiré depuis un chasseur F-22.

Et pour bien montrer qu'il n'était plus question que des ballons, quels qu'ils soient, violent leur espace aérien, les États-Unis ont abattu dans les jours qui ont suivi trois autres ballons non identifiés au-dessus de l'Alaska, du Yukon et du lac Huron. Il s'est vite avéré qu'il s'agissait de bien inoffensifs « pico-ballons » lancés par des amateurs, de simples ballons en mylar portant une charge de quelques grammes. Celui du Yukon a été identifié : répondant au joli nom de K9YO, ce vaillant petit ballon lancé par un club d'amateurs de l'Illinois venait d'effectuer son sixième tour du monde, après 123 jours de vol, lorsqu'il a été sauvagement abattu... Quatre missiles à 400 000 dollars chacun pour détruire trois ballons en mylar comme on en trouve dans toutes les fêtes foraines, ça semble un peu excessif.

Voici comment se présentent généralement ces pico-ballons :

Ballon en mylar aluminisé portant un petit circuit intégré et deux petits capteurs solaires

C'est vrai qu'il y a un petit air de ressemblance, mais l'échelle n'est pas vraiment la même ! Le ballon lui-même a un diamètre de quelque 80 cm, et la charge est constituée d'un petit circuit imprimé de quelques centimètres carrés portant en général un micro-contrôleur, un module GPS et un petit émetteur radio, alimenté directement par des capteurs solaires de taille semblable, le tout ayant une masse d'une vingtaine de grammes.

Et il n'y a besoin d'aucune autorisation pour lancer de tels ballons, tant que leur masse ne dépasse pas 1,8 kg.

Il faut tout de même préciser à la décharge des Américains que la surface métallisée d'un tel ballon a une signature radar identique à une structure métallique massive de même taille... Qui reste tout de même loin de la nacelle portée par le ballon espion chinois.

Ce que l'on a appris

La photo prise depuis le F-2 est très détaillée :

Gros plan montrant l'enveloppe du ballon avec l'ombre du U-2, et la nacelle avec ses gros panneaux solaires

D'abord, on voit sur l'enveloppe du ballon l'ombre du U-2 (longueur 19,2 m), permettant d'estimer le diamètre du ballon à 45 m, pour une hauteur de 36 m. Une dimension confirmée par des photos de satellites.

Et puis, on voit beaucoup de détails de la nacelle, dont la structure a 35 m de longueur. Les panneaux solaires, bien orientés vers le soleil, représentent une surface d'environ 100 m2, ce qui doit correspondre à une puissance d'environ 30 kW lorsqu'ils sont éclairés. Ça fait beaucoup pour des appareils d'espionnage, et il est probable qu'une bonne partie de cette énergie soit utilisée pour pouvoir manœœuvrer le ballon. On distingue justement quatre hélices d'environ 2,5 m de diamètre.

Son altitude était d'environ 20 000 m (un peu plus lorsqu'il est entré au-dessus du territoire, un peu moins quand il a été abattu).

On a dit qu'il transportait presque une tonne de matériel, ce qui est vraisemblable. On sait que ce ballon était rempli d'hydrogène, au fait qu'un nuage de gouttelettes d'eau s'est formé lorsque le ballon a été abattu. Un ballon se maintient en altitude en raison de la poussée d'Archimède : elle est égale à la différence entre le poids du ballon et celui du volume d'air occupé. L'air au niveau du sol a une densité de 1,225 kg/m3, mais à 20 km d'altitude elle n'est plus que de 88,9 g/m3. L'hydrogène qui remplissait le ballon est dix-sept sept fois plus léger que l'air, la poussée d'Archimède à cette altitude est donc de 84 g/m3... Un peu moins du fait que l'hydrogène est maintenu un peu sous pression, ou un peu plus du fait que la température est plus élevée qu'à l'extérieur, on gardera donc cette approximation. Le ballon de 45 m de diamètre occupe un volume de 38000 m3 s'il a une forme ellipsoïde (ça serait en fait un peu plus d'après les experts), il porte donc 3,2 tonnes y compris le poids de son enveloppe. Mais c'est moins s'il doit pouvoir atteindre une altitude plus élevée. Par exemple, à 25 km la densité de l'air n'est plus que de 40,1 g/m3, la masse totale du ballon se limite alors à 1,4 tonne. En fait, si les États-Unis révèlent un jour quelle était la masse totale du ballon, puisqu'ils ont bien entendu pris soin de récupérer tous les débris, on saura à peu près quelle altitude il pouvait atteindre.

Et bien sûr, la masse pouvant être emportée inclut celle de l'enveloppe du ballon, qui représente sans doute une bonne partie du total. La surface est d'environ 6000 m2, si l'enveloppe pèse autant que le papier bureautique la masse est de presque une demi-tonne. Et elle doit même être supérieure pour résister à la pression et aux diverses contraintes, on arrive donc bien à environ une tonne de charge utile.

Et les 100 m2 de panneaux solaires doivent aussi représenter une masse importante, de même que les batteries servant à stocker de l'énergie pour la nuit.

Les États-Unis ont révélé que la Chine avait lancé une dizaine de ballons semblables depuis 2018, qui avaient survolé une quarantaine de pays. Un autre ballon survolait à peu près au même moment l'Amérique du Sud. Ces ballons sont lancés depuis l'île de Hainan, en mer de Chine.

On connaît même le fabricant : Zhuzhou Rubber Research & Design Institute Co., qui fabrique de nombreux ballons météo pour le monde entier, mais qui a aussi comme client l'armée chinoise. Et on sait que 14 ballons de grande taille équipés d'hélices propulsives ont été livrés à l'armée ces dernières années, il n'est donc pas douteux qu'il s'agisse de cela.

Ce qui est certain, c'est que contrairement à ce qu'affirment les Chinois ces ballons ont bien une fonction militaire. Outre que tous les détails que l'on peut voir de leur équipement le suggèrent, un ballon civil aurait été doté d'un transpondeur permettant de suivre publiquement et en temps réel sa position, comme tous les avions civils et tous les ballons stratosphériques de grande taille.

Ceux qui veulent en savoir plus sur ces ballons peuvent lire l'intéressante analyse du passionné de ballons stratosphériques Luis Pacheco sur son site Stratocat, et pour une étude plus technique le rapport de l'ingénieur de la NASA spécialiste en ballons Rodger Farley.

Un ballon, quel intérêt ?

L'utilisation militaire de ballons pour atteindre des pays lointains n'est pas nouvelle... On connaît par exemple le projet Fugo des Japonais à la fin de la seconde guerre mondiale. Il s'agissait d'envoyer quelque 5000 ballons de 10 m de diamètre fait en feuilles de bois de mûrier, emportant plus de 400 kg de charge incendiaire et bombe antipersonnel, qui devaient traverser le pacifique en 3 jours en étant portés par un jet-stream, un des quatre courants de la haute atmosphère qui avaient été découverts peu avant par un Japonais. Environ un dixième des ballons ont bien atteint les États-Unis, provoquant peu de dégâts mais occasionnant les seules pertes civiles de la guerre pour les États-Unis, un groupe de cinq enfants et la femme du pasteur qui les accompagnait.

Et une dizaine d'années plus tard, en 1956, ce sont les Américains qui ont envoyé avec le projet Genetrix quelque 500 ballons à une altitude de 15 à 30 km pour espionner l'URSS et la Chine. Sans grand succès parce qu'à l'époque il fallait récupérer les ballons pour avoir leurs photos, et ça n'a été le cas que du dixième d'entre eux. Le programme a donc été rapidement abandonné pour laisser la place à l'avion U-2, et quelques années plus tard aux satellites.

Ces deux programmes étaient fascinants pour l'époque, mais certains se demandent quel peut être l'intérêt d'un ballon espion à l'ère des satellites.

Mais un ballon à 20 km d'altitude est plus de dix fois plus proche du sol qu'un satellite en orbite basse, il peut prendre des photos plus précises même avec un matériel moins performant, et il peut aussi capter des émissions inaccessibles aux satellites, comme celles des téléphones portables. Et puis, un satellite en orbite basse se déplace à 28000 km/h et ne peut donc espionner une région donnée que quelques minutes au maximum à chaque passage, alors qu'un ballon peut rester à peu près stationnaire pendant une longue période.

Et un tel ballon coûte aussi beaucoup moins cher qu'un satellite, ou qu'un avion espion tel que l'U-2 ou le SR-71 qui volent à une altitude similaire.

Il est aussi difficile à détecter. L'enveloppe en plastique n'est pratiquement pas détectable au radar, et les parties métalliques ne sont que dans sa nacelle, tout de même assez imposante en l'occurrence. Le ballon est aussi bien visible, c'est d'ailleurs comme cela qu'il s'est signalé, mais bien sûr ça n'aurait pas été le cas s'il avait survolé le territoire la nuit. Et un ballon de cette taille est aussi repérable sur les vues satellite, mais là encore uniquement le jour. Il est aussi repérable aux infrarouges, surtout s'il utilise quelque 30 kW d'énergie, il a d'ailleurs été abattu par un missile guidé aux infrarouges.

Le désavantage, c'est donc qu'il peut être abattu... Un avion espion aussi d'ailleurs, et plusieurs U-2 a été abattus... Pas le SR-71 ni son supposé remplaçant parce qu'ils vont trop vite pour être rattrapés par un missile, mais ça limite aussi leur temps de survol d'un territoire donné.

Il était assez fatal qu'en survolant un pays tel que les État-Unis en plein jour il serait abattu, et il est probable qu'il n'était pas censé le faire. Peut-être n'a-t-il pas pu se dégager des vents qui le menaient sur cette trajectoire, ou peut-être aussi qu'il a été victime d'une avarie, par exemple un trou dans l'enveloppe. Le fait que son altitude ait diminué au cours de son survol des États-Unis le laisse penser.

On peut s'interroger sur la législation concernant le survol d'un territoire. On a beaucoup répété que l'espace aérien contrôlé n'allait que jusqu'à une altitude de 66000 pieds ou 20000 m. Mais la zone contrôlée n'est que la zone où se déplacent les avions, et où donc il est nécessaire que les autorités sachent tout ce qui s'y trouve pour éviter les accidents. Ça n'est pas pour autant que la circulation est libre à une altitude supérieure. On considère en général qu'une nation est souveraine sur son espace aérien jusqu'à la limite de l'atmosphère, que l'on situe à une altitude d'environ 100 km. Ça ne concerne donc pas les satellites qui sont au moins au-dessus de 250 km, mais par contre un état a tout à fait le droit d'abattre un objet étranger non autorisé jusqu'à cette altitude. C'est donc plus probablement pour éviter la chute de débris sur le territoire que les États-Unis ont attendu que le ballon soit au-dessus de la mer.

Mais bien sûr, l'espace aérien est libre au-dessus des eaux internationales, à plus de 20 km des côtes d'un pays. Et il est probable que les ballons chinois soient censés rester au-dessus des eaux internationales pour éviter ce qui vient de se produire. Ça leur permet tout de même d'espionner les côtes et les îles, et ils doivent aussi survoler des territoires peu sensibles où ils ne risquent guère d'être inquiétés lorsqu'ils ne peuvent pas l'éviter.

Voyons maintenant quels sont les types de ballons capables d'atteindre la stratosphère. Les plus simples sont les ballons ayant une enveloppe élastique, qui grossissent à mesure que leur altitude augmente et finissent par éclater. C'est généralement le cas des ballons météo, qui mesurent différentes données au cours de leur ascension et retombent ensuite avec leurs instruments accrochés à un parachute.

Et il y a les ballons « ouverts », dont le volume ne varie pas mais qui sont dotés d'une valve (ou simplement une ouverture) laissant l'hélium ou l'hydrogène s'échapper à mesure que la pression atmosphérique diminue. Ils vont se stabiliser à une certaine altitude (lorsque la poussée d'Archimède compensera juste le poids du ballon et de sa charge), mais avec les variations de température ils seront soumis à des différences de pression qui les obligeront à lâcher peu à peu du gaz et auront donc une durée de vie limitée en général à quelques jours.

Et il y a les ballons pressurisés, dont l'enveloppe est capable de résister à une certaine pression (très inférieure tout de même à la pression atmosphérique au niveau du sol). Ceux-là se stabiliseront aussi à une certaine altitude, mais ils pourront s'y maintenir pendant plusieurs mois. C'est à cette catégorie qu'appartiennent les ballons chinois, avec en outre la possibilité de manœœuvrer dont nous allons reparler.

Il y a aussi une dernière catégorie, celle des montgolfières solaires, qui ne contiennent pas un gaz très léger mais de l'air chauffé par le soleil. Ça n'est rien d'autre que les « ballons solaires » tels qu'en avait distribué Pif Gadget dans les années 70, mais dans une version plus performante pour pouvoir opérer à haute altitude : les versions stratosphériques utilisent la lumière du soleil le jour, et la lumière infrarouge émise par le sol la nuit. De tels ballons ont une capacité d'emport nettement plus réduite que celle des ballons à hélium ou hydrogène, du fait que l'air chauffé n'est pas beaucoup plus léger que l'air extérieur, mais ils ont l'avantage de ne pas souffrir de pertes de gaz et ont donc une durée de vie quasi-illimitée.

Un ballon manœœuvrable

La plupart des ballons lancés, notamment les ballons météo, ne peuvent que se laisser porter par les vents. Mais certains ballons, dont certainement celui-ci, ont une petite capacité de se déplacer, sans pour autant être de véritables dirigeables. On parle de ballons manœœuvrables.

Cela peut se limiter à un simple contrôle de l'altitude, ce qui permet de choisir les vents les plus favorables. On a vu que l'altitude maximale du ballon détermine la masse qu'il peut emporter. Dans le cas du ballon chinois, à peu près 2,9 tonnes s'il ne dépasse pas 20 km d'altitude, 1,3 tonne seulement s'il doit atteindre 25 km. Mais il n'est pas très intéressant ni facile de les faire évoluer à plus de 22 km, et la masse emportée serait alors de 2,1 tonnes.

Pour que le ballon puisse descendre, il suffit de le remplir en partie d'air. Il y a juste une pompe qui peut faire rentrer ou évacuer l'air, et une paroi interne qui sépare l'air de l'hélium. Il n'y a pas de contrainte supplémentaire pour le ballon, la pression reste toujours juste un peu supérieure à la pression externe lorsqu'il atteint son altitude d'équilibre, et si on peut remplir presque entièrement le ballon d'air il peut descendre jusqu'au niveau du sol... Mais ça n'a guère d'intérêt sauf quand on veut récupérer le ballon, et alors il suffit plutôt de laisser échapper l'hélium, donc en général la quantité d'air est limitée, et on se contente d'un ballonnet extensible d'air dans le ballon.

Pouvoir contrôler l'altitude permet par exemple de profiter des jet streams : ces courants aériens font le tour du globe à des latitudes d'environ 30 et 60°. Ils se déplacent d'ouest en est, à une vitesse d'environ 90 km/h mais qui approche quelquefois de 400 km/h. L'altitude se situe entre 7 et 12 km pour les jet streams polaires, et entre 10 et 16 km pour les jet streams subtropicaux.

Mais il est aussi possible de maintenir le ballon très longtemps à peu près au-dessus d'un territoire donné, en profitant des différences de direction du vent selon l'altitude. C'est ce que faisaient par exemple les ballons Loon développés par Google pour diffuser Internet au-dessus de régions difficiles d'accès. Techniquement, le succès a été total, ces ballons se révélant capables de rester plusieurs semaines au-dessus d'une région déterminée, mais le projet a été abandonné en raison d'une rentabilité commerciale incertaine.

Et une autre façon de se déplacer est d'avoir son propre mode de propulsion. On a vu que c'était le cas du ballon chinois, doté de quatre hélices alimentées par des panneaux solaires.

Voyons par exemple quelle poussée il faut fournir pour pousser un tel ballon à 10 km/h et à 20 km d'altitude...

La résistance de l'air pour un objet quelconque est : F = 1/2 Cx ρ S V2. ρ est la densité de l'air, égale donc à 0,0889 kg/m3 ; S, la surface du ballon en coupe, est égale à peu près à 1500 m2 ; V égale à 2,8 m/s (10 km/h) ; et le Cx (coefficient de pénétration dans l'air) d'une sphère à faible vitesse est à peu près égal à 0,5, ça nous donne donc une force de 260 Newtons, ou de quoi soulever 27 kg. C'est assez compatible avec la poussée que peuvent fournir quatre hélices de 2,5 m de diamètre alimentées par une puissance de quelques kilowatts.

Un tel ballon ne peut pas aller contre le vent sauf s'il est très faible, mais ça lui permet de quitter un courant d'air défavorable et de garder une position plus précise qu'en jouant juste sur l'altitude.

Il y a les pays qui s'interrogent, et la France

On a vu que lorsque le ballon survolait les États-Unis, un deuxième, identique d'après les photographies, survolait des pays d'amérique centrale : Costa Rica, Colombie et Vénézuela... On ne sait pas ce qu'il est devenu depuis, il est sans doute toujours en l'air.

Et l'affaire a réveillé d'autres observations de ballons dont l'origine était restée mystérieuse.

Un ballon identique (peut-être un des deux) avait été photographié le 12 février 2022 aux Philippines, et sans doute observé quelques jours plus tard à Hawaï.

Et bien plus tôt, le 17 juin 2020, un ballon était filmé par la télévision et observé par de multiples témoins, au-dessus de la ville de Sendai au Japon :

Un ballon très ressemblant, avec une nacelle différente

On n'avait pas pu alors déterminer son altitude ni son diamètre, et la nacelle est très différente, mais vu la ressemblance il n'y a guère de doutes maintenant qu'il s'agissait d'un ballon chinois, dont la structure a dû évoluer en presque trois ans.

Un autre ballon mystérieux a été à nouveau vu au Japon le 3 septembre 2021, et le 26 septembre à Taïwan.

Et le 6 janvier 2022, c'est en Inde qu'un tel ballon a été vu.

Le ministère japonais de la défense a déclaré le 14 février : Après une analyse plus approfondie des objets volants spécifiques en forme de ballon précédemment identifiés dans l'espace aérien japonais, y compris ceux de novembre 2019, juin 2020 et septembre 2021, nous avons conclu que les ballons sont fortement présumés être des ballons de reconnaissance sans pilote envoyés par la Chine.

L'Inde aussi a fait une déclaration semblable...

Et en France ? Si une quarantaine de pays ont été survolés depuis 2018, il serait surprenant que nous y ayons échappé...

Mais non, les experts interrogés nous assurent avec beaucoup de conviction qu'aucun ballon espion chinois n'a survolé la France, sinon bien sûr on s'en serait rendu compte, et puis la Chine ne considère pas la France comme un pays menaçant...

Enfin il y en a quelques-une qui sont un peu moins péremptoires, comme Franck Renaud interrogé par Atlantico :

On sait par exemple qu'il y a un intérêt chinois pour la Bretagne, tout ce qu’'il se passe dans le Finistère et autour de l'île Longue où se trouvent nos sous-marins nucléaires. On a eu vent d'ingénieurs du secteur approchés par des jeunes femmes chinoises. Des indices montrent qu'il y a un jeu sur tous les leviers du renseignement. Alors sans doute que les leviers du spatial et de l'aérien, par des ballons, en font partie. Mais je n'ai pas d'informations précises en ce sens.

L'île Longue, ça n'est pas loin du Morbihan !

Et il semble tout de même que les militaires soient préoccupés depuis l'affaire du ballon au-dessus des États-Unis. La France n'aurait actuellement pas les moyens de repérer par radar un objet évoluant à plus de 20 km, mais ça serait en cours d'évolution.

Et nous allons voir que c'est plutôt justifié...

Le mystérieux ballon qui a survolé la Bretagne en 2020

Il se trouve qu'un mystérieux ballon a survolé la France, et en particulier la Bretagne, au début 2020.

En réalité, il a peut-être commencé son périple français dans les Deux-Sèvres le 9 décembre 2019, où un habitant de Villefollet, près de Niort, a pris en photo une mystérieuse boule blanche à 11 h :

Boule blanche dans le ciel

On ne voit pas grand-chose, sinon que la « boule » est éclairée d'un côté par le soleil et qu'il semble y avoir une forme sombre allongée au centre.

Étant donné qu'à ce moment-là les vents étaient très forts à basse altitude mais presque nuls à une altitude de 20 000 m, et que l'objet se déplaçait très lentement, j'avais alors suggéré dans un forum d'ufologie qu'il s'agissait vraisemblablement d'un ballon à haute altitude et donc de grande taille, pas un simple ballon météo donc. Mais ça restait très incertain puisqu'on n'avait aucun renseignement sur l'appareil photo utilisé.

Mais un mois plus tard, le 17 janvier, c'est en Bretagne qu'une boule similaire a été vue par de nombreuses personnes, et photographiée avec une définition bien meilleure.

Là, il était clair que c'était un ballon, lequel a suivi une trajectoire à peu près d'ouest en est conformément à la direction du vent, et il n'avait pas été lancé en France puisqu'il venait de la mer. Et puisqu'il a été vu depuis des lieux assez éloignés de sa trajectoire moyenne il ne pouvait s'agir que d'un ballon à haute altitude. Considérons une altitude de 20 000 m comme plausible, on verra ensuite si c'est cohérent avec les observations. Je précise que ça n'est pas pour me conformer à l'altitude du ballon espion chinois que j'ai choisi cette altitude, je l'avais déjà suggérée à l'époque dans le même forum d'ufologie.

On va suivre pas à pas les apparitions de ce ballon et surtout les photos ou vidéos.

Une première photo a été prise à Quimperlé vers 9 h, avec le détail intéressant que la lune est aussi visible :

Boule boule blanche avec la lune un peu à droite

On distingue vaguement la nacelle sous le ballon, un peu inclinée vers la gauche parce que la photo n'est pas droite. Ça nous permet déjà de faire quelques calculs. À 9 h, la lune se trouvait à un azimut de 215° et une hauteur angulaire de 31°. Le ballon était très proche, à un azimut de 213° et une hauteur de 30°. Quant à son diamètre angulaire, il doit être en comparaison avec celui de la lune (0,54°) de 0,038°.

Pour une altitude de 20 km, ça le situerait à une distance de 40 km et une distance au sol de 35 km. Et son diamètre serait de 26 m...

Photo suivante à Kervignac... Prise aux environs de 9 h 45 par Sophie Kerbiat, équipée par chance d'un appareil photo performant (Canon Powershot SX60HS) avec un zoom de 130 !

Un ballon bien rond, avec trois cordes qui pendent sur le périmètre et une nacelle rectangulaire assez longue.

Ça rappelle quelque chose ! Là encore, on peut faire quelques calculs. Le ballon présente juste une moitié éclairée, ce qui implique qu'il se trouvait à 90° du soleil. Le soleil était à un azimut de 130°, le ballon est éclairé par la gauche, il se trouvait donc à un azimut de 220°. Quant à sa hauteur angulaire, elle est facile à trouver par un simple calcul de trigonométrie, puisqu'on voit le point d'attache de la nacelle, donc le bas du ballon : 55° au-dessus de l'horizon.

Sa distance était de 24 km, sa distance au sol de 14 km.

Et si on se fie aux caractéristiques de l'appareil photo, le champ angulaire en largeur devait être de 1,47°, la largeur totale de l'image doit être de 4608 pixels et le diamètre du ballon est de 245 pixels, cela correspondrait à un diamètre angulaire de 0,078° et un diamètre réel de 33 m à une distance de 24 km.

Ensuite, il a été vu à Auray vers 9 h 30, à peu près à la verticale d'après les témoins, et filmé à Grand-Champ vers 10 h :

Petit point blanc dans le ciel, la lune nettement plus bas

C'est juste le point blanc en haut à droite (le cercle sombre qui l'entoure n'est qu'un artefact de la compression), mais par chance on voit encore la lune, en bas à gauche. La lune était alors à une hauteur de 24° et un azimut de 230°, en comparaison avec le diamètre de la lune on peut calculer que le ballon était à un azimut de 238° et une hauteur de 42°.

Cela donne une distance de 30 km, et 22 km au sol.

Il a ensuite été filmé vers 10 h 30 à Locmariaquer :

Point blanc dans le ciel, au-dessus d'un toit

On ne voit guère qu'un point blanc, tout ce que l'on peut en tirer c'est qu'à un moment le vidéaste tourne sa caméra vers la droite en direction du soleil, celui-ci se trouvait au sud-est à un azimut de 138°, le ballon se trouvait donc sans doute à peu près vers l'est.

Puis il a été vu à Vannes, et vers 10 h 30 à Pénestin, et aussi à Carentoir qui se trouve à une trentaine de kilomètres au nord, ce qui permet d'affirmer que le ballon se trouvait bien à haute altitude, sûrement pas très inférieure aux 20 km que nous avons suggérés.

Ensuite, il a été vu par de nombreuses personnes « à l'heure du déjeuner » à Nort-sur-Erdre, et vers 12 h à Nantes où il a encore été photographié. C'est la photographe qui donne cette heure approximative, mais les données exif de son appareil photo indiquent 13 h 35. Étant donné qu'il s'agit d'un appareil photo numérique et non d'un smartphone connecté, il n'était peut-être pas à l'heure ; si on suppose qu'il était à peu près réglé sur l'heure d'été il était donc plutôt 12 h 30, ce qui est plus compatible que 12 h avec « l'heure du déjeuner » à Nort-sur-Erdre,  à peu près au même niveau de la trajectoire.

La photo de Nantes prise par Célia Voisin est encore très intéressante :

Le ballon vue presque de dessous, avec la nacelle qui se dessine nettement comme un petit rectangle sombre.

Le soleil se trouvait à un azimut de 168°, d'après l'éclairement du ballon et la direction de la nacelle ça nous permet d'estimer l'azimut du ballon à 355° (presque plein nord). Et là encore on voit le point d'attache de la nacelle et la nacelle elle-même, ce qui permet d'estimer assez précisément la hauteur angulaire, de 77°.

Sa distance est alors de 20,5 km, et sa distance au sol de 5 km.

La photographe m'a communiqué les données exif de l'image, ce qui permet de connaître la dimension angulaire du ballon : l'image complète a une dimension de 4928 × 3264 pixels, l'objet a un diamètre de 83 pixels, la focale équivalente est de 450 mm, ça donne une dimension angulaire de 0,077°. Et pour une distance de 20,5 km, un diamètre de 28 m.

On retombe donc à l'incertitude près sur des estimations semblables pour les trois photographies qui le permettent... Ça ne signifie pas que le diamètre ou l'altitude son exacts, mais que le rapport entre les deux n'a pas varié... Donc vraisemblablement que le ballon est resté à la même altitude pendant plus de trois heures.

On peut en déduire sa trajectoire approximative :

Trajectoire d'ouest en est un peu courbe, avec les lieux successifs d'observation et les distances et directions estimées

Ce parcours est plutôt cohérent. L'heure donnée pour Auray est sans doute un peu fausse, ça serait vers 10 h plutôt que 9 h 30, mais en dehors de cela l'évolution est assez logique. Le vent allait bien vers l'est, entre 40 et 90 km/h selon l'altitude d'après les données d'un ballon météo lancé à Brest à 11 h. Le parcours dessiné représente à peu près 200 km en 3 h et demie, soit une vitesse moyenne de 60 km/h.

Ensuite, il a été vu en Mayenne, puis vers 16 h entre Angers et Laval. Personne bien sûr ne l'a observé la nuit, mais le lendemain matin, 18 janvier à 8 h 15, c'est un habitant de Strasbourg qui l'a revu, et en cherchant des renseignements il a fait le lien avec les observations du Morbihan. Il indique aussi que l'objet a été vu ensuite le 21 janvier en Allemagne entre Karlsruhe et Stuttgart.

On peut retracer tous les lieux où ce ballon a été vu, s'il s'agit bien à chaque fois du même :

Trajectoire d'ouest en est un peu courbe, avec les lieux successifs d'observation et les distances et directions estimées

Je n'ai pas trouvé d'autres informations à ce sujet, ni sur d'autres observations entre le 18 et le 21 janvier ou plus tard. Le ciel à l'est était très couvert le 18 janvier après-midi et toute la journée du 19, mais plutôt dégagé le 20 et le 21.

Peut-être a-t-il ensuite regagné la Chine en suivant le jet stream.

Comparaisons

Comparons maintenant le ballon chinois :

Autre photo du ballon

Avec celui qui a survolé la France en 2020 :

Photo de Kervignac

La ressemblance est assez frappante, on peut supposer qu'il y a eu juste une évolution des caractéristiques en presque trois ans.

On a vu que le ballon qui a survolé les États-Unis avait un diamètre de 45 m, alors que celui-ci ne fait que 30 m s'il était à la même altitude. Soit « notre » ballon était vraiment plus petit, soit il évoluait plutôt à une altitude de 30 km.

L'enveloppe a le même aspect, il y a juste deux grosses différences :

— —Il y a trois cordes qui pendent du ballon de 2020, qui servaient sans doute à le maintenir au sol avant le lâcher, à moins qu'il s'agisse de manchons pour le gonflage ; le ballon de 2023 a aussi de telles cordes, visibles sur la photo du U-2, mais disposées différemment et plus fines.

—— La dimension des panneaux solaires était beaucoup moins importante : de l'ordre de 5 m2 pour le ballon de 2020 s'il a un diamètre de 30 m (12 m2 s'il est de 45 m), environ 100 m2 pour celui de 2023.

Il s'agit sans doute d'une simple évolution en trois ans... Le ballon de 2020 devait nécessiter moins d'énergie, peut-être n'était-il pas manœœuvrable, ou à une vitesse moindre. Si la surface collectrice du ballon de 2020 dédiée aux moteurs était le vingtième de celle du ballon de 2023, ça signifie juste que le premier pouvait se déplacer à moins du quart de celle du second. Et peut-être aussi que « notre » ballon volait à 30 km d'altitude plutôt que 20, auquel cas il était normal qu'il ne puisse emporter qu'une charge beaucoup moins lourde : à 30 km d'altitude, la densité atmosphérique n'est que de 18,4 g/m3, contre 89 à 20 km. Et pour la même raison il faut beaucoup moins d'énergie pour faire déplacer le ballon à la même vitesse.

Notons que le ballon qui a survolé le Japon aussi en 2000, quelques mois après celui du Morbihan, est encore différent, mais plus proche de celui de 2023 :

Un ballon très ressemblant, avec une nacelle différente

Mais on ne sait pas quel était son diamètre ou son altitude, sinon qu'elle devait dépasser 12 km.

Conclusion

L'affaire du ballon espion chinois aura surtout mis en évidence les failles de nos systèmes de défense concernant les ballons.

Apparemment, depuis 2018 de tels ballons porteurs d'au moins une tonne de matériel ont régulièrement survolé de nombreux pays sans avoir été identifiés ni soulevé la moindre inquiétude, en particulier en France.

Et les États-Unis étaient au courant depuis longtemps de l'existence de ces ballons, mais n'ont apparemment pas informé leurs alliés au sein de l'OTAN tant qu'eux-mêmes n'étaient pas concernés par ces survols.

Ça pose quelques questions...

Mais elle a aussi eu le mérite d'intéresser le public aux ballons stratosphériques et à leurs possibilités, et aussi aux pico-ballons lancés par des amateurs.

Il sera intéressant de voir l'évolution de la situation, et l'avenir de ce genre de ballons.


Robert Alessandri



Armes secrètes Retour au sommaire Écrire à l'auteur Groupe Facebook

Ce texte a été lu fois depuis le 10/03/2023