S'il est une chose que le directeur du SEPRA sait faire de manière
remarquable, c'est bien exploiter ses pires fiascos pour assurer sa promotion.
C'est ainsi qu'il a su se faire reconnaître comme un expert en rentrées
atmosphériques, et accessoirement en ovnis, à la suite de sa
prétendue « expertise » truffée d'erreurs grossières
qu'il a menée sur le phénomène du 5 novembre 1990...
Et c'est allé au point que ce « travail » dans lequel il
a démontré, pour un oeil averti, sa totale ignorance du domaine
qu'il était censé expertiser, a bien failli élargir
son service à une dimension européenne ! Il semble qu'au
SEPRA, plus on est nul dans un domaine dont on se déclare spécialiste,
et plus on est reconnu !
Pour ceux qui douteraient du lien entre les deux événements,
précisons que c'est le 7 novembre 1990, deux jours après
cette rentrée atmosphérique qui allait faire la réputation
du SEPRA, que le député belge Elio Di Rupo déposait
au Parlement européen une proposition de résolution portant
sur la création d'un Centre européen d'observation des ovnis
(B3-1990/90), ainsi rédigée :
A. considérant que, depuis de nombreuses années, des citoyens
affirment avoir observé des phénomènes inexpliqués
dans le ciel de plusieurs pays européens,
B. considérant que, ces derniers mois, des personnes dignes de foi,
des scientifiques et des militaires ont également été
témoins de manifestations non expliquées assimilées
aux « OVNI » (objets volants non identifiés),
C. considérant le grand nombre de témoignages émanant
de plusieurs pays de la Communauté européenne durant la nuit
du 5 au 6 novembre 1990,
D. considérant qu'une partie de la population s'inquiète de la fréquence de ces phénomènes,
1. demande à la Commission la création d'un « Centre européen
d'observation des OVNI » à bref délai;
2. propose que ce Centre européen d'observation des « OVNI »
recueille toutes les observations éparses signalées par les
citoyens européens et par les institutions (militaires et scientifiques)
et qu'il organise des campagnes scientifiques d'observation;
3. suggère que ce Centre soit géré par la Commission
des Communautés européennes et par un comité permanent
réunissant des experts des douze États membres.
C'est donc bien, comme M. Di Rupo ne s'en cache pas, l'événement
du 5 novembre 1990 qui a donné l'impulsion finale à sa
démarche, même s'il était alors déjà fortement
motivé par l'intense « vague d'ovnis » qu'avait connue son
pays, la Belgique, quelques mois plus tôt.
Mais il ne faisait alors aucune mention du SEPRA, qui n'avait pas encore
rendu son « expertise » sur ce phénomène
(
communiqué de presse
du 9 novembre 1990, et
rapport final
le 27 novembre).
Le Parlement européen, à travers sa Commission de l'énergie,
de la recherche et de la technologie, a demandé le 29 janvier 1991
au physicien turinois Tullio Regge d'examiner cette proposition de création
d'un organisme européen d'étude des ovnis, et d'établir
un rapport.
Ledit rapport a été déposé le 2 décembre
1993 (A3-0389/93). Vous pouvez en trouver l'intégralité sur
le
site Ufoto de Jean-Philippe Dain (un
site consacré essentiellement aux photographies d'ovnis, comme son
nom l'indique, mais où l'on trouve aussi bien d'autres informations
intéressantes). Il se trouve dans la rubrique « Articles »,
sous rubrique «
Autres articles
et documents (sans rapport avec la question des photographies) ». Vous
ne pouvez pas le télécharger sans vous être inscrit en
remplissant un formulaire, mais cette inscription étant gratuite et
Jean-Philippe digne de confiance n'hésitez pas !
Entre-temps, le SEPRA s'était rendu célèbre par son
« expertise » de la rentrée atmosphérique, et il
est tout à fait clair que ce rapport reflète essentiellement
son opinion. Le seul autre organisme mentionné est la Sobeps,
l'association ayant étudié la vague d'ovnis en Belgique, mais
les conclusions au sujet de cette vague sont pour l'essentiel celles du directeur
du SEPRA Jean-Jacques Velasco, qui considérait dans son livre (
Ovnis, la science avance,
écrit en «collaboration» avec Jean-Claude Bourret) que
« l'OVNI » belge pouvait être un modèle secret de
dirigeable doté d'un système de contre-mesures radar. Il est
vrai que la Sobeps avait aussi envisagé cette hypothèse, mais
parmi d'autres, et le rapporteur mentionne aussi un cas d'ovni similaire
à ceux qui étaient observés en Belgique mais ayant eu
lieu en France (près de la frontière), dont seul Velasco a
parlé.
On peut noter également dans ce rapport la mention de l'affaire Ummo,
considérée comme « un exemple de la pire espèce
du bêtisier des OVNI, mais dont la persistance et le gaspillage de
moyens utilisés pour la maintenir en vie ne peuvent manquer de susciter
des préoccupations. »
Tullio Regge est aussi très clair sur les inquiétudes que lui
inspirent la multiplication de rapports d'ovnis :
Il n'est pas du devoir du Parlement européen de se prononcer sur
les OVNI. Celui-ci doit, par contre, intervenir au plus tôt pour veiller
à l'exactitude des informations offertes au public. Si des mesures
ne sont pas prises de bonne heure, le siècle prochain pourrait très
bien ne pas être totalement marqué du sceau de la science et
signaler par contre le début d'un nouveau moyen-âge de style
hollywoodien. Le véritable danger n'est pas représenté
par les extra-terrestres, mais bien par les humains mal informés et
trop inventifs, ainsi que par les hommes politiques qui ne se rendent pas
compte des problèmes pouvant découler de la perte de contrôle
d'une opinion publique qui devient la proie d'idéologies mystiques
et parascientifiques. On peut soupçonner à juste titre que
derrière certaines vagues persistantes d'observations, parmi lesquelles
l'affaire Ummo et les événements belges, se cachent des organisations
décidées à manipuler la crédulité des
masses à des fins politiques.
Ici encore, on croirait entendre Velasco (même s'il est moins virulent,
préférant suggérer discrètement ce genre de choses
à ceux qui sont susceptibles de les répéter et de les
appuyer), vitupérant contre les associations ufologiques qui « gênent
le travail des scientifiques du CNES » et suggérant que l'affaire
Ummo serait une manipulation du KGB (une idée invraisemblable qu'il
a d'ailleurs « empruntée » à Renaud Marhic, représentant
d'une de ces associations d'amateurs qu'il ne cesse de discréditer,
lui-même étant tout à fait incapable d'avoir la moindre
idée originale).
Et si vous doutez que l'opinion exprimée par Regge à propos
de la « vague belge » ne soit encore celle de Velasco, voici ce
que ce dernier déclarait dans une interview dans
Ovni-Présence
n°52, décembre 1993, à la question de savoir pourquoi la
« vague du 5 novembre 1990 en France » n'avait pas « pris »
aussi bien que la « vague belge » :
Je suis surpris de la crédulité de certains ufologues. Ce
sont des gens d'une crédulité absolument phénoménale :
ils sont prêts à gober absolument n'importe quoi. On ne vit
pas dans un monde irréel, on vit dans un monde où les rapports
de force entre les États, entre les blocs sont constants et c'est
tellement facile d'utiliser des gens qui sont prêts à véhiculer
des idées. Écoutez, je parle de l'affaire belge. Bon, vous
avez fort bien compris.
Et il écrivait dans son livre déjà cité :
Quelle est la nature exacte du ou des objets qui ont survolé la
Belgique ? Je ne peux pas répondre à cette question, mais
je peux vous dire que, s'il y avait eu un organisme comme le SEPRA, le problème
n'aurait certainement pas pris la même tournure.
Voilà qui explique peut-être que Tullio Regge, dans son rapport,
ait fait si peu de cas des enquêtes de la Sobeps pour ne retenir pratiquement
que les dires du directeur du SEPRA.
D'ailleurs, la suite du texte ne laisse aucun doute sur celui qui l'a inspiré :
Le SEPRA (Service d'expertise des phénomènes de rentrées
atmosphériques) est une section du CNES (Centre national d'études
spatiales), dont le siège est à Toulouse, en France. Il est
financé par l'État français et s'occupe depuis des années
d'observations d'OVNI en effectuant des enquêtes à la demande
de la gendarmerie et d'autres organes publics, selon des procédures
rigoureusement scientifiques.
(Je vous laisse apprécier les derniers mots !)
Les conclusions de ce rapport sont on ne peut plus claires :
En ce qui concerne l'opportunité d'ouvrir un centre d'observation
qui coordonne les observations d'OVNI, il convient de souligner à
nouveau que le SEPRA exerce précisément depuis des années
une activité de ce type. La SOBEPS est une organisation privée
qui bénéficie d'accords particuliers avec la force aérienne
belge.
Il pourrait toutefois s'avérer utile de créer un office central
chargé de recueillir et de coordonner les informations concernant
les OVNI dans l'ensemble de la communauté - Ce centre permettrait,
dans un premier temps, de stopper le flux de rumeurs incontrôlées
qui désorientent l'opinion publique et de devenir un point de référence
dans le cas très fréquent où des observations sont signalées,
comme dans le cas récent de la chute spectaculaire d'une météorite
dans l'Adriatique ou d'un Cosmos russe en France. Le centre pourrait enfin
apporter des contributions importantes sur l'existence et la nature de phénomènes
rares et s'appuyer sur des organisations déjà existantes. Dans
la mesure où le SEPRA a accumulé une expérience considérable
dans ce domaine, une solution logique et peu coûteuse serait d'accorder
à celui-ci une mission et un statut communautaires qui prévoie
la possibilité d'effectuer des enquêtes et de mener des actions
d'information sur tout le territoire de la Communauté européenne.
Notons que le « Cosmos » tombé en France fait certainement
référence encore au phénomène du 5 novembre
1990, qui a bien été suivi d'un « flux de rumeurs incontrôlées
qui désorientent l'opinion publique », mais dont la cause essentielle
résidait justement dans les incohérences et invraisemblances
des explications du SEPRA !
Et voici la proposition de résolution ayant fait suite à ce rapport :
A. considérant que, depuis plus d'un demi-siècle, l'opinion
publique est troublée par le rapport d'observations fréquentes
d'objets volants non identifiés,
B. considérant que la grande majorité de ces observations trouve
une explication rationnelle qui est rarement portée à l'attention
du public et considérant la nécessité de disposer en
la matière d'informations plus dignes de foi et véridiques,
C. considérant la diffusion étendue et croissante dans de larges
couches de l'opinion publique et, en particulier, chez les personnes cultivées,
de théories parascientifiques incontrôlées,
D. considérant l'existence en France depuis un peu plus de dix ans
du SEPRA (Service d'expertise des phénomènes de rentrées
atmosphériques), une section du CNES (Centre national d'études
spatiales de Toulouse) qui poursuit depuis des dizaines d'années de
manière systématique une activité de recherche et de
contrôle sur les observations d'OVNI (objets volants non identifiés)
en collaboration étroite avec la gendarmerie et l'armée de
l'air française,
1. propose que le SEPRA soit considéré comme un interlocuteur
valable en matière d'OVNI dans la communauté européenne,
que lui soit attribué un statut qui lui permette d'effectuer des enquêtes
sur tout le territoire communautaire et que les charges supplémentaires
susceptibles de découler de la mission élargie du SEPRA soient
compensées par le biais d'accords entre le gouvernement français
et les autres États membres de la Communauté européenne
de même que directement entre le SEPRA et d'autres instituts ou organisations
de recherche existant dans la Communauté européenne, là
où la nécessité s'en ferait sentir et avec l'approbation
des gouvernements concernés.
2. charge son Président de transmettre la présente résolution
à la Commission, au Conseil, ainsi qu'à la représentation
de la France auprès des Communautés européennes et au
Centre national d'études spatiales de Toulouse.
Et que pensait donc Velasco de tout cela ? Il était bien entendu
ravi et très enthousiaste, comme on peut en juger à son interview
déjà citée dans
Ovni-Présence de décembre 93, au sujet de ses motivations :
J'aimerais honnêtement, et c'est un peu un appel du pied dans ce bouquin [il
s'agit encore du livre déjà cité qu'il a « co-écrit »
avec Jean-Claude Bourret, et en réalité totalement écrit
comme il l'explique dans la même interview, Bourret n'ayant été
que « le vecteur médiatique pour le bouquin »],
j'aimerais
probablement que le SEPRA devienne européen. Parce que j'estime, à
l'échelle de notre pays, on a mis en place des structures, cela fonctionne,
les informations sont collectées dans de bonnes conditions, on a tout
un réseau de collectes d'informations, ça marche. On est donc
prêt à intervenir sur n'importe quel phénomène
qui peut se produire et susciter une interrogation. Je suis très ouvert
sur les phénomènes, pour l'instant, je ne rentre pas dans les
détails. Donc, si ça se produit à l'échelle de
notre pays, il serait très intéressant de pouvoir faire la
même chose à l'échelon européen. Et j'aimerais
beaucoup transposer ce qui est fait en France à l'échelon européen.
Décidément, on a été bien près de voir
le SEPRA, avec sa « méthodologie scientifique rigoureuse »,
« stopper le flux de rumeurs incontrôlées qui désorientent
l'opinion publique » et « devenir un point de référence
dans le cas très fréquent où des observations sont signalées »
sur tout le territoire de l'Union européenne ! On a été
sauvés, paraît-il, par l'opposition farouche d'un parlementaire
anglais... Pour une fois, on ne regrettera pas que les Anglais, qui ont leur
propre centre d'étude des ovnis au sein de l'Armée, aient fait
échouer par leur individualisme exacerbé un projet communautaire !
Robert Alessandri
Ce texte a été lu
fois depuis le 02/06/2003