Claude Poher :
Gravitation — Les Universons, énergie du futur
Éditions du rocher, octobre 2003, 310 pages.


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Les Universons Le fondateur du Gepan effectue un retour qu'il voudrait fracassant : avec une théorie inédite de la gravitation qui expliquerait la propulsion des ovnis... Disons tout de suite que c'est un peu raté !

Tout commence par des considérations assez naïves sur le voyage interstellaire... Après avoir déterminé qu'il faudrait être capable d'aller à une trentaine d'années-lumière pour trouver des planètes similaires à la Terre (ce qui repose sur des hypothèses assez raisonnables), il multiplie par dix cete distance en supposant que les voyageurs devraient visiter une dizaine de ces planètes avant d'en trouver une qui soit vraiment « hospitalière »... Il n'imagine même pas qu'on puisse, sinon déterminer à distance la composition de l'atmosphère (il écarte cette possibilité de façon un peu sommaire), au moins envoyer de petites sondes automatiques pour sélectionner les destinations « intéressantes », avant d'envisager les voyages habités ! Même si les possibilités techniques du voyage interstellaire se limitaient à cinquante années-lumière, la conclusion incontournable est que la Galaxie peut être entièrement colonisée en quelques millions d'années !

Mais donc, après avoir « déterminé » ainsi que les distances à franchir devraient être d'au moins 300 années-lumière, Poher en déduit que pour ramener de tels voyages à des durées compatibles avec la longévité humaine, il faut faire appel à la contraction relativiste du temps lorsqu'on approche de la vitesse de la lumière. Ainsi, les voyageurs devraient atteindre 99% de cette vitesse pour que la durée du voyage soit divisée par sept... Ils parcourraient donc les 300 années/lumière en une quarantaine d'années, alors que trois siècles s'écouleraient sur leur planète d'origine.

Or, nous explique-t-il, pour atteindre une telle vitesse, il faudrait une énergie représentant plus de six fois celle contenue dans la masse du vaisseau, ce qui rend d'après lui totalement impossible d'emporter à bord du véhicule la source de cette énergie... Poher pourrait démontrer de la même manière qu'il est impossible de satelliser un objet avec des carburants chimiques, l'énergie cinétique nécessaire étant très supérieure à celle que peuvent fournir ces carburants ! c'est là méconnaître le principe fondamental des fusées : seule la charge utile doit atteindre la vitesse finale, et la plus grande partie de la masse est laissée derrière à une vitesse très inférieure. En fait, on peut théoriquement atteindre n'importe quelle vitesse avec n'importe quel type de carburant, pour peu que l'on en ait suffisamment ; la quantité de carburant atteint des valeurs inimaginables pour des voyages interstellaires utilisant la propulsion chimique, mais si l'on disposait d'un carburant idéal capable de transformer intégralement sa masse en énergie (on sait le faire en associant en quantités égales la matière et l'antimatière), on peut calculer qu'il en faudrait une masse égale à deux cents fois celle de la charge utile pour atteindre les 99% de c estimés nécessaires par Poher... C'est beaucoup, mais pas impossible comme il l'affirme péremptoirement.

On peut aussi reprocher à Poher de ne pas faire la moindre allusion à d'autres possibilités de « suspendre le temps » pour les voyageurs, à croire qu'il n'a jamais vu 2001 l'Odyssée de l'espace ou Alien ! Certes, on ne sait pas encore « congeler » ainsi un être humain sans le tuer, mais il me semble raisonnable de considérer que ça sera possible avant que l'on puisse envisager sérieusement un voyage interstellaire. Interrogé à ce sujet sur la radio « Ici et Maintenant », Poher a répondu à peu près : « quel intérêt, alors qu'il est possible de ralentir le temps sans aucune contrainte physiologique en approchant la vitesse de la lumière ? » L'intérêt, c'est que si on peut se passer de la contraction relativiste du temps, on peut se contenter d'atteindre par exemple 70% de la vitesse de la lumière sans que la durée réelle du voyage soit considérablement allongée, et cela nécessite CENT FOIS MOINS d'énergie (une quantité d'antimatière égale à celle de la charge utile suffirait) !

Donc, Poher conclut par un raisonnement très contestable que le voyage interstellaire nécessite de pouvoir puiser à volonté de l'énergie dans le milieu interstellaire. Il se trouve que la mécanique quantique indique que le « vide » contient des quantités fabuleuses d'énergies, et de nombreux chercheurs travaillent ainsi aux possibilités, pour l'instant très incertaines, d'extraire cette « énergie du vide ». Dans un registre plus conventionnel, Robert Bussard avait imaginé dès 1960 des vaisseaux spatiaux dotés d'un gigantesque collecteur d'hydrogène interstellaire, lequel serait utilisé pour alimenter un propulseur thermonucléaire... Tout cela ne convient pas à Poher, qui n'en dit aucun mot.

Il veut encore nous persuader que le voyage interstellaire nécessite des accélérations fabuleuses afin de réduire la durée du voyage à quelques dizaines de jours, sans quoi la masse de « consommables » (eau et nourriture) à embarquer atteint des valeurs déraisonnables. Mais il considère pour cela nos possibilités actuelles de recyclage, comme si aucun progrès n'était possible dans ce domaine avant qu'on soit capable d'entreprendre un voyage interstellaire... Notons que l'hibernation résoudrait ou réduirait aussi ce problème.

C'est donc avec de nouvelles considérations pour le moins contestables que Poher affirme que les vaisseaux interstellaires devraient être capables d'atteindre une accélération d'au moins cent fois la pesanteur terrestre, très au-delà de ce que l'organisme humain peut supporter. Et il en déduit que la seule possibilité permettant les voyages interstellaires serait de pouvoir utiliser un « champ de force » de nature gravitationnelle, qui agirait sur toutes les particules.

Et Poher nous explique alors que si l'on pouvait créer ainsi un « champ de gravité » artificiel très puissant, il serait possible de l'utiliser aussi pour protéger le vaisseau des rayonnements très intenses qui poseraient sans cela un problème insoluble : le champ gravitationnel, en déformant l'espace autour du vaisseau, dévierait les photons et les particules à haute énergie heurtant le vaisseau... Mais il ne donne aucune évaluation chiffrée de l'efficacité d'un tel « bouclier gravitationnel »... Et pour cause : on peut calculer que pour être efficace (dévier les particules de quelques mètres), le « champ gravitationnel » artificiel devrait s'étendre jusqu'à des centaines de milliers de kilomètres à l'avant du vaisseau ! D'autre part, il commet une autre erreur grossière en indiquant que cette déviation des particules par le « bouclier gravitationnel » se traduirait par un « rayonnement synchrotron et rayonnement de freinage à large bande » : des particules déviées par un champ gravitationnel suivent les « géodésiques » de l'espace courbé, elles ne rayonnent pas !

Poher conclut donc la première partie de son livre par la certitude que des vaisseaux interstellaires doivent utiliser un « champ gravitationnel » pour se propulser, et puiser leur énergie dans le vide. Et puisque ses recherches sur les ovnis l'ont convaincu que nous avons des « visiteurs », il faut nécessairement que cette possibilité existe : si l'on ne connaît aucune théorie physique permettant cela, c'est qu'elle reste à découvrir... Et c'est donc ce que tente Poher dans la deuxième partie du livre en nous exposant sa « théorie des universons », rien moins qu'une nouvelle théorie de la gravitation !

On peut d'emblée émettre quelques doutes sur une « théorie quantique de la gravitation » qui ignore totalement ET la mécanique quantique ET la relativité générale ! Il serait plus correct de parler d'une « théorie corpusculaire de la gravitation » : Poher imagine que l'espace est traversé par un flux permanent de particules qu'il appelle les « universons », lesquels exerceraient une « pression » sur les particules de matière. Il n'est pas le premier à proposer une telle interprétation de la force de gravitation, qui peut très bien rendre compte d'une force inversement proportionnelle au carré de la distance s'exerçant entre deux corps... mais qui devient totalement incapable de rendre compte des observations dès que la situation est un peu plus complexe. Poher introduit une variante en considérant que les « universons » sont captés et réémis par les particules de matière, mais ça ne change pas grand-chose... En fait, c'est plutôt pire : sa théorie, telle qu'il l'expose, est tout à fait incapable de rendre compte de l'attraction gravitationnelle de deux corps, ce qui est gênant pour une « théorie de la gravitation »

Explique-t-elle autre chose ? Poher évoque longuement le problème du ralentissement observé, et jusqu'à présent inexpliqué, des sondes spatiales envoyées aux confins du système solaire, notamment Pioneer 10 et 11... Il n'est pas le premier à constater que la valeur de ce ralentissement semble proche de la constante de Hubble (la vitesse de fuite des galaxies en fonction de la distance) multipliée par la vitesse de la lumière. S'il ne s'agit pas d'un hasard, ce constat tend à montrer que ce ralentissement des sondes spatiales a quelque chose à voir avec l'expansion de l'univers. Et Poher l'explique par sa théorie des universons : par des calculs de mécanique tout à fait classique, il arrive à la conclusion qu'en raison de l'expansion de l'univers, toute masse accélérée subira une accélération supplémentaire, dans le même sens, égale à Hc. Il s'appuie pour cela sur l'augmentation avec le temps des distances traversées par ses « universons » dans les particules de matière... Mais cela suppose que les dites particules « grossissent » en même temps que l'univers, ce qui n'a rien d'évident ! En fait, étant donné que sa « théorie » n'est qu'une ébauche, il peut jouer à loisir sur tout un tas de suppositions pour arriver au résultat voulu... Qui est de « prédire » le ralentissement des sondes spatiales ! On a d'ailleurs l'impression que c'est parce qu'il est arrivé en tripatouillant sa théorie à justifier le ralentissement des sondes spatiales qu'il s'est décidé à rédiger ce livre.

Poher nous explique aussi que les planètes, contrairement aux sondes, ne sont pas soumises à cette accélération supplémentaire, du fait qu'elles subissent deux accélérations opposées s'annulant : l'accélération gravitationnelle et « l'accélération centrifuge d'inertie »... Malheureusement, cette « force centrifuge » n'est qu'une invention pratique pour simplifier les calculs, mais en physique elle n'existe pas : une planète tournant autour du Soleil est soumise à une accélération et une seule, l'attraction du soleil, laquelle s'exerce perpendiculairement au déplacement... Et donc, il n'y a aucune raison que l'accélération Hc prédite par la théorie des universons ne s'exerce pas aussi sur une planète.

Il semble d'ailleurs que Poher soit revenu sur cette affirmation puisqu'il dit maintenant que l'orbite de la Terre subit une petite perturbation qui se trouve expliquée par sa théorie (voir le texte qu'il a publié sur le site Ufocom)... Encore une « prédiction après coup », qu'il utilise sans la moindre justification vérifiable pour promouvoir son livre !

Dans la troisième partie de son ouvrage, Poher nous parle des possibilités qu'apporte sa théorie en matière de propulsion.

Il suggère ainsi qu'il serait possible de produire un champ gravifique en faisant vibrer les atomes grâce à un champ électrique alternatif... On attend de voir !

Plus loin, il cherche à expliquer par sa théorie les caractéristiques des ovnis. Il reprend en fait la plupart des idées du lieutenant Plantier, qui suggérait dès 1953 que l'utilisation d'un « champ de forces » de nature gravitationnelle expliquerait les brusques accélérations, l'absence de bang, etc (l'article de Plantier, paru dans Forces aériennes françaises, la revue de l'Armée de l'air, est reproduit sur le site RR0 ; il a développé ses idées en 1955 dans un livre pratiquement introuvable intitulé la Propulsion des soucoupes volantes). La différence, c'est que Plantier n'avait aucune « théorie de l'antigravitation », alors que Poher prétend en avoir une... malheureusement pas très convaincante ! Les quelques « ajouts » que Poher apporte aux réflexions de Plantier sont erronés : lorsqu'il veut expliquer le halo lumineux des ovnis par le fort « gradient de la force gravitationnelle », ça ne tient pas debout.

Bref, la théorie des universons est à ranger parmi les multitudes de théories de la gravitation faites par des ingénieurs qui se prennent pour de grands physiciens... Je ne doute pas que Poher ait fait un très bon travail d'ingénieur dans le domaine de la propulsion spatiale, mais il est visiblement incapable de faire de la physique théorique. Je ne suis pas plus physicien que lui (même sûrement moins), mais le fait que je trouve des erreurs énormes dans sa « théorie » laisse imaginer ce que de véritables physiciens pourront en penser !

Pour ce qui est de la propulsion des ovnis, il est bien possible qu'elle fasse appel à une forme « d'antigravitation »... Poher s'efforce de nous le démontrer par des observations. L'échantillon de cas dont il se sert pour illustrer ses propos est malheureusement assez limité, mais l'idée mérite d'être approfondie. Mais on n'a pour l'instant aucune idée de la façon dont on pourrait créer une « gravité artificielle » (je préfère ce terme à celui d'antigravitation), et ce dont on peut être sûr c'est que si quelqu'un trouve un jour la solution ça ne sera pas Claude Poher !

Le livre reste malgré tout intéressant si l'on élimine tout ce qui concerne la théorie pseudo-scientifique des universons (laquelle en constitue malheureusement la majeure partie)... On y trouve bon nombre de renseignements techniques sur les voyages spatiaux, sur ce fameux ralentissement des sondes Pioneer dont les revues scientifiques évitent soigneusement de parler, et aussi sur l'histoire de la création du GEPAN. Ainsi, on comprend beaucoup mieux les raisons qui ont poussé Poher a quitter cet organisme peu après l'avoir créé : son intention avait toujours été d'essayer de tirer de l'étude des ovnis des certitudes sur les possibilités techniques de civilisations avancées, et par là de susciter de nouvelles recherches en physique théorique... Personne ne voulant le suivre sur une voie aussi engagée, il a quitté le GEPAN.

En résumé, un livre à lire du début à la fin mais en sautant le milieu, et une théorie à oublier ! Et si certains comptaient sur le « retour du chercheur prodige » pour rehausser l'image scientifique du SEPRA, ils risquent une sévère désillusion !

Robert Alessandri, 22 novembre 2003



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