L'avion Aurora est-il satellisable ?
(10/04/2003)


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Note du 19 août 2004 : Jean-Pierre Petit a pris connaissance de ce texte avec beaucoup de retard, et s'est beaucoup offusqué de ce qu'il y a découvert... Il trouve que j'y prends le ton « d'un professeur d'université qui commente les bévues d'un étudiant », ce qui serait bien sûr tout à fait déplacé : Jean-Pierre Petit est très largement plus compétent que moi en matière de propulsion, que ce soit dans l'espace ou dans l'atmosphère. Il me rappelle d'ailleurs qu'il est issu de « l'École nationale supérieure de l'aéronautique et de l'espace »... Je lui présente donc mes excuses si j'ai paru émettre des doutes sur ses connaissances en astronautique, et j'aurais dû écrire un peu plus bas « il semble que Petit soit plus familier de l'aéronautique que de l'astronautique », au lieu de « connaisse mieux »... Parce qu'il n'empêche que ce problème lui avait échappé à la rédaction de son livre. Maintenant, Petit pense qu'il y a « plusieurs appareils qui ont des fonctions différentes et non un engin polyvalent unique », et que l'engin satellisable serait maintenu dans l'air plus longtemps pour acquérir des vitesses supérieures, 15 000 à 20 000 km/h. C'est précisément ce que j'écrivais, mais il est bien mieux placé que moi pour le dire et surtout pour le justifier et aller au-delà... S'il développe cette idée sur des voies qui me sont totalement inaccessibles, j'en serai ravi. Il a d'autre part des raisons de penser que l'appareil satellisable, autrement dit l'avion-spatial combinant propulsion MHD et fusée, existe déjà lui aussi, ce que je n'avais pas envisagé... et je le regrette ! Les militaires américains disposeraient dans ce cas d'un lanceur secret et furtif lourd, ayant sûrement une capacité de satellisation similaire à celle de la Navette spatiale, tout autre chose que l'idée que j'ai développée ici... Ça donne à réfléchir, et c'est tout ce que je retiendrai de la réaction épidermique de Jean-Pierre Petit !

Dans son livre Ovnis et armes secrètes américaines dont on n'a pas fini de parler, Jean-Pierre Petit explique le fonctionnement du projet d'avion russe « Ajax », et affirme qu'un expert américain surnommé « Penninger » lui a confié que l'avion-espion Aurora, qui alimente bien des rumeurs depuis longtemps, fonctionne selon le même principe.

Et donc, Penninger indique à Petit les caractéristiques de l'Aurora : premier vol en 1990, vitesse 10 000 km/h, altitude 60 km... Jusque-là tout se tient...

Mais ça se gâte ensuite, lorsque Petit demande la distance franchissable... Réponse : infinie, l'avion étant satellisable « au prix d'une poussée additionnelle délivrée par des fusées », lui faisant atteindre 28 000 km/h (c'est la vitesse de satellisation).

Il semble que Petit connaisse bien mieux l'aéronautique que l'astronautique, sans quoi cette affirmation l'aurait fait bondir.

Il s'agit en effet de deux domaines bien différents :

En aéronautique, on dépense de l'énergie pour lutter contre la résistance de l'air, et l'essentiel de la recherche vise à réduire par toutes sortes d'astuces cette résistance et économiser ainsi le carburant ; on ne peut pas pour autant s'affranchir de l'atmosphère puisqu'elle fournit le comburant, l'oxygène.

En astronautique, au contraire, il s'agit de quitter l'atmosphère au plus vite, et l'énergie est dépensée pour acquérir de la vitesse... Et là, il n'y a pas d'économies possibles, les lois de la mécanique nous disent quelle quantité minimale de carburant on doit dépenser pour atteindre une vitesse donnée... Cela obéit à une relation très simple :

RM=eΔV/VE

RM, le rapport de masse, c'est la masse de la fusée au décollage divisée par sa masse à vide ;

e, c'est la base des logarithmes naturels, égale à 2,718 ;

ΔV, c'est la vitesse à atteindre, ou la somme des variations de vitesse puisqu'en astronautique il est souvent nécessaire d'accélérer puis de décélérer ;

VE, enfin, est la vitesse d'éjection du carburant. Cette vitesse indique l'efficacité d'un carburant (on parle aussi souvent d'impulsion spécifique, qui est cette vitesse divisée par l'accélération terrestre — 9,81 m/s2). Avec les carburants chimiques, cette vitesse atteint au mieux 4500 m/s, soit 16 200 km/h.

Reprenons donc notre formule, en remplaçant ΔV par 18 000 km/h (la vitesse que le moteur-fusée doit fournir à l'avion, volant déjà à 10 000 km/h, pour le satelliser) et VE par 16 200 km/h. Cela nous donne un rapport de masse égal à 3,04... Ce qui signifie que pour atteindre la vitesse de satellisation, l'avion avec ses « fusées annexes » doit être constitué à plus des deux tiers de carburant... Ceci, sans compter celui qui lui a déjà été nécessaire pour atteindre 10 000 km/h, flanqué d'un moteur-fusée et d'un monstrueux réservoir !

Bref, ça ne tient pas debout : on peut construire un avion-espion capable de voler à 10 000 km/h, ou un lanceur spatial utilisant éventuellement un système identique jusqu'à une certaine vitesse (sûrement très supérieure à 10 000 km/h, voir mon article sur l'avion spatial), mais passer du premier au second en lui ajoutant un moteur-fusée, ça n'est pas possible !

Petit l'a d'ailleurs compris (je lui ai signalé cette invraisemblance dès que j'ai lu son livre), et il a depuis changé sa version : Aurora n'est pas capable d'atteindre la vitesse de satellisation, simplement il effectue des « ricochets », passant le plus clair de son temps hors de l'atmosphère, dans laquelle il plonge périodiquement pour  mettre en marche ses moteurs et effectuer un nouveau « saut »... C'est en effet le système mentionné dans le projet d'avion « HyperSoar » du Lawrence Livermore National Laboratory, qui lui a été signalé par un auditeur de la radio « Ici et Maintenant ». Vous trouverez la description de l'HyperSoar sur le site de Jean-Pierre Petit, et en anglais sur le site du LLNL.

Petit nous explique que c'est ce principe de « vol par enchaînement de ricochets » qu'il a évoqué dans son livre, mais ça n'est pas vrai, il parlait bien de satellisation... On peut alors se demander jusqu'à quel point cette erreur remet en question la crédibilité de son informateur, ou la fiabilité de sa propre transcription. Certains se jetteront sur l'occasion pour dire qu'il a tout inventé, et c'est sans doute pour cela qu'il évite d'en parler... Pour ma part, j'ai vérifié bien des fois la fiabilité des comptes-rendus de Petit, et je le vois mal risquer de faire du tort à un personnage assez facilement identifiable pour lui attribuer des propos qui sortiraient en fait de sa propre imagination, en se prétendant dépité de ne pas avoir pensé à tout ça lui-même ! Je l'ai vu complètement effondré peu après ce colloque dans lequel il a appris brutalement que les recherches sur la MHD n'avaient jamais cessé chez les militaires américains, et avaient abouti... Alors, si prendre Petit pour un menteur sera pour certains une hypothèse facile, je ne peux pas m'en contenter.

D'abord, éliminons toute possibilité de malentendu, puisque c'est au sujet de l'autonomie « infinie » de l'Aurora que cette vitesse de satellisation est mentionnée. Le système des « ricochets », s'il permet d'économiser beaucoup de carburant, ne confère pas pour autant une distance franchissable illimitée.

L'histoire s'éclaire un peu lorsqu'on sait que « Penninger » a participé à des études d'avion spatial utilisant la technique de « pontage MHD » du projet Ajax (ou, donc, Aurora). D'autre part, on sait que le projet Ajax ne se réfère pas à un avion en particulier, mais justement à cette technique particulière... On trouve de nombreux articles parlant du « concept Ajax », de « technologie Ajax », et l'étude à laquelle a participé Penninger en 1998 s'intitulait justement « Un Concept avancé de lanceur à un étage utilisant la technologie Ajax ».

On peut alors tenter une reconstitution de la conversation... Petit demande à « Penninger » (ou plutôt lui demande de confirmer) si Aurora est l'équivalent de l'Ajax... Penninger acquiesce, en pensant à un « concept », et non à un avion. Et ensuite, il aurait mêlé les caractéristiques d'un avion-espion qui vole suivant ce concept, et les possibilités d'un avion spatial qui lui n'est encore qu'un projet auquel il a participé.

On peut d'ailleurs se demander si Penninger a lui-même travaillé sur le projet Aurora (l'avion-espion)... Petit en est convaincu, mais pour des raisons douteuses. La principale est que sa carte de visite montrait un avion muni d'entrées d'air au-dessus, ce qui est d'après Petit une nécessité... Mais outre le fait que ça ne me semble pas évident (pour désactiver le système MHD, ne suffit-il pas de couper le courant servant à générer le champ magnétique ?), on sait que Penninger connaissait le principe d'Ajax des années avant Petit... Il ne me semble donc pas invraisemblable d'imaginer qu'il aurait trouvé tout seul cette astuce en étudiant ce concept pendant plusieurs années, alors que Petit l'a comprise pendant la durée du colloque ! Une autre singularité de Penninger, qui me semble difficilement conciliable avec un travail sur des programmes ultra-secrets, est qu'il a toujours aimé participer à quantité de colloques aux quatre coins de la planète !

Mais au fond, cela n'a pas beaucoup d'importance... Ayant travaillé longtemps pour la firme Mac Donnell Douglas, Penninger était bien placé pour entendre parler d'avions secrets, et les précisions qu'il donne semblent révéler plus que de simples rumeurs.

Et puis, Petit a ramené de ce colloque de Brighton une autre information : l'existence depuis 1980 de torpilles mues par un système de « pontage MHD » similaire... Et cela, il le tient d'un autre informateur qui affirme pour sa part avoir conçu ces torpilles, ce dont on n'a aucune raison de douter. L'existence de ces torpilles « hypervéloces », se déplaçant dans l'eau à plus de 3000 km/h, est maintenant bien admise, et on ne voit pas comment elles pourraient fonctionner autrement que par le système décrit par Petit et qu'il regrette de ne pas avoir imaginé lui-même... Mais il est vrai que j'ai rencontré à Cavaillon un journaliste de Science & Avenir, auteur justement d'un article sur les torpilles hypervéloces, qui ne voulait absolument pas croire qu'elles utilisaient la MHD... Petit avait beau lui expliquer avec moult dessins et images que la « supercavitation » (création d'une couche de gaz), utilisée pour des torpilles beaucoup moins rapides (500 km/h), ne permettait pas de repousser l'eau à de telles vitesses, il ne voulait pas entendre parler de MHD... Il faut croire que le sujet est vraiment tabou !

Bref, si l'on s'en tient aux certitudes dont seuls les ânes peuvent douter, les Américains disposent de torpilles utilisant un « pontage MHD » depuis 1980, et les Russes avaient en 1993 un projet bien avancé d'avion-espion utilisant un pontage similaire en milieu aérien... L'existence de l'Aurora tel que le décrit Petit s'inscrit donc dans une logique, et fait partie des révélations de son livre que l'on peut considérer comme très crédibles (d'autres le sont beaucoup moins).

Notons tout de même que Petit a un peu tendance à voir partout des confirmations de son hypothèse sur l'avion Aurora, notamment au sujet de l'HyperSoar déjà mentionné. Il s'étonne ainsi que d'après l'article qu'il a traduit sur son site, les entrées d'air des réacteurs soient occultées lorsqu'il quitte l'atmosphère... Mais j'ai bien relu la version originale de cet article, et je n'y ai rien trouvé de tel ! Il est juste dit que ses moteurs sont coupés (it turn off its engines) durant chaque « saut » dans l'espace, comme l'implique ce principe de déplacement par « ricochets ». Il n'y a aucune raison de douter que l'HyperSoar fasse partie des nombreux projets reposant sur la mise au point des superstatoréacteurs, qui sont en théorie capables d'atteindre une vitesse nettement supérieure à 10 000 km/h même si la mise au point s'avère difficile (et Petit ne cache pas que la mise en oeuvre du concept Ajax doit également receler d'immenses difficultés)... D'ailleurs, le concepteur du projet HyperSoar n'est autre que celui qui a mené à bien les premiers essais en soufflerie d'un superstatoréacteur à Mach 7, Preston Carter !

Ceci dit, même si l'Aurora n'est pas satellisable, il pourrait tout de même être utile à l'envoi de petits satellites en toute discrétion, en servant de premier étage à un petit lanceur conventionnel (j'ai aussi mentionné cette idée à Petit). On peut évoquer en particulier le petit lanceur à trois étages Pégase, qui est normalement lancé depuis un avion gros-porteur. Son premier étage a une masse de 18 tonnes, et il se sépare du deuxième étage typiquement à 8800 km/h et 88 km d'altitude (ces informations sont disponibles sur le site du constructeur, Orbital Sciences Corporation)... Ça n'est pas loin des caractéristiques alléguées de l'Aurora. Le reste du lanceur ne pèse que 5,5 tonnes, et la charge placée en orbite atteint 190 kg. Curieusement, le premier vol de Pégase a eu lieu en 1990... Comme celui de l'Aurora !

Il est vrai qu'Orbital Sciences est une entreprise publique... Ce qui ne l'empêche pas de répondre souvent à des demandes militaires, et d'être en contrat avec l'U.S. Air Force pour fournir des lanceurs Pégase démunis de leur premier étage, destinés à utiliser des missiles comme premier étage... Il ne serait du reste pas difficile à une entreprise beaucoup plus occulte qu'Orbital Sciences de fabriquer des « clones » de Pégase, dotés peut-être de certaines caractéristiques additionnelles (furtivité radar par exemple).

En relisant la documentation en anglais sur l'HyperSoar, j'ai trouvé une phrase que Petit a curieusement « oublié » de traduire : HyperSoar could be employed as the first stage of a two-stage-to-orbit space launch system. Ça signifie qu'il pourrait être utilisé comme premier étage d'un système de lancement à deux étages (Petit, pour ne pas révéler son erreur sur l'Aurora, « traduit » simplement que l'HyperSoar pourrait « positionner des charges sur orbite »). C'est précisément ce que j'ai imaginé pour l'Aurora !

Je précise enfin que j'apprécie énormément Jean-Pierre Petit, aussi bien pour ses capacités scientifiques que pour ses qualités humaines, et que cet article, après d'autres, montre surtout que son livre est une immense source d'inspiration ! Ses quelques omissions ne relèvent sûrement pas de la mauvaise foi, mais indiquent plutôt sa réticence à se lancer dans de grandes explications, parce qu'il a des choses plus intéressantes à faire (pour lui... et pour nous aussi !)

Petit ne fait pas partie de ceux qui attendent qu'une idée soit complètement aboutie et vérifiée pour la publier, simplement parce qu'il en a trop en même temps et qu'il n'a pas envie d'en laisser une de côté ! À nous donc d'essayer de faire le tri, et avec son dernier livre on a de quoi réfléchir pendant des années...

Robert Alessandri



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