Les astéroïdes :
Des armes de destruction très massive
(11/08/2004)
Vous pouvez traduire ce texte dans la langue de votre choix :
Vue d'artiste d'un impact cataclysmique (dessin de Don Davis/NASA)
Quand l'Armée fait de la prévention de risques naturels
Depuis quelque temps, on se préoccupe beaucoup des
risques liés aux astéroïdes. Il ne se passe
guère d'année sans que la grande presse annonce qu'un
astéroïde a « frôlé la Terre », ou
qu'il risque de la percuter dans X années (peu après, on
publie beaucoup plus discrètement un démenti; mais il ne
faut pas en déduire que les
responsables de la première annonce s'étaient
trompés : si l'on trouve d'après des calculs
préliminaires qu'il y a une chance sur mille pour que tel
astéroïde heurte la Terre à telle date, il reste 999 chances sur mille pour que des
calculs plus précis montrent qu'il passera à
côté !)
Derrière cette recrudescence « d'accidents
potentiels » ne se cache pas une augmentation du nombre
d'astéroïdes frôlant la Terre, mais simplement les
progrès rapides de nos moyens de détection. Jusqu'aux années 90, la surveillance était très
limitée : Eugene Shoemaker utilisait avec sa femme et
quelques collaborateurs un télescope de 46 cm de diamètre
au Mont Palomar, et c'était ce qui se faisait de mieux dans le
domaine.
Ce sont les militaires américains qui ont attiré l'attention sur le problème à partir de
1990... En septembre de cette année, le Congrès a
chargé la NASA de développer un plan de surveillance des
astéroïdes et d'étudier les moyens de lutte contre leur menace. C'est
pour remplir la première mission qu'est né le
Spaceguard de la NASA, dirigé par David Morrison.
Dès janvier 1992, un congrès était organisé
à Los Alamos (tout un symbole), réunissant des astronomes
et des responsables de la défense : les premiers étaient
représentés en particulier par Eugene Shoemaker,
et les seconds par Edward Teller, le « père » de la
bombe H. Deux autres réunions ont rapidement suivi, à Tucson en
janvier 1993 et à Erice (Sicile) quelques mois plus tard.
De l'avis des observateurs, seuls les militaires semblaient
vraiment se préoccuper des risques d'impacts, mais les
astronomes étaient ravis qu'on veuille leur donner les moyens
d'étudier des astéroïdes. Tous s'accordaient donc
sur la nécessité de
comptabiliser rapidement les astéroïdes
potentiellement dangereux (appelés NEO pour Near Earth Orbit) et
de calculer précisément leurs orbites.
La puissance destructrice d'un impact d'astéroïde est
proportionnelle à sa masse et au carré de sa vitesse, mais on a tendance à
évoquer plutôt sa dimension, en faisant l'hypothèse
d'une densité et d'une vitesse moyennes. Ainsi, un astéroïde de 50 m
de diamètre détruirait une ville si par malchance il
tombait dessus. Au-delà de 500 m de diamètre, la
catastrophe
toucherait la planète entière. Actuellement, une grande
partie des NEO de diamètre
supérieur à 1 km, soit de l'ordre d'un millier, ont
été repérés... Au-dessous,
beaucoup moins : sur environ un million de NEO de plus de 50 m de
diamètre, seuls quelques milliers sont connus... C'est dire
qu'il reste du travail pour le Spaceguard.
Concernant les possibilités d'éviter un impact, un autre
groupe a
été formé par la NASA en 1992. Il est clair
que tout dépend du temps dont on dispose : un astéroïde
pourra toujours arriver « sans prévenir », sans qu'on
le détecte, et tout ce que l'on peut faire c'est de diminuer la
proportion d'astéroïdes inconnus en améliorant nos
moyens de détection ; si l'objet est découvert quelques jours à quelques mois avant
qu'il ne heurte la Terre, cela laisse le temps d'évacuer la
région de l'impact ; si on dispose de plusieurs années et
si l'on s'y est préparé, on peut imaginer des moyens de
neutraliser l'astéroïde.
Le faire exploser, comme dans tous les
films consacrés au sujet, n'est pas intéressant :
ça ne ferait que le morceler, et l'ensemble des morceaux
provoqueraient plus de dégâts que l'astéroïde
entier ! La bonne méthode est de le dévier. La Terre ayant un
rayon de quelque 6000 km, la déviation doit être de cet
ordre de grandeur, ce qui n'est pas irréalisable pour peu que l'on
puisse s'y prendre suffisamment à l'avance. On a
étudié diverses possibilités pour cela (voir par
exemple le numéro de mai 2004 de Pour la science), et la plus
crédible est de faire exploser une bombe nucléaire
à proximité : cela vaporiserait l'astéroïde
en surface d'un côté, et provoquerait en réaction
une déviation. Pour des astéroïdes de quelques
dizaines voire quelques centaines de mètres de diamètre,
une bombe nucléaire de faible puissance suffirait.
Voilà donc peut-être une façon de recycler
l'arsenal nucléaire, dont l'utilité est discutable depuis la chute de l'Union
soviétique... L'avis général des astronomes ayant
participé aux premières réunions à ce sujet
était d'ailleurs que les militaires cherchaient
désespérément une nouvelle justification au maintient de leur arsenal nucléaire, et
une raison de relancer le programme « Guerre des
étoiles » que l'on avait pratiquement
abandonné depuis 1987.
En 1998, la recherche d'astéroïdes a fait un véritable bond
en avant avec la mise en service du double télescope LINEAR
(Lincoln Near-Earth Asteroid Research), spécialement
conçu pour cela et responsable depuis de 75% des découvertes. Cette paire de télescopes d'un
mètre de diamètre est une adaptation des
télescopes GEODSS (Ground-based Electro-Optical Deep Space
Surveillance) utilisés par l'US Air Force pour le suivi des
satellites. Il s'agit donc d'un « don » militaire à la
recherche civile, et les résultats impressionnants de cet
instrument somme toute modeste donnent une idée de l'avance
technologique des militaires en matière d'imagerie astronomique.
Une arme pour une apocalypse propre
Pour pondérer le bel optimisme relatif au recyclage de l'arsenal
nucléaire américain pour la protection contre les risques
cosmiques,
remarquons tout de même que les astéroïdes peuvent
aussi devenir des armes auprès desquelles ledit arsenal
ressemble à un jouet d'enfant. Et utiliser le potentiel
destructeur des astéroïdes demande les mêmes
préalables que les éviter : il faut
répertorier les astéroïdes frôlant
régulièrement la Terre, et être capables de les
dévier... Simplement, au lieu de dévier un
astéroïde qui s'apprête à heurter la Terre, il
s'agit de dévier un astéroïde qui va passer à
côté de la Terre pour le faire tomber en un point
particulier du globe...
Une telle arme aurait beaucoup d'avantages :
— puissance : un astéroïde de seulement 50 m de
diamètre heurtant la Terre à la vitesse de 20 km/s
dégage une énergie équivalente à 10
mégatonnes de TNT, soit la puissance d'une grosse bombe
thermonucléaire !
— propreté : même si une petite bombe nucléaire a
été nécessaire pour dévier
l'astéroïde, les restes de matières fissiles
dispersés dans l'atmosphère lors de la rentrée
seraient tout à fait négligeables devant la puissance de
l'arme ;
— éthique : les habitants de la zone cible pourraient être
avertis de l'impact des mois à l'avance, et auraient donc tout
le temps d'évacuer la zone à risque. L'arme
détruirait une ville sans faire aucune victime, hormis
peut-être les intégristes religieux candidats au suicide, dont personne ne pleurerait la perte ;
— économie : les quelques petites bombes nucléaires de
puissance minime utilisées pour dévier
l'astéroïde verraient ainsi leur puissance de destruction
démesurément amplifiée ;
— sécurité : étant donné le
délai
entre les manoeuvres de déviation et le choc, les astronomes
auraient tout le temps de calculer précisément et sans
risque d'erreur le lieu d'impact. En cas de déviation mal
maîtrisée, il y aurait toutes les chances pour que la
zone visée par erreur soit peu habitée, dans le cas
contraire on pourrait toujours
dévier à nouveau l'astéroïde et même
l'éloigner d'une trajectoire de collision avec la Terre, et
même en cas d'échec la zone concernée pourrait de
toute façon
être évacuée.
Par contre, cette arme aurait un gros inconvénient : le délai.
Dévier un astéroïde de façon
« économique » doit se faire avec au moins une bonne
année d'avance ; en y ajoutant la durée du voyage, on doit
sûrement compter sur une attente de l'ordre de trois ans au moins
entre la prise de décision et l'impact.
Mais ça n'est peut-être pas rédhibitoire. On peut
imaginer un avertissement du genre : « si vous ne rendez pas les
armes avant un mois, votre capitale sera détruite dans trois
ans et cinquante-trois jours, et rien ne pourra
l'empêcher ». En fait, il sera toujours possible de
dévier l'astéroïde vers une zone déserte
jusqu'à quelques semaines avant l'impact, mais le
principe des ultimatums n'est-il pas de ne plus accepter aucun retour
en arrière au-delà d'un certain délai ?
Petite étude de faisabilité
Essayons de déterminer si l'utilisation d'une telle arme est réaliste avec notre technologie spatiale actuelle.
Des astéroïdes d'une cinquantaine de mètres de
diamètre « frôlent » la Terre
plusieurs fois par mois (on n'en repère que très peu pour
l'instant)
à une distance inférieure à la distance
Terre-Lune, soit de l'ordre de 300 000 km. Il suffirait donc d'avoir
repéré et déterminé l'orbite d'un pour cent de ces objets pour en connaître
un qui doive passer à cette distance de la Terre après
quelques années... Il s'agit là d'une ambition modeste
pour les programmes de recherche des NEO dans les prochaines
années.
La première difficulté est alors d'aller à la
rencontre
de l'astéroïde ; il ne s'agit pas s'implement de le croiser
à grande vitesse, mais de se synchroniser avec lui : ce
qu'on
appelle un rendez-vous (même en anglais) dans le vocabulaire
spatial. Avec des
fusées conventionnelles, cela demande beaucoup de carburant :
ça n'est pas franchement impossible, mais ça coûte
très cher. Des techniques plus économiques utilisant de
faibles accélérations existent, mais le voyage devient
alors nettement plus long. C'est ainsi que le seul rendez-vous avec un
astéroïde a été pour l'instant accompli par
la sonde NEAR (Near Earth Asteroid Rendezvous),
utilisant un petit propulseur ionique alimenté par des panneaux
solaires. Lancée au début 1996, elle devait rencontrer
l'astéroïde Eros (pour un rendez-vous, ça
s'imposait !) en 1999, mais un problème technique a
entraîné une année de retard. L'énergie
solaire pourrait aussi être
utilisée plus directement par une voile solaire, avec des
délais comparables. Les Américains avaient
envisagé d'utiliser cette technique prometteuse pour un
rendez-vous avec la comète de Halley en 1986, mais
c'était très prématuré (presque vingt ans
plus tard, on n'a toujours pas inauguré la propulsion par voile
solaire ; la difficulté est de déployer la voile,
constituée d'un film de plastique aluminisé
extrêmement fin et de très grande surface).
Trois ans, c'est déjà beaucoup, et Eros avait
été choisi parce que c'était un des
astéroïdes les plus faciles à atteindre. Si l'on
devait opérer un choix imposé parmi des milliers
d'astéroïdes, le voyage serait encore plus long. Pour le
ramener à des durées plus intéressantes, le seul
moyen réaliste serait d'utiliser des propulseurs
nucléaires. En raison de l'hostilité populaire, la
propulsion nucléaire spatiale a été
abandonnée à la fin des années 60 (sauf pour de
très petites puissances), mais on l'envisage sérieusement
dans la perspective prochaine d'un voyage habité vers Mars, et
il y a de bonnes raisons de penser que les militaires l'ont
déjà utilisée en secret (nous y reviendrons).
Après avoir atteint l'astéroïde qui doit
frôler la Terre à moins de 300 000 km, il faut pouvoir le
dévier pour transformer ce « frôlement » en
impact. On peut calculer que pour réaliser cela en moins d'une
orbite, il faut lui imprimer une vitesse de
l'ordre de 40 m/s.
Pour cela, quel que soit le moyen utilisé, on
doit éjecter une partie de la matière de
l'astéroïde dans l'autre direction, de telle manière
que la quantité de mouvement globale reste identique. La
quantité de mouvement, c'est le produit de la masse par la
vitesse, et elle reste invariable : c'est le principe régissant
tous les moyens de propulsion par réaction. Ainsi, la masse de
l'astéroïde multipliée par 40 m/s devra être
égale à la masse de matière éjectée
multipliée par sa vitesse d'éjection, afin que les deux
quantités de mouvement s'annulent.
Si la masse éjectée est une partie du satellite
vaporisée, on peut compter sur une vitesse d'éjection de
l'ordre de 1000 m/s, soit 25 fois la vitesse à laquelle
l'astéroïde doit être dévié... Dans ces
conditions, la masse de matière éjectée devra
être égale à la masse de l'astéroïde
divisée par 25, soit pour un astéroïde de 50 m de
diamètre le vingt-cinquième de 200 000 tonnes, ou 8000 tonnes.
Quant à l'énergie nécessaire pour cela, il s'agit
de l'énergie cinétique de la masse éjectée,
soit m.v2/2, ou dans ce cas 8.106×10002/2 = 4.1012 joules. Cela
représente un peu plus d'une kilotonne d'équivalent TNT,
soit la puissance d'une petite bombe nucléaire. Même en
tenant compte de pertes inévitables, c'est tout à fait
envisageable, et on peut rappeler que la puissance
générée ensuite par l'impact de
l'astéroïde sur Terre sera de l'ordre de dix
mégatonnes de TNT : l'arme astéroïdale est un
formidable amplificateur de puissance !
Notons que si l'on voulait dévier l'astéroïde en le
poussant par un moteur de fusée, cela nécessiterait dans
le meilleur des cas (en considérant une vitesse
d'éjection égale à 4500 m/s) environ 1800 tonnes
de carburant. À moins de pouvoir fabriquer le carburant sur
l'astéroïde, ce qui relèverait de la prouesse
technologique, on voit que l'utilisation de bombes nucléaires
est de loin la technique la plus économique.
Obtenir une déviation précise à l'aide de
bombes
nucléaires n'est certes pas facile, mais ça n'est pas
impossible non plus... Si on parvient par exemple à calculer la
déviation induite avec une erreur moyenne de dix pour cent, au
besoin après une première explosion servant de test
d'étalonnage, on multiplie la précision de la trajectoire
par dix à chaque explosion. Avec six ou sept bombes de puissance
décroissante, on atteint donc une précision d'un
millionième, soit un site d'impact précis à moins
d'un kilomètre pour une déviation finale de 300 000 km.
Mais on peut aussi utiliser des méthodes de déviation
« douces » à la place des bombes, et répartir
l'accélération sur des semaines ou des mois... En fait,
il s'agit de faire la même chose, éjecter de la
matière de l'astéroïde, mais graduellement. On peut
sans doute concevoir un petit réacteur nucléaire capable
de vaporiser la matière qui l'entoure, ou
d'accélérer la matière de l'astéroïde
par des champs électriques ou magnétiques ; on a aussi
imaginé des voiles solaires concentrant la lumière du
Soleil sur une partie de l'astéroïde... Bref les solutions
ne manquent pas, et n'apparaissent pas irréalisables, mais demanderaient tout de même beaucoup de recherches.
Enfin, la détermination du lieu d'impact ne pose aucun problème
pourvu que la déviation soit très précise... En
jouant sur le moment auquel cette déviation est
imprimée, on peut ajuster aussi bien le point de rencontre
avec le globe terrestre que l'heure de l'impact, et donc
le lieu géographique qui s'y trouve.
Militaires en quête de puissance
On l'a vu, le grand promoteur de la « défense contre les
astéroïdes » au sein de l'armée était
Edward Teller (mort très récemment, en septembre 2003 ;
mais ne doutons pas qu'il ait laissé des émules
prêts à continuer son oeuvre)...
Dans son livre Plus vite que la lumière, Joäo
Magueijo raconte une anecdote édifiante sur la
personnalité Teller :
Neil Turok m'a raconté qu'il avait un jour
dîné, lors d'une conférence, avec Edward Teller
à qui il avait mentionné au cours de la conversation
qu'il travaillait sur les monopoles magnétiques. À la
grande horreur de Neil, le vieil homme commença
immédiatement à estimer l'énergie que pourrait
libérer une bombe à monopoles magnétiques.
Teller, physicien remarquable, a consacré l'essentiel de ses
capacités à concevoir des armes toujours plus puissantes.
Il a bien sûr été un des piliers du programme
Manhattan sous la direction d'Oppenheimer. Mais alors que ce dernier,
avec bien d'autres physiciens ayant participé à ce projet, a été
horrifié par les perspectives de sa création lorsque les
bombes nucléaires ont été utilisées contre
le Japon, Teller n'a pas eu ce genre de remords... Tout comme il n'a
pas eu de scrupules pour participer activement à la campagne de
discrédit contre Oppenheimer, suspecté
d'intérêts communistes... En récompense de ces bons services, il a donc
hérité du poste d'Oppenheimer, pour développer cette fois la
bombe à hydrogène.
On peut donc se poser des questions sur l'intérêt de
Teller pour les astéroïdes. Bien sûr, on peut
imaginer, comme il l'affirmait d'ailleurs lui-même, qu'il voyait
dans la lutte contre les risques d'impact une raison de
développer des bombes
d'une puissance telle qu'elles n'auraient aucun intérêt
militaire... On peut aussi penser qu'il voulait trouver une nouvelle
utilité à « l'Initiative de défense
stratégique » ou programme « Guerre des
étoiles », dont il avait été le principal
instigateur.
Il est à noter que ce programme a été
initié en 1980 par un auteur se science-fiction passionné
d'espace, Jerry Pournelle (très connu aux États-Unis,
mais pratiquement pas en France où un seul de ses romans a
été traduit), entouré d'autres auteurs de
science-fiction, de militaires et d'acteurs de l'astronautique,
regroupés au sein d'un « Comité consultatif de
citoyens sur la politique spatiale de la nation ». Son but
était de relancer un programme spatial qui manquait d'ambition
depuis la fin de la course à la Lune : voyant que le budget de
la
NASA ne permettrait certainement pas de réaliser les visions
futuristes des pionniers de la conquête spatiale, Pournelle avait
pensé convaincre le Pentagone, avec son budget trente fois plus
important, que le déploiement d'une véritable armada
spatiale mettrait les États-Unis à l'abri d'une attaque
nucléaire. Et il s'agissait bien de cela, le programme
nécessitant le développement de nouveaux lanceurs et de
plusieurs stations spatiales bien plus ambitieuses que l'ISS. Pournelle
ne s'intéressait que modérément aux applications
militaires, mais il
espérait que l'espace civil pourrait ensuite profiter de ces
avancées.
Officiellement, il n'est pas resté grand-chose de l'IDS, sinon
que son lancement en 1983 a joué un rôle essentiel dans
l'éclatement de l'URSS, incapable finacièrement de suivre les
États-Unis dans cette voie et perdant ainsi la confiance de ses
états constitutifs.
On peut maintenant se demander si Teller, comme Pournelle mais dans un
tout autre registre, ne voyait pas dans ce programme un
« marche-pied » vers des perspectives tout autres que le
simple « bouclier spatial », et en rapport avec les
astéroïdes !
En 1990, un rapport du protégé de Teller Lowell Wood, du
Lawrence Livermore Laboratory, qui a beaucoup pesé sur la
demande du Congrès d'étudier la question, indiquait que
les astéroïdes de plus de 4 m de diamètre
étaient dangereux... Cette mention est très
étonnante : tous les astronomes un peu
intéressés par la question savent bien que les
astéroïdes de cette taille ne sont pas vraiment
inquiétants, du fait que leur énergie est presque
entièrement perdue dans l'atmosphère.
Apparemment, Wood ignorait ce détail et n'évaluait le
danger que par le calcul de l'énergie cinétique des
astéroïdes... Mais ce qui est surprenant, c'est que
même en tenant compte de l'énergie dégagée
par l'impact, un astéroïde de 4 m de diamètre ne
présenterait qu'un danger très localisé, à
l'échelle d'un quartier dans l'éventualité
extrêmement improbable où il tomberait sur une ville...
Vouloir dépenser des fortunes pour éviter de tels
accidents pas plus dangereux et beaucoup plus improbables que des
accidents industriels n'aurait guère de sens. Mais on peut
remarquer que cette quantité d'énergie permettrait de détruire un
complexe industriel ou militaire.
Wood a aussi développé le projet d'un grand programme de
visites de comètes et d'astéroïdes par des petites
sondes utilisant le système de surveillance « brilliant
eyes » (projet d'une « constellation » de petits
satellites d'observation), avec essais de déviation par des
bombes
nucléaires... Il va sans dire que Teller apportait aussi son
soutien à ce projet...
Tout cela pose la question des véritables
motivations de ces chercheurs militaristes convaincus, lorsqu'ils veulent promouvoir les essais de déviation
d'astéroïdes tout juste capables de détruire une
cible stratégique !
L'embrigadement des astronomes
Mais pourquoi les militaires auraient-ils éprouvé besoin de
s'associer à des astronomes civils, puisqu'ils ont
montré qu'ils disposaient des instruments les plus performants
pour la recherche d'astéroïdes ?
Il pourrait s'agir simplement de faire financer cette recherche sur
un
budget civil, ce qui est toujours ça de gagné, ou encore
de préparer l'opinion à l'utilisation
« pacifique » d'armes nucléaires dans l'espace et de
« tâter le terrain ».
Mais surtout, il faut être conscient que des scientifiques tels
que Teller sont plutôt rares, surtout chez ces rêveurs
d'astronomes : la plupart d'entre eux abhorrent la recherche militaire.
La seule occasion où les militaires ont pu avoir le soutien de
scientifiques, c'est pour le programme Manhattan, en faisant croire que
les Allemands étaient sur le point de réaliser la bombe
atomique, et la plupart d'entre eux se sont désolidarisés
de la course aux armements, quand ils ne s'y sont pas farouchement opposés, dès la fin de la guerre.
Depuis, les militaires sont réduits à employer la ruse
pour attirer des scientifiques ou ingénieurs... Un exemple tout
récent (mars 2004) est le concours organisé par le
département de recherches de l'armée américaine
pour la conception d'un véhicule de combat totalement autonome,
sans conducteur. Ce projet d'ALV (Autonomous Land Vehicle)
n'était pas nouveau, puisqu'il avait déjà
été lancé en 1983 (en même temps que l'IDS),
pour être abandonné quatre ans plus tard en raison du
manque de maturité de l'intelligence artificielle. Il
semble que l'idée devienne maintenant envisageable,
mais que les militaires manquent de chercheurs imaginatifs, puisqu'ils
ont donc lancé ce concours. Le but était de concevoir un
véhicule capable d'avancer le plus loin possible sur un terrain
truffé de pièges. L'équipe gagnante remportait le
prix coquet d'un million de dollars, et en échange de cela les
militaires se réservaient le droit de décortiquer et
étudier à loisir les appareils et les plans de tous les
candidats... C'est ainsi qu'une bonne centaine d'équipes issues
pour la plupart de grandes universités ou d'instituts
prestigieux ont participé à ce qu'elles
considéraient comme un jeu et un défi, sans se demander
ce qu'on mettra dans ces véhicules lorsqu'ils seront
utilisés en terrain de combat ! Mais soyez rassurés, les
résultats ont été plutôt décevants !
En matière d'astéroïdes, il faut des
compétences pour calculer précisément les
trajectoires, en prenant en compte la pression de radiation solaire,
les matières éjectées par évaporation, etc
(tout récemment, les astronomes ont mis en évidence
l'effet Yarkovski, dû à l'émission retardée
de lumière infrarouge par un astéroïde en rotation
chauffé par le Soleil). Depuis quelques années, des
astronomes sont capables de prédire des pluies d'étoiles
filantes... On imagine mal les calculs qui se cachent derrière
cet exploit. Ceux qui sont capables de les effectuer se comptent sur
les doigts d'une main, et
ce sont ces astronomes-là qui calculent les orbites
d'astéroïdes « dangereux » : ceux qui risquent de
heurter la Terre accidentellement, mais qui pourraient aussi être
déviés volontairement et sans difficulté sur une
trajectoire de collision.
D'autre part, pour calculer précisément les orbites, il
est nécessaire de faire appel à un maximum
d'observateurs... C'est d'ailleurs la principale raison des
« alertes » diffusées par les astronomes, et largement
reprises par la presse, lors de l'observation d'un
astéroïde potentiellement dangereux : aucun
spécialiste ne s'inquiétera vraiment de trouver qu'un
astéroïde a une chance sur un million de heurter notre
planète en 2014, pour prendre l'exemple d'une de ces
« alertes » les plus récentes, mais diffuser un tel
message permet d'intéresser un grand nombre d'astronomes
à l'observation de cet astéroïde, et la
précision du calcul sera d'autant plus grande.
Et si ça n'était déjà plus de la fiction ?
Bien entendu, si les recherches sur les astéroïdes avaient
pour but de développer des armes au lieu de protéger les
populations, elles seraient beaucoup moins populaires dans la
communauté astronomique aussi bien que pour le grand public...
En fait, de tels essais violeraient une
résolution votée en 1963 à l'unanimité aux
Nations unies, interdisant l'emploi de tout type d'armes de destruction
massive dans l'espace. Les militaires auraient donc tout
intérêt à garder ces objectifs secrets.
Le corollaire, c'est qu'on peut se demander si cette arme nouvelle
n'est pas déjà en cours de développement, voire
prête à être utilisée. Et il semble bien que
toutes les technologies nécessaires se sont mises en place
durant la même période.
Il est extrêmement probable que les Américains disposent
depuis 1990 d'un avion hypersonique... La façon dont il vole est
sujette à discussion (il y a de bonnes raisons de penser, comme
Jean-Pierre Petit en est convaincu, qu'il utilise un système de pontage MHD
similaire à celui développé mais non
concrétisé dans le programme russe Ajax), mais
pratiquement aucun expert en aviation ne doute de l'existence d'au
moins un avion volant à une vitesse d'au moins 6000 km/h.
Officiellement, Aucun avion véritable ne dépasse les
3500 km/h du SR-71 « Blackbird », et la NASA vient
seulement de
tester le X-43, un prototype d'avion à échelle
réduite ayant maintenu pendant une dizaine de secondes (!) une
vitesse de 7000 km/h, après y avoir été
amené par une fusée (!!) Cela,
c'est la recherche civile, publique...
Pour imaginer maintenant ce qui se passe dans la recherche militaire
secrète, il suffit de comparer les coûts : le programme
X-43 représente 250 millions de dollars ; les « black
programs », recherches militaires très secrètes,
reçoivent annuellement environ QUINZE MILLIARDS de dollars (sur un
budget total du Pentagone se montant pour 2004 à 400 milliards
de dollars), soit autant que le budget total de la NASA ! Voilà pourquoi on ne peut guère douter de
l'existence d'avions hypersoniques, et pourquoi aussi il est plus que
probable que ces recherches s'étendent au domaine spatial.
J'ai déjà indiqué
comment un avion hypersonique
pouvait remplacer avantageusement le premier étage d'un lanceur
de petite capacité, comme par exemple le lanceur Pégase
également développé en 1990. On sait aussi que les
Américains ont élaboré pour leurs missiles des
systèmes de furtivité radar utilisant l'ionisation de
l'air. Il est donc
extrêmement vraisemblable qu'ils disposent d'un système de
lancement furtif et extrêmement économique (un avion
hypersonique réutilisable remplaçant un premier
étage volumineux et consommable, c'est forcément
économique), leur permettant de lancer en toute
discrétion de petits satellites, de masse sans doute
inférieure à 500 kg. En fait, je ne serais pas
étonné que les lancements furtifs soient la principale
fonction de l'avion hypersonique, et qu'il s'agisse d'un sous-produit
de l'IDS et des ambitions spatiales de Teller bien plus que d'un
successeur à l'avion-espion SR-71.
Il est aussi hautement probable, comme nous l'avons vu par ailleurs,
que des systèmes de propulsion nucléaire, dans
l'atmosphère aussi bien que dans l'espace, aient
été développés, permettant entre autres
l'envoi de petites sondes à la rencontre
d'astéroïdes... De tels moyens de propulsion sont
maintenant étudiés pour l'espace civil dans l'optique de
voyages vers Mars, mais il n'est pas douteux que les militaires
disposent dans ce domaine aussi d'une avance considérable.
Et les bombes utilisables pour le détournement
d'astéroïdes existent aussi. Lors de la guerre contre
l'Irak, les États-Unis tentaient de faire admettre l'utilisation
de « mini-nukes », de petites bombes nucléaires
capables de détruire des bunkers souterrains. Ils cherchent
à faire admettre que les bombes d'une puissance de l'ordre de la
kilotonne ou moins devraient être exclues du traité interdisant les
essais nucléaires, du fait qu'il s'agirait de bombes tactiques
et non d'armes de destruction massive... S'ils obtiennent gain de
cause, on peut se demander si ces armes n'échapperaient
pas aussi de fait aux divers textes interdisant l'emploi d'armes
nucléaires et d'armes de destruction massive dans l'espace !
De telles armes nucléaires tactiques sont souvent
« optimisées » pour des utilisations
spécifiques : bombes à neutrons, à rayonnements,
à effets électromagnétiques, etc. Je ne serais pas
surpris qu'il existe aussi des bombes spécialement
conçues pour détourner des astéroïdes,
émettant un flux de particules dirigé parfaitement
dosé pour optimiser « l'évaporation » de la
surface de l'astéroïde.
Et tout cela, le lanceur furtif, la propulsion nucléaire et les
mini-bombes, date probablement du début des années 90,
précisément le moment où ce brave Teller et ses
amis ont commencé à se préoccuper de la
« menace » des astéroïdes !
Il me semble donc très vraisemblable que le « projet »
de Wood soit déjà en cours de réalisation, et que
son but véritable ne soit pas de nous protéger.
L'idée serait de placer des sondes en orbite
ou à la surface d'astéroïdes susceptibles de
frôler la Terre dans un futur proche, capables sur commande de
dévier l'astéroïde pour transformer le
« frôlement » en un choc en un lieu précis. De
cette manière, le délai entre la décision de
détruire une cible stratégique et la destruction
réelle pourrait sans doute être réduit à
moins de deux ans.
Fabriquées en série, ces sondes auraient un coût unitaire réduit.
Notons que l'on découvre de plus en plus d'astéroïdes autour
desquels tournent de petits satellites. Je ne prétends pas que
tous ces satellites seraient des modules-bombes destinés au
besoin à dévier les astéroïdes, mais il se
pourrait bien que ce soit le cas pour certains.
Quand la comète SL9 percute très opportunément Jupiter
Curieusement, peu après que l'armée eut commencé
sa campagne pour la prise de conscience des dangers des
astéroïdes, elle a été grandement
aidée par un événement astronomique exceptionnel
et jamais observé auparavant : une grosse comète ayant
percuté la planète Jupiter. Bien que Jupiter soit
beaucoup plus grosse que la Terre, une collision aussi importante ne doit
guère se produire qu'une fois tous les mille ans... On peut donc
dire qu'on a eu beaucoup de chance !
C'est le 24 mars 1993 qu'une comète étrange, faite d'un
chapelet de fragments, a été découverte près
de Jupiter par Eugène Shoemaker, son épouse Carolyn et
son collaborateur Daniel Levy... Nous avons déjà vu que
Shoemaker était le responsable du principal programme de
recherche d'astéroïdes avant que l'armée ne s'en
mêle, et lui et ses collaborateurs n'en étaient pas
à leur première découverte de comète, comme
le nom donné à cette dernière l'indique :
Shoemaker-Levy 9.
Le chapelet de fragments photographié par le télescope spatial Hubble
Lorsqu'ils ont calculé l'orbite de la comète, les
astronomes ont compris qu'elle était satellisée autour de
Jupiter, sur une orbite qui l'amenait de la proximité
immédiate de la planète jusqu'à l'extrême
limite de stabilité d'une orbite, à
quelque 49 millions de kilomètres de la planète.
En passant très près de Jupiter lors du
périastre précédent, le 7 juillet 1992, à
quelque 30 000 km de sa surface, la comète s'était
fragmentée par l'effet de marée. C'est ainsi que l'on
appelle les différences de pesanteur exercées par une
planète sur les différentes parties d'un satellite (ou
inversement) : la partie la plus proche de Jupiter est plus
attirée que la plus éloignée, et le satellite est
donc un peu « tiraillé » suivant la direction de
Jupiter. Cette force différentielle tend à augmenter
lorsque le satellite se rapproche de la planète, si bien
qu'en-deçà d'une distance limite l'effet de marée
devient supérieur à la pesanteur propre du satellite :
ainsi, s'il n'est pas formé d'un bloc de matière
compacte, le satellite se désagrège. Cette limite est
appelée limite de Roche, du nom de l'astronome français
Édouard Roche qui l'a calculée en 1849. Elle est
indépendante de la masse du satellite, mais elle dépend
de la différence de densité entre la planète et le
satellite. Pour des densités égales, elle vaut 2,44 fois
le rayon de la planète.
SL9 est donc passée nettement à l'intérieur de la
limite de Roche (le rayon de Jupiter est d'environ 70 000 km), et s'est
brisée en une vingtaine de fragments. En 1886, une mésaventure similaire était
arrivée à la comète Brooks 2, qui s'était
brisée en deux après être passée à
72 000 km de Jupiter.
Mais le plus intéressant, c'est que les calculs indiquaient
qu'en raison de l'influence du Soleil, le périastre de cette
orbite allait encore se rapprocher du centre de la planète, si bien qu'au passage suivant la
comète, ou plutôt le chapelet de débris, allait
percuter Jupiter. C'est ce qui s'est passé du 16
au 22 juillet 1994, le chapelet s'étant étendu alors sur
cinq millions de kilomètres.
C'était la première fois qu'on allait assister à
un tel événement : l'impact d'une comète sur une
planète ! En fait, Jupiter est sûrement frappé
très souvent par des astéroïdes ou comètes,
mais de taille moindre. Avec une masse estimée de 1014 kg,
correspondant à un diamètre de 4 km pour un
astéroïde ou 10 km pour une comète, cet impact
allait être spectaculaire, et du fait qu'on l'avait prévu
à l'avance de nombreux télescopes et une sonde spatiale
seraient tournés vers Jupiter. Le spectacle a été
à la hauteur des attentes, et son impact médiatique a
joué un rôle vraiment important dans la mise en place de
programmes de recherche des astéroïdes dangereux.
Une série d'impacts photographiés en lumière infrarouge à l'observatoire de Calar Alto (Espagne)
Quelque temps plus tard, en 1997, un texte curieux a été
émis sur le forum d'astronomie sci.astro, sur lequel il n'a
suscité aucune réaction, et transmis un an plus tard par
son auteur à Christophe Giudici, qui l'a diffusé. Vous
pourrez trouver letexte complet et son histoire sur le site Ataraxie de Christophe. L'auteur,
un certain « Stagger » ou « Matthieu », est resté anonyme et s'est
donné beaucoup de mal pour ne pas être localisé.
Ce texte indiquait que SL9 était une fausse comète
dissimulant un test de bombes à antimatière
de puissance colossale ! L'idée était que les
Américains maîtriseraient en secret la fabrication massive
d'antimatière depuis les années 70, et auraient
envoyé une vingtaine de « modules-bombes »,
déguisés en fragments de comète par une
émission de baryum et de lithium, pour tester en vraie grandeur
l'impact d'une grande quantité d'antimatière sur Jupiter.
Le texte se rattachait à des lettres ummites suggérant
que l'antimatière pouvait être produite par compression de
la matière (ce qui reste à l'heure actuelle de la pure
spéculation) et à des livres de Jean-Pierre Petit (en
particulier Les Enfants du diable). Mais il ne s'agissait pas pour
autant d'une banale théorie échevelée construite
par un quelconque lecteur de Jean-Pierre Petit un peu imaginatif : ce
texte fait preuve d'une grande cohérence, donne beaucoup de
détails crédibles sur les lancements impliqués
dans cette expérience, et ajoute des idées techniques
intéressantes et novatrices que Petit n'avait jamais
abordées.
Jean-Pierre Petit a publié ce texte dans son livre Ovnis et
armes secrètes américaines (il y est revenu
récemment sur son site, pour faire le point sur les
problèmes scientifiques posés par la comète SL9),
et il a suscité un certain nombre de débats sur des
forums et des sites d'ufologie ou d'astronomie. Je ne les
détaillerai pas parce que ça nous éloignerait
du sujet, mais vous pouvez trouver une compilation de ces débats
sur le site de Mel Vadeker.
Je citerai juste un extrait de la réaction de l'astronome Alain
Maury, qui est en France le plus impliqué dans la « chasse
aux astéroïdes », lorsque Christophe Giudici a
voulu lancer le débat dans sci.fi.astro :
Ceci étant, il y a eu une opposition assez ferme à
l'idée d'aller dévier un astéroïde "juste
pour voir", et le concensus actuel est plus à terminer
l'inventaire complet des astéroïdes géocroiseurs,
qui ne révelera certainement pas de collisions proches avec de
gros objets, plutôt que d'aller dépenser des centaines de
millions de dollars sur des cailloux dans l'espace. Par ailleurs
lorsque l'on sait le tollé que provoque l'envoi de quelques
kilos de plutonium pour alimenter une sonde spatiale, on imagine les
problèmes qu'il y aurait pour envoyer une vraie bombe dans
l'espace. Je ne crois pas que ce genre de chose pourrait se faire sans
l'autorisation au plus haut niveau de l'état (car ca revient
à violer les conventions internationales).
La candeur d'Alain Maury est assez impressionnante : il n'a pas l'air
de pouvoir imaginer que des recherches militaires tout à fait
interdites puissent être menées en secret... Pourtant, les
exemples ne manquent pas dans le passé, comme l'utilisation de
soldats et même de populations civiles, à leur insu, pour
tester les effets d'une exposition aux radiations... Maury suppose sans
doute aussi qu'aucune expérimentation d'arme biologique n'a
été effectuée puisque cela « violerait les
conventions internationales» !
Je ne me lancerai ici pas dans une analyse détaillée du
texte sur SL9, lequel mériterait un article à lui seul...
Disons simplement que la théorie paraît tout à fait
invraisemblable du fait de la quantité énorme
d'antimatière (des centaines de tonnes) qu'il faudrait pour
produire les impacts observés sur Jupiter... Que les
Américains aient trouvé un moyen inédit de
fabriquer de l'antimatière en grande quantité, ça
n'est pas totalement inimaginable (je suis tout de même assez
sceptique à ce sujet), mais qu'ils aient pu en envoyer une telle
quantité sur Jupiter (même si, dans cette
hypothèse, elle avait pu être fabriquée pendant le
voyage), ça l'est !
Il n'est pourtant pas exclu que cette lettre recèle des
éléments d'information réels, noyés
dans un scénario de science-fiction quelque peu délirant,
pour attirer l'attention sur cette comète étrange.
Voyons un peu quelles « bizarreries » ont été
attribuées à tort ou à raison à cette
comète.
Le fait qu'une comète ait été capturée par
Jupiter n'est pas vraiment étrange... Il est bien évident
qu'il y a une distance limite pour un satellite, au-delà de
laquelle l'influence du Soleil est trop forte pour que le satellite
reste attaché à sa planète. On appelle cela la
« sphère d'influence » d'une planète, et dans
le cas de Jupiter son rayon est de l'ordre de 50 millions de
kilomètres. Un satellite qui atteindrait cette distance serait donc très
instable, et pourrait à la faveur de circonstances
particulières (en particulier selon la variation de distance de
Jupiter au
Soleil et l'orientation de l'orbite) être éjecté.
Voici un exemple d'une telle orbite instable, avec éjection
finale (l'orbite est représentée par rapport à la
direction du Soleil, toujours en bas ; elle est d'autre part dans le
plan de l'orbite de la planète) :
On remarque sur cette simulation que la distance du périastre
varie
considérablement selon la direction de l'axe de l'orbite par
rapport au Soleil. Ça explique bien la chute de SL9 sur Jupiter
(bien que le phénomène soit beaucoup moins marqué
dans le cas d'une orbite très inclinée par rapport
à celle de la planète, comme l'était l'orbite de
SL9 ; je n'ai pas
vraiment cherché à reproduire l'orbite de SL9, parce que
ça a déjà été fait bien mieux que je
n'aurais pu le faire par des astronomes spécialisés, et
qu'il n'y a aucune raison de douter de la justesse de leurs travaux).
Quoi qu'il en soit, si un satellite peut ainsi être
éjecté de son orbite, l'inverse est aussi vrai, tous les
mouvements astronomiques pouvant être inversés. En tout
point de la simulation ci-dessus, vous obtiendriez une courbe
rigoureusement identique, mais en sens inverse, en inversant la
direction de déplacement du satellite : l'orbite
débuterait alors par une capture au lieu de se terminer par une
éjection (cela suppose bien sûr que le sens de déplacement de
Jupiter soit aussi inversé... Mais il suffit pour cela de
considérer que l'orbite est vue « de dessous » et non
« de dessus », ce qui revient à considérer son image dans un miroir).
Pour que la capture soit durable, il faut encore que l'orbite ait
tendance
à être de plus en plus stable au cours du temps, à
« s'enfoncer dans la sphère d'influence »... Mais
cette stabilité dépendant de
phénomènes cycliques (distance de Jupiter au Soleil,
direction du Soleil par rapport à l'axe de l'orbite), on
retrouvera forcément des circonstance critiques après
quelques
tours d'orbite, et le satellite s'échappera à nouveau. Un
autre mécanisme doit donc intervenir pour stabiliser l'orbite.
Depuis l'année 2000, en raison des progrès des capteurs
utilisés en astronomie, on a découvert pas moins d'une
cinquantaine de petits satellites de Jupiter, d'un diamètre
compris entre un et dix kilomètres, aux orbites très
excentriques... Pas autant que celle de SL9, mais l'apoastre
s'éloigne souvent jusqu'à une vingtaine de millions de
kilomètres de la planète. On suppose que ces satellites
ont été
capturés au début de l'histoire du système
solaire, alors que Jupiter était encore très chaude et
possédait une haute
atmosphère très étendue ; c'est cette
atmosphère qui aurait ralenti ces satellites au passage au
périastre, diminuant ainsi la distance de l'apoastre.
Depuis, Jupiter a refroidi, son atmosphère ne s'étend pas
beaucoup plus loin que sa surface visible, et il faut trouver une autre
cause à la stabilisation du satellite-comète SL9. La
plus plausible est qu'il serait passé très près
d'un gros satellite de Jupiter, qui l'aurait quelque peu
dévié... Une telle déviation peut éjecter
le satellite nouvellement capturé, comme elle peut le
précipiter sur la planète ou simplement l'en rapprocher
en stabilisant l'orbite (au moins jusqu'au prochain passage à
proximité d'un satellite). On se trouve donc avec SL9 dans ce
dernier cas.
Cela explique très bien que l'orbite de SL9 soit passée
très près de Jupiter... En effet, les quatre gros
satellites de la planète (les « satellites
galiléens ») se trouvent entre 400 000 et 2 millions
de kilomètres de Jupiter. Un satellite plus petit peut aussi
causer une déviation suffisante, mais le passage doit alors
être beaucoup plus proche si bien que la probabilité est
moindre.
Si l'on résume, un satellite capturé par Jupiter aura
presque inévitablement un apoastre proche de la limite de la
sphère
d'influence de la planète (50 millions de kilomètres) et
un périastre pénétrant à l'intérieur
de l'orbite des gros satellites (au maximum 2 millions de
kilomètres). C'était bien le cas de SL9, qui
s'éloignait jusqu'à 49 millions de kilomètres du
centre de la planète, pour s'en approcher un tour avant l'impact
à moins de 100 000 km. Des calculs précis ont
permis d'estimer que la comète avait été
capturée quelque 70 ans plus tôt.
On découvrira probablement d'autres satellites de Jupiter ayant
de telles caractéristiques... Étant donné le
nombre d'astéroïdes ou de comètes passant
régulièrement près de Jupiter, une telle capture
n'a rien de particulièrement improbable. Qu'une bonne part de
ces satellites finissent par être précipités sur la
planète est très probable aussi... Le seul sujet d'étonnement est que le choc
se soit produit juste au moment où on commençait à
se préoccuper des impacts d'astéroïdes.
La façon dont l'objet s'est fragmenté n'a rien de
vraiment étrange non plus. Il est en particulier normal que
l'ensemble des fragments se soit dispersé en chapelet et non en
« nuage ». Il est vrai que la manière dont les
fragments se dispersent lorsqu'ils sont désolidarisés est
variable selon l'éventuelle rotation de l'objet initial et
la libération de gaz emprisonnés à
l'intérieur, mais même dans le cas d'une dispersion dans
tous les sens, les
variations de vitesse dans le sens du déplacement provoquent des
modifications de l'orbite d'amplitude beaucoup plus importante que dans
les
autres directions. On peut montrer par ailleurs que l'étendue
finale du chapelet de fragments s'explique par des différences
de vitesse de l'ordre d'un kilomètre/heure seulement entre les
différents fragments lors de la fragmentation au
périastre...
L'aspect et la composition révélé par la
comète en fait un astre assez particulier, mais pas vraiment
étrange... En fait, il semble qu'il s'agisse d'un
astéroïde de type chondrite carbonée plutôt
qu'une véritable comète (voir encore le dossier sur le site de
Jean-Pierre Petit)...
Et ces chondrites, contenant une bonne proportion
d'éléments volatils, sont un peu des
intermédiaires entre les comètes et les
astéroïdes... On suppose qu'elles constituent l'essentiel
des objets de la « ceinture de Kuiper », une large ceinture
d'astéroïdes externes du système solaire, dont le
plus gros n'est autre que la « planète » Pluton (les
astéroïdes rocheux sont de leur côté
essentiellement rassemblés dans la ceinture entre Mars et
Jupiter, et les comètes proviennent pour la plupart des
régions situées aux confins du système solaire,
que l'on appelle le « nuage d'Oort »).
Que l'on n'ait pas repéré l'objet plus tôt n'est
pas vraiment surprenant non plus. Il n'était initialement pas
plus gros que tous les satellites découverts à partir de
l'année 2000, et n'est devenu visible
qu'en raison des gaz et des poussières libérés par
sa fragmentation, lui donnant son aspect cométaire. Mais lors de
cette fragmentation en juillet 1992,
Jupiter n'était pas très loin du Soleil, et ne pouvait
être observé que pendant une petite partie de la nuit et
très bas sur l'horizon. La situation a encore empiré les
mois suivants, Jupiter étant passé en conjonction avec le
Soleil le 7 septembre. L'observation de Jupiter restait donc
malaisée jusqu'à la fin de
l'année. L'objet aurait sûrement pu être
repéré en janvier ou février 1993, mais du fait de
son éloignement de Jupiter il fallait vraiment avoir de la
chance. Il est révélateur qu'il a été
découvert pratiquement au moment de l'opposition (laquelle a eu lieu le 31 mars 1993), lorsque Jupiter est
observable dans les meilleures conditions et qu'elle attire un maximum
d'observateurs.
Bref, le seul sujet d'étonnement reste que cet
événement jamais vu et certainement très rare se
soit produit au début des années 1990, alors même
que l'armée américaine faisait pression sur le
congrès pour que l'on étudie les dangers des
astéroïdes et que l'on cherche des moyens de les neutraliser.
Une explication modérée serait que les militaires,
grâce à leur avance technologique, auraient
repéré
cette « comète » quelques années avant les
astronomes, qu'ils auraient compris qu'elle allait percuter Jupiter et
qu'ils pourraient profiter de cette opportunité pour pousser le
congrès à accorder des crédits à la
recherche sur les astéroïdes. Mais ça n'est pas
vraiment satisfaisant, puisque cela tombait aussi à point pour
relancer une partie des objectifs du programme « Guerre des
étoiles », compromis par la fin de la Guerre froide.
Supposons maintenant qu'il y ait une part de vérité dans
le texte anonyme sur SL9 : des « modules-bombes » auraient
bien été envoyés vers Jupiter, mais au lieu d'un
invraisemblable test
d'arme à antimatière il s'agissait d'un essai à
grande
échelle de détournement d'astéroïde !
Je cite une phrase intéressante de ce texte, à la suite
d'un petit historique de la course aux armements jusqu'au
démantèlement de l'URSS :
À l'Ouest, bien dissimulés derrière une façade
reluisante de défenseurs de la paix, les "Docteurs Folamour"
sévissent toujours. La course aux armements ayant pris du plomb
dans l'aile, ils s'en passeront tout simplement pour échafauder
la plus diabolique des idées : expérimenter des bombes
d'antimatière à grande échelle, des bombes qui
soient des milliers de fois plus puissantes que tout ce qui avait
été réalisé jusqu'ici. L'espace terrestre
étant trop étroit géographiquement et
stratégiquement pour ce genre de projet, nos "docteurs" se
tournent donc vers l'espace et... la planète Jupiter!
Ça s'apparente étonnamment à ce que nous avons
développé ici, si ce n'est qu'il n'est pas besoin
d'antimatière pour obtenir des armes « mille fois
plus puissantes que tout ce qui avait été
réalisé jusqu'ici» !
Développons donc l'idée que les militaires aient voulu
faire une démonstration de grande ampleur d'un
détournement d'astéroïde pour le précipiter
sur une planète...
La première nécessité est de trouver un
astéroïde ou une comète qui va
« frôler » une planète autre que la Terre, et de
modifier légèrement son orbite. Un choc avec une
planète tellurique (Mars ou Vénus, voire la Lune)
paraîtrait trop suspect compte tenu de l'infime
probabilité d'un tel événement.
Par contre, la planète géante Jupiter est connue pour
jouer
vis-à-vis des autres planètes le rôle de
« bouclier »
contre les
comètes, au point que certains astronomes cherchant
désespérément des raisons de croire que l'homme
est seul dans l'univers (ou en tout cas que les « autres »
sont très loin de nous) considèrent que la vie n'aurait
pu
se développer sans sa présence. On n'aurait donc aucun
mal
à trouver des astéroïdes ou des comètes
n'attendant qu'un petit « coup de pouce » pour percuter
Jupiter, et seuls quelques ufologues conspirationnistes pourraient
trouver dans une telle collision quelque chose de « pas
naturel ».
Le problème, c'est que pour trouver un candidat valable en un
temps raisonnable on doit repérer des milliers
d'astéroïdes susceptibles de croiser l'orbite de Jupiter,
beaucoup plus éloignés que ceux qui sont
susceptibles de heurter la Terre. En outre, si l'astéroïde
n'est pas repéré
avant le choc, ce dernier a de grandes chances de passer
inaperçu. Il est probable que certaines taches
momentanées
à la surface de Jupiter soient dues à te tels chocs non
repérés immédiatement. SL9 a eu un grand impact
non seulement sur Jupiter, mais sur les esprits, justement par le fait
qu'on était préparé à l'observer et que des
images spectaculaires en ont été prises.
Mais nous avons vu qu'il est extrêmement probable qu'un grand
nombre de comètes ou astéroïdes aient été
capturés par Jupiter, et qu'ils terminent souvent leur existence
en percutant la planète. C'était donc en scrutant les
environs de Jupiter que l'on avait le plus de chances de trouver des
objets frôlant régulièrement la planète. SL9
aurait simplement été le premier repéré, ou
le plus facile à dévier parmi ceux qui étaient
connus.
Que les militaires aient pu repérer un objet de cette taille une
quinzaine d'années avant les astronomes est très
vraisemblable... Ils disposent de plusieurs télescopes spatiaux
n'ayant rien à envier à Hubble, même s'ils sont
généralement tournés vers la Terre et non vers
l'espace, et ils ont toujours eu une avance considérable dans la
sensibilité des capteurs et les méthodes de correction
des perturbations atmosphériques. Les militaires ont
utilisé bien avant les astronomes les miroirs actifs,
déformables, ou les « étoiles virtuelles »
générées dans la haute atmosphère par un
rayon laser, des techniques ayant révolutionné
l'astronomie. Et on peut parier que d'autres technologies militaires
dans ce domaine n'ont pas encore gagné le domaine civil.
Imaginons donc que ce satellite ait été capturé
tout à fait naturellement il y a un certain temps, mais que sa
collision avec sa planète ait été quelque peu
« précipitée »... Nous avons vu qu'un passage
au niveau des gros satellites de la planète était
nécessaire pour que la capture d'un satellite soit durable...
Supposons que SL9 se trouvait avant l'intervention sur une orbite
passant à quelque 500 000 km du centre de la planète, ce
qui l'amenait à pouvoir approcher trois des quatre gros
satellites. Il s'agissait donc d'abaisser cette distance du
périastre de 500 000 km à 96 000 km.
Cela nécessite de donner une impulsion d'environ 100 m/s
à l'apoastre... Il reste à savoir si c'est réalisable.
En reprenant notre hypothèse d'une déviation obtenue par
une éjection de matière de l'astéroïde
à 1000 m/s, cela suppose la vaporisation d'un dixième de sa masse, soit 1013 kg, et une
énergie de 5.1018 joules. Si l'on voulait diminuer
l'énergie, on devrait diminuer la vitesse d'éjection, et
donc augmenter la proportion de l'astéroïde
vaporisée, ce qui ne faciliterait pas forcément la tâche.
C'est beaucoup, mais pas totalement impossible. Bien sûr, si
comme le pense Petit les Américains fabriquent depuis longtemps
de l'antimatière en quantité, il n'y a plus de
problème, 25 kg
d'antimatière suffisent. Mais je suis assez sceptique là-dessus.
Notons que pour créer un faux impact dégageant autant
d'énergie qu'une comète de 1014 kg plongeant sur Jupiter
à la vitesse de 60 km/s, comme le suggère le texte sur SL9, il faudrait mille tonnes
d'antimatière ! Ça donne d'ailleurs une idée de la
capacité d'amplification de puissance de « l'arme
astéroïdale ».
Il est aussi possible que les caractéristiques du satellite
aient été par chance un peu plus favorables que je ne
l'ai considéré, réduisant d'autant la
« pichenette » nécessaire. On peut aussi la
réduire en intervenant plus tôt, plusieurs orbites
à l'avance, mais la durée de l'orbite étant de
deux ans cela nécessitait d'avancer la mission de plusieurs années.
Conservons donc cette estimation, en la prenant simplement comme
un ordre de grandeur. 5.1018 joules, cela représente une
gigatonne de TNT. On est bien loin des « mini-nukes » dont
nous avons envisagé l'usage pour dévier des
astéroïdes de quelques dizaines de mètres de
diamètre ! En gros, cela représente le
cinquième de ce que les États-Unis ont produit en armes
nucléaires. Ça paraît beaucoup, mais il faut savoir
que ces armes doivent être régulièrement
renouvelées, ce qui signifie qu'elles sont perdues si on ne les fait pas exploser quelque part. Ça
n'est donc pas une quantité invraisemblable en terme de
puissance, mais voyons ce que cela peut représenter
comme charge utile.
Les têtes thermonucléaires dont disposent les
États-Unis en quantités ont une puissance comprise entre
1 et 9 mégatonnes. La masse est de l'ordre de 250 kg par
mégatonne (c'est très loin du minimum théorique,
puisque l'énergie d'une mégatonne est produite par la
fusion de seulement quinze kilogrammes de deutérium+tritium).
Les mille mégatonnes nécessaires représentent
donc, à moins qu'il existe des bombes plus performantes que
celles que l'on connaît, 250 tonnes de têtes
thermonucléaires à envoyer au voisinage de Jupiter...
C'est déjà plus économique que 1000 tonnes
d'antimatière !
Il fallait encore que l'explosion d'une telle puissance
nucléaire passe inaperçue. L'apoastre ayant
précédé la fragmentation de la
comète s'est produit au mois de juin 1991, alors que Jupiter
était peu observable (la conjonction avec le Soleil
aurait lieu le 17 août). Que des explosions n'aient pas
été remarquées ne serait pas surprenant,
même si la vaporisation d'une partie du satellite revient
à le transformer en comète (c'est
précisément ce qui s'est produit lors de la
fragmentation). Il y avait sûrement un risque qu'il ne soit
découvert peu après, fin 1991 ou début 1992, mais
de toute façon à ce moment-là rien n'aurait paru
suspect.
Il fallait aussi éviter que le satellite se fragmente, ce qu'une
bombe unique aurait certainement provoqué. Mais si on remplace
une explosion unique par une succession d'une centaine d'explosions plus réduites
provoquant chacune un ralentissement inférieur à la vitesse de
libération du satellite (de l'ordre de 3 m/s), il ne peut pas y
avoir de fragmentation. De même si on utilise des méthodes
d'accélération progressives plutôt que des
explosions, mais compte tenu de la puissance impliquée ça
ne paraît pas sérieusement envisageable. Dans tous les
cas, la durée de l'orbite du satellite étant très
longue, supérieure à deux ans, la
décélération pouvait être répartie
sur plusieurs semaines.
Que les militaires aient pu faire cela en 1991 ne serait pas totalement
impossible... Bien sûr, il fallait d'abord faire le voyage vers
Jupiter, ce qui demande encore du temps. Les sondes spatiales ayant
atteint Jupiter ont mis entre un an et demi et cinq ans
pour faire le voyage. La durée normale pour minimiser
l'énergie (en suivant une demi-orbite elliptique joignant
l'orbite de la Terre et celle de Jupiter) est de l'ordre de 2,6 ans.
Toutefois, nous avons vu
par ailleurs qu'il était hautement probable que les militaires
américains aient développé depuis longtemps, sans
doute dès le milieu des années 80, la
propulsion nucléaire dans l'espace. Cela réduirait
sûrement la durée
du voyage à moins d'un an sans nécessiter une grande
quantité de carburant en
plus de la charge utile.
Il est par contre peu vraisemblable qu'ils aient disposé de
lanceurs spatiaux furtifs avant les années 90, et de plus ces
lanceurs utilisant un avion hypersonique en lieu et place du premier
étage doivent avoir une capacité limitée, ne
dépassant sans doute pas 500 kg de charge utile.
Mais ces lancements auraient pu se faire à la faveur de missions
militaires de la Navette : les lancements auraient été
parfaitement connus, mais leurs buts réels auraient
été tenus secrets... C'est d'ailleurs ce qu'imagine
l'auteur de la lettre relative à SL9 dans sa théorie
délirante de modules porteurs
d'antimatière. Et il donne bien des détails, qui
semblent cohérents. Voyons s'ils restent compatibles avec notre
hypothèse.
Selon lui, la « mission SL9 » a nécessité
six lancements de navette, ayant eu lieu respectivement le 8 août
1989, 22 novembre 1989, 28 février 1990, 15 novembre 1990, 28
avril 1991 et 24 novembre 1991. Les charges emportées pour cette
mission auraient été comprises entre 15 et 30
tonnes, ce qui devrait porter le total à environ
150 tonnes... Voilà qui nous rapproche beaucoup des
250 tonnes de têtes
nucléaires de notre estimation, que l'on ne doit
considérer que comme un ordre de grandeur.
Pour ce qui est du calendrier, c'est beaucoup plus problématique
puisque dans l'hypothèse développée par l'auteur
du texte il s'agissait de placer les « fausses
comètes » juste avant leur détection en mars 1993,
alors que dans la nôtre il fallait que les bombes soient
utilisées pour détourner le satellite en juin 1991.
Ça peut rester défendable pour les quatre premiers
lancements allégués, avec une durée de voyage
allant de 0,6 à 1,9 ans, mais ça devient invraisemblable
pour le cinquième, et impossible pour le sixième. On peut
toutefois admettre que les dernières explosions aient
été plus tardives que les autres, pour effectuer de
simples corrections finales. Ça reste tout de même un peu
limite, et si je devais défendre l'hypothèse de la
déviation artificielle de SL9 je considérerais
plutôt que les lancements auraient eu lieu en 1988, suivant
les orbites les plus économiques pour minimiser la masse de
carburant à emporter. Notons que le texte sur SL9 mentionne
d'autres lancements de la Navette et également des lancements de
fusée Titan qui auraient été utilisés bien plus tôt pour
des missions similaires, mais dirigées vers le Soleil et non vers
Jupiter.
Tout cela nécessiterait tout de même des dépenses
colossales, difficiles à justifier pour seulement attirer l'attention sur les
chocs avec des astéroïdes... Mais les Américains
prévoient peut-être de
révéler un jour prochain au monde leur maîtrise de
la déviation d'astéroïdes, auquel cas ce
détournement d'une comète d'une dizaine de
kilomètres de diamètre servirait de démonstration
de force. C'est un impact de puissance comparable qui a causé la
disparition des dinosaures et de plus de la moitié des formes de vie il y a
65 millions d'années.
Cette hypothèse aurait le mérite d'expliquer
l'irruption de cet impact à un moment stratégique sans
nécessiter un scénario aussi
échevelé que celui imaginé par l'auteur du texte
sur SL9, mais je préfère tout de même croire
à la simple coïncidence.
Mais rappelons que les astéroïdes de 50 m de
diamètre, qui auraient la capacité de détruire une
ville, ont une masse un million de fois inférieure à
celle de la comète SL9, et sont donc un million de fois plus
faciles à dévier ! Que les Américains aient
précipité SL9 sur Jupiter il y a plus de dix ans
paraît très douteux, mais qu'ils soient prêts
à précipiter des objets bien plus modestes sur notre
planète, et procédé à des tests, l'est
beaucoup moins.
À quand la guerre astéroïdale ?
Que le projet soit ou non en cours de réalisation, je suis
à peu près convaincu que Teller et ses émules ont
toujours eu derrière la tête l'idée d'utiliser les
astéroïdes comme armes.
Mais contre quel ennemi éprouveraient-ils le besoin de se
protéger ? Ça ne pouvait pas être l'URSS, laquelle
s'effondrait justement quand les militaires américains
commençaient à manifester ouvertement leur
intérêt pour les astéroïdes.
Alors, les terroristes, qui sont devenus la préoccupation majeure des
États-Unis ? A priori, une telle arme n'aurait guère d'utilité avec eux... À la réflexion, toutefois, faire
tomber un astéroïde par surprise, et sans le revendiquer,
sur un camp d'entraînement terroriste pourrait avoir une certaine
efficacité... Mais je ne suis pas sûr que tout le monde
y verrait une punition divine !
Et pourquoi pas les extraterrestres ? On sait que les présidents Reagan
et
Gorbatchev ont déclaré à plusieurs reprises que la
menace venant d'un autre monde pourrait les amener à unir leurs
forces... Mais des
extraterrestres qui nous rendraient visite auraient sûrement plus
de facilités que nous pour détourner des
astéroïdes ! En fait, on pourrait plutôt imaginer que
les militaires se seraient rendu compte avec effroi que les
astéroïdes seraient une arme idéale pour des
extraterrestres désireux de débarrasser la Terre de ses
parasites, et chercheraient vainement à écarter cette
menace... Au fond, SL9, c'était peut-être les
extraterrestres ! Ça me paraît tellement vraisemblable que
je développerai ça dans un prochain article, mais pour
l'instant écartons cette idée.
Bref, il ne semble pas que les Américains aient un adversaire
contre lequel ils pourraient utiliser de telles armes... Mais si les
penseurs militaires ont beaucoup de défauts, ils ont la
qualité incontestable d'envisager un avenir plus lointain que
les politiciens... Et pour l'avenir, rien n'est assuré. Avec la
Chine qui prend la voie de l'ex-URSS, d'autres pays comme la France qui
sont bien décidés à poursuivre la course aux
armements « pour être capables de se défendre en
toute indépendance », le risque de revivre une situation
aussi explosive que la Guerre froide est loin d'être
écarté définitivement.
Pour éviter cela, les États-Unis doivent être
capables d'empêcher tous les autres pays de produire des
« armes de destruction massive », tout en conservant les
leurs... Et il ne leur suffit pas d'en avoir eux-même plus que
les autres, il faut encore qu'ils puissent en faire un usage
« acceptable ».
Imaginons que les États-Unis veuillent, un jour prochain,
obliger la Chine (ou la France) à ne plus fabriquer d'armes
nucléaires... Ils ne peuvent pas se contenter d'une guerre
conventionnelle contre un pays qui dispose d'un arsenal
nucléaire déjà conséquent... Et s'ils
menaçaient d'utiliser eux-mêmes l'arme atomique, le monde entier se
liguerait contre eux... Si par contre ils lançaient un ultimatum
après lequel, faute d'être respecté, les principaux
sites stratégiques chinois seraient détruits, proprement
et sans faire aucune victime, je suis sûr qu'on les laisserait
faire (en protestant, certes, mais on a vu dans l'actualité
récente que les protestations ne les émeuvent pas
beaucoup).
De tels désarmements unilatéraux pourraient d'ailleurs
très bien se négocier en secret afin que l'adversaire ne
perde pas la face... Mieux, le chef d'état s'étant ainsi engagé dans le désarmement restera dans les
mémoires comme un artisan de la paix, et pourra même
recevoir le prix Nobel pour se consoler !
En bref, on a coutume de dire que les États-Unis sont, ou
deviendront, les gendarmes du monde, mais il faudra accepter qu'ils
soient définitivement les seuls !
Et il faudra aussi accepter de les payer pour ça... On sait bien
que l'économie américaine est très fragile, de
plus en plus virtuelle, reposant essentiellement sur le prestige de leur papier vert.
Il est clair aussi que les Américains, à qui il ne faut
surtout pas demander d'installer un peu moins de climatisations pour
préserver la planète, n'accepteront aucune remise en
cause de leur mode de vie... Et pourtant, ils continuent à
dépenser des fortunes en armement, à l'étonnement
général depuis la chute du seul ennemi potentiel qui
aurait pu leur tenir tête sur le plan militaire...
Il va sans dire que dans ces conditions personne n'a
intérêt à ce que les États-Unis sombrent
dans le chaos... On aura même intérêt à
maintenir leur économie florissante, si bien qu'il se pourrait qu'ils
deviennent non pas les gendarmes, mais les racketteurs du
Monde ! Et il est du reste trop tard pour y changer quelque chose.
L'incertitude ne devrait pas durer longtemps... Si ce que je pense est
vrai, les États-Unis devront sans doute bientôt abattre
leurs cartes, et révéler au monde leur armement spatial
(en le présentant comme une nécessité pour la
survie de l'humanité, développé pour
écarter définitivement le danger d'une guerre
nucléaire)... Cela pourrait d'ailleurs expliquer leur manque
d'empressement à développer l'espace civil : ils n'ont
aucun
programme convaincant pour remplacer les navettes spatiales quand elles
seront trop vieilles, les crédits accordés aux
recherches de nouveaux types de lanceurs sont absolument ridicules
(voir le programme
« hyper-X », supposé aboutir à un avion
spatial... dans trente ans si tout va bien !)... Cela suggère
fortement que les technologies existent
déjà, développées dans les programmes
militaires secrets, et qu'elles ne vont pas tarder à être
accessibles aux civils.
Finalement, il se pourrait bien que Jerry Pournelle ait réussi !