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Note du 19 août 2004 : Jean-Pierre Petit a pris connaissance
de
ce texte avec beaucoup de retard, et s'est beaucoup offusqué de
ce qu'il y a découvert... Il trouve que j'y prends le ton
« d'un professeur d'université qui commente les
bévues d'un étudiant », ce qui serait bien sûr
tout à fait déplacé : Jean-Pierre Petit est
très largement plus compétent que moi en matière
de propulsion, que ce soit dans l'espace ou dans l'atmosphère.
Il me rappelle d'ailleurs qu'il est issu de « l'École
nationale supérieure de l'aéronautique et de
l'espace »... Je lui présente donc mes excuses si j'ai paru
émettre des doutes sur ses connaissances en astronautique, et
j'aurais dû écrire un peu plus bas
« il semble que Petit soit plus familier de l'aéronautique
que de l'astronautique », au lieu de « connaisse
mieux »... Parce qu'il n'empêche que ce problème lui
avait échappé à la rédaction de son livre.
Maintenant, Petit pense qu'il y a « plusieurs appareils qui ont
des fonctions différentes et non un engin polyvalent
unique », et que l'engin satellisable serait maintenu dans l'air
plus longtemps pour acquérir des vitesses supérieures,
15 000 à 20 000 km/h. C'est
précisément ce que
j'écrivais, mais il est bien mieux placé que moi pour le
dire et surtout pour le justifier et aller au-delà... S'il
développe cette idée sur des voies qui me sont totalement
inaccessibles, j'en serai ravi. Il a d'autre part des raisons de penser
que l'appareil satellisable, autrement dit l'avion-spatial combinant
propulsion MHD et fusée, existe déjà lui aussi, ce
que je n'avais pas envisagé... et je le regrette ! Les
militaires américains disposeraient dans ce cas d'un lanceur
secret et furtif lourd, ayant sûrement une capacité de
satellisation similaire à celle de la Navette spatiale, tout
autre chose que l'idée que j'ai développée ici...
Ça donne à réfléchir, et c'est tout ce que
je retiendrai de la réaction épidermique de Jean-Pierre
Petit !
Dans son livre Ovnis et armes secrètes américaines dont
on n'a pas fini de parler, Jean-Pierre Petit explique le fonctionnement du
projet d'avion russe « Ajax », et affirme qu'un expert américain surnommé
« Penninger » lui a confié que l'avion-espion Aurora, qui
alimente bien des rumeurs depuis longtemps, fonctionne selon le même
principe.
Et donc, Penninger indique à Petit les caractéristiques de
l'Aurora : premier vol en 1990, vitesse 10 000 km/h, altitude 60 km...
Jusque-là tout se tient...
Mais ça se gâte ensuite, lorsque Petit demande la distance franchissable...
Réponse : infinie, l'avion étant satellisable « au prix
d'une poussée additionnelle délivrée par des fusées »,
lui faisant atteindre 28 000 km/h (c'est la vitesse de satellisation).
Il semble que Petit connaisse bien mieux l'aéronautique que l'astronautique,
sans quoi cette affirmation l'aurait fait bondir.
Il s'agit en effet de deux domaines bien différents :
En aéronautique, on dépense de l'énergie pour lutter
contre la résistance de l'air, et l'essentiel de la recherche vise
à réduire par toutes sortes d'astuces cette résistance
et économiser ainsi le carburant ; on ne peut pas pour autant s'affranchir
de l'atmosphère puisqu'elle fournit le comburant, l'oxygène.
En astronautique, au contraire, il s'agit de quitter l'atmosphère
au plus vite, et l'énergie est dépensée pour acquérir
de la vitesse... Et là, il n'y a pas d'économies possibles,
les lois de la mécanique nous disent quelle quantité minimale
de carburant on doit dépenser pour atteindre une vitesse donnée...
Cela obéit à une relation très simple :
RM=eΔV/VE
RM, le rapport de masse, c'est la masse de la fusée au décollage divisée par sa masse à vide ;
e, c'est la base des logarithmes naturels, égale à 2,718 ;
ΔV, c'est la vitesse à atteindre, ou la somme des variations de vitesse
puisqu'en astronautique il est souvent nécessaire d'accélérer
puis de décélérer ;
VE, enfin, est la vitesse d'éjection du carburant. Cette
vitesse indique l'efficacité d'un carburant (on parle aussi souvent
d'impulsion spécifique, qui est cette vitesse divisée par l'accélération
terrestre — 9,81 m/s2). Avec les carburants chimiques, cette vitesse atteint au mieux 4500 m/s, soit 16 200 km/h.
Reprenons donc notre formule, en remplaçant ΔV par 18 000 km/h
(la vitesse que le moteur-fusée doit fournir à l'avion, volant
déjà à 10 000 km/h, pour le satelliser) et VE
par 16 200 km/h. Cela nous donne un rapport de masse égal
à 3,04...
Ce qui signifie que pour atteindre la vitesse de satellisation, l'avion
avec
ses « fusées annexes » doit être
constitué
à plus des deux tiers de carburant... Ceci, sans compter celui
qui lui a déjà été nécessaire pour
atteindre
10 000 km/h, flanqué d'un moteur-fusée et d'un
monstrueux réservoir !
Bref, ça ne tient pas debout : on peut construire un avion-espion
capable de voler à 10 000 km/h, ou un lanceur spatial utilisant
éventuellement un système identique jusqu'à une certaine
vitesse (sûrement très supérieure à 10 000 km/h,
voir mon article sur l'avion spatial),
mais passer du premier au second en lui ajoutant un moteur-fusée, ça n'est pas possible !
Petit l'a d'ailleurs compris (je lui ai signalé cette invraisemblance
dès que j'ai lu son livre), et il a depuis changé sa version :
Aurora n'est pas capable d'atteindre la vitesse de satellisation, simplement
il effectue des « ricochets », passant le plus clair de son temps
hors de l'atmosphère, dans laquelle il plonge périodiquement
pour mettre en marche ses moteurs et effectuer un nouveau « saut »...
C'est en effet le système mentionné dans le projet d'avion
« HyperSoar » du Lawrence Livermore National Laboratory, qui lui
a été signalé par un auditeur de la radio « Ici
et Maintenant ». Vous trouverez la description de l'HyperSoar sur le
site de Jean-Pierre Petit,
et en anglais sur le site du LLNL.
Petit nous explique que c'est ce principe de « vol par enchaînement
de ricochets » qu'il a évoqué dans son livre, mais ça
n'est pas vrai, il parlait bien de satellisation... On peut alors se demander
jusqu'à quel point cette erreur remet en question la crédibilité
de son informateur, ou la fiabilité de sa propre transcription. Certains
se jetteront sur l'occasion pour dire qu'il a tout inventé, et c'est
sans doute pour cela qu'il évite d'en parler... Pour ma part, j'ai
vérifié bien des fois la fiabilité des comptes-rendus
de Petit, et je le vois mal risquer de faire du tort à un personnage
assez facilement identifiable pour lui attribuer des propos qui sortiraient
en fait de sa propre imagination, en se prétendant dépité
de ne pas avoir pensé à tout ça lui-même !
Je l'ai vu complètement effondré peu après ce colloque
dans lequel il a appris brutalement que les recherches sur la MHD n'avaient
jamais cessé chez les militaires américains, et avaient abouti...
Alors, si prendre Petit pour un menteur sera pour certains une hypothèse facile,
je ne peux pas m'en contenter.
D'abord, éliminons toute possibilité de malentendu, puisque
c'est au sujet de l'autonomie « infinie » de l'Aurora que cette
vitesse de satellisation est mentionnée. Le système des « ricochets »,
s'il permet d'économiser beaucoup de carburant, ne confère
pas pour autant une distance franchissable illimitée.
L'histoire s'éclaire un peu lorsqu'on sait que « Penninger »
a participé à des études d'avion spatial utilisant la
technique de « pontage MHD » du projet Ajax (ou, donc, Aurora).
D'autre part, on sait que le projet Ajax ne se réfère pas à
un avion en particulier, mais justement à cette technique particulière...
On trouve de nombreux articles parlant du « concept Ajax », de
« technologie Ajax », et l'étude à laquelle a participé
Penninger en 1998 s'intitulait justement « Un Concept avancé
de lanceur à un étage utilisant la technologie Ajax ».
On peut alors tenter une reconstitution de la conversation... Petit demande
à « Penninger » (ou plutôt lui demande de confirmer)
si Aurora est l'équivalent de l'Ajax... Penninger acquiesce, en pensant
à un « concept », et non à un avion. Et ensuite,
il aurait mêlé les caractéristiques d'un avion-espion
qui vole suivant ce concept, et les possibilités d'un avion spatial
qui lui n'est encore qu'un projet auquel il a participé.
On peut d'ailleurs se demander si Penninger a lui-même travaillé
sur le projet Aurora (l'avion-espion)... Petit en est convaincu, mais pour
des raisons douteuses. La principale est que sa carte de visite montrait
un avion muni d'entrées d'air au-dessus, ce qui est d'après
Petit une nécessité... Mais outre le fait que ça ne
me semble pas évident (pour désactiver le système
MHD, ne suffit-il pas de couper le courant servant à générer
le champ magnétique ?), on sait que Penninger connaissait le
principe d'Ajax des années avant Petit... Il ne me semble donc pas
invraisemblable d'imaginer qu'il aurait trouvé tout seul cette astuce
en étudiant ce concept pendant plusieurs années, alors que
Petit l'a comprise pendant la durée du colloque ! Une autre singularité
de Penninger, qui me semble difficilement conciliable avec un travail sur
des programmes ultra-secrets, est qu'il a toujours aimé participer
à quantité de colloques aux quatre coins de la planète !
Mais au fond, cela n'a pas beaucoup d'importance... Ayant travaillé
longtemps pour la firme Mac Donnell Douglas, Penninger était bien
placé pour entendre parler d'avions secrets, et les précisions
qu'il donne semblent révéler plus que de simples rumeurs.
Et puis, Petit a ramené de ce colloque de Brighton une autre information :
l'existence depuis 1980 de torpilles mues par un système de « pontage
MHD » similaire... Et cela, il le tient d'un autre informateur qui affirme
pour sa part avoir conçu ces torpilles, ce dont on n'a aucune raison
de douter. L'existence de ces torpilles « hypervéloces »,
se déplaçant dans l'eau à plus de 3000 km/h, est maintenant
bien admise, et on ne voit pas comment elles pourraient fonctionner autrement
que par le système décrit par Petit et qu'il regrette de ne
pas avoir imaginé lui-même... Mais il est vrai que j'ai rencontré
à Cavaillon un journaliste de Science & Avenir, auteur
justement d'un article sur les torpilles hypervéloces, qui ne voulait
absolument pas croire qu'elles utilisaient la MHD... Petit avait beau lui
expliquer avec moult dessins et images que la « supercavitation »
(création d'une couche de gaz), utilisée pour des torpilles
beaucoup moins rapides (500 km/h), ne permettait pas de repousser l'eau à de
telles vitesses, il ne voulait pas entendre parler de MHD... Il faut croire
que le sujet est vraiment tabou !
Bref, si l'on s'en tient aux certitudes dont seuls les ânes peuvent douter, les Américains disposent
de torpilles utilisant un « pontage MHD » depuis 1980, et les Russes
avaient en 1993 un projet bien avancé d'avion-espion utilisant un
pontage similaire en milieu aérien... L'existence de l'Aurora tel
que le décrit Petit s'inscrit donc dans une logique, et fait partie
des révélations de son livre que l'on peut considérer
comme très crédibles (d'autres le sont beaucoup moins).
Notons tout de même que Petit a un peu tendance à voir
partout des confirmations de son hypothèse sur l'avion Aurora, notamment
au sujet de l'HyperSoar déjà mentionné. Il s'étonne
ainsi que d'après l'article qu'il a traduit sur son site, les entrées
d'air des réacteurs soient occultées lorsqu'il quitte l'atmosphère...
Mais j'ai bien relu la version originale de cet article, et je n'y ai rien
trouvé de tel ! Il est juste dit que ses moteurs sont coupés
(it turn off its engines) durant chaque « saut » dans l'espace,
comme l'implique ce principe de déplacement par « ricochets ».
Il n'y a aucune raison de douter que l'HyperSoar fasse partie des nombreux
projets reposant sur la mise au point des superstatoréacteurs, qui
sont en théorie capables d'atteindre une vitesse nettement supérieure
à 10 000 km/h même si la mise au point s'avère difficile
(et Petit ne cache pas que la mise en oeuvre du concept Ajax doit également
receler d'immenses difficultés)... D'ailleurs, le concepteur du projet
HyperSoar n'est autre que celui qui a mené à bien les premiers
essais en soufflerie d'un superstatoréacteur à Mach 7,
Preston Carter !
Ceci dit, même si l'Aurora n'est pas satellisable, il pourrait tout
de même être utile à l'envoi de petits satellites en toute
discrétion, en servant de premier étage à un petit lanceur
conventionnel (j'ai aussi mentionné cette idée à Petit).
On peut évoquer en particulier le petit lanceur à trois étages
Pégase, qui est normalement lancé depuis un avion gros-porteur.
Son premier étage a une masse de 18 tonnes, et il se sépare
du deuxième étage typiquement à 8800 km/h et 88 km d'altitude
(ces informations sont disponibles sur le site du constructeur,
Orbital Sciences Corporation)...
Ça n'est pas loin des caractéristiques alléguées
de l'Aurora. Le reste du lanceur ne pèse que 5,5 tonnes, et la charge
placée en orbite atteint 190 kg. Curieusement, le premier vol de Pégase
a eu lieu en 1990... Comme celui de l'Aurora !
Il est vrai qu'Orbital Sciences est une entreprise publique... Ce qui
ne l'empêche pas de répondre souvent à des demandes militaires,
et d'être en contrat avec l'U.S. Air Force pour fournir des
lanceurs Pégase démunis de leur premier étage, destinés
à utiliser des missiles comme premier étage... Il ne serait
du reste pas difficile à une entreprise beaucoup plus occulte qu'Orbital
Sciences de fabriquer des « clones » de Pégase, dotés
peut-être de certaines caractéristiques additionnelles (furtivité radar par exemple).
En relisant la documentation en anglais sur l'HyperSoar, j'ai trouvé
une phrase que Petit a curieusement « oublié » de traduire :
HyperSoar could be employed as the first stage of a two-stage-to-orbit space launch system.
Ça signifie qu'il pourrait être utilisé comme premier
étage d'un système de lancement à deux étages
(Petit, pour ne pas révéler son erreur sur l'Aurora, « traduit »
simplement que l'HyperSoar pourrait « positionner des charges sur orbite »).
C'est précisément ce que j'ai imaginé pour l'Aurora !
Je précise enfin que j'apprécie énormément Jean-Pierre
Petit, aussi bien pour ses capacités scientifiques que pour ses qualités
humaines, et que cet article, après d'autres, montre surtout que son
livre est une immense source d'inspiration ! Ses quelques omissions
ne relèvent sûrement pas de la mauvaise foi, mais indiquent
plutôt sa réticence à se lancer dans de grandes explications,
parce qu'il a des choses plus intéressantes à faire (pour lui...
et pour nous aussi !)
Petit ne fait pas partie de ceux qui attendent qu'une idée soit complètement
aboutie et vérifiée pour la publier, simplement parce qu'il
en a trop en même temps et qu'il n'a pas envie d'en laisser une de
côté ! À nous donc d'essayer de faire le tri, et
avec son dernier livre on a de quoi réfléchir pendant des années...