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Dans les années 80, on a beaucoup parlé des détecteurs fabriqués
par Alexandre Laugier. On lui a consacré quelques articles de presse,
et son invention a été largement développée dans le livre OVNI,
premier bilan de Philippe Schneyder en 1983, qui a rencontré un certain succès
à l'époque... Depuis, on reparle régulièrement des « détecteurs
Laugier », toujours sans que l'on sache ce qu'ils détectaient.
Alexandre Laugier, bricoleur génial
Alexandre
Laugier est un ingénieur des Arts et Métiers, qui s'est fait
connaître notamment par des appareils de mesure destinés
à l'oenologie... Il s'est intéressé au
phénomène OVNI à la fin des années 70, et
particulièrement à la détection... Après avoir
essayé de détecter toutes sortes de données pouvant être en relation avec les ovnis, il a
dit avoir trouvé un système de détection efficace
d'une portée de 800 ou 900 km.
Cela lui a valu un certain
nombre d'articles de presse, par exemple ici en 1984 dans Nostra (je ne
connais pas le numéro) : <
br>
Le mystérieux « effet alpha »
Malheureusement,
Laugier a toujours gardé le silence sur le phénomène
physique qu'il mesurait, lui donnant le nom « d'effet alpha ». La raison est qu'il
espérait monnayer sa découverte... Il a ainsi
tenté des démarches auprès du GEPAN, de
l'Armée française, puis américaine, mais cela n'a
jamais abouti, sans doute en raison du peu d'éléments
convaincants de son étude.
Et donc, la nature de cet « effet alpha » n'a jamais été révélée...
J'ai rencontré Laugier à l'époque où je
réalisais moi-même divers types de détecteurs au
sein du CEOF (Centre d'études OVNI-France, à Marseille),
avec un ami qui disposait d'un atelier de réparation de
télévisions... Le CEOF dérivait de la Commission
d'études Ouranos dont un des fondateurs était Jimmy
Guieu, que Laugier fréquentait beaucoup, et c'est au cours d'une
conférence de ce dernier qu'il a donné un indice sur la
nature de son « effet alpha » : c'est lié à ce qui se passe quand deux liquides se mélangent. À l'époque, cette phrase sybilline m'avait laissé assez perplexe.
Vladimir Gavreau et les armes à infrasons
J'ai compris de quoi il s'agissait bien plus tard, en lisant Facteur X n°76 (paru en 2000), où il était question des armes à infrasons.
Le pionnier de ces recherches était le Français Vladimir
Gavreau... Un chercheur par ailleurs quelque peu
hérétique, qui a notamment travaillé avec Jacques
Bergier ; ses travaux sur la dangerosité des infrasons ont
été assez contestés, mais étant
donné qu'ils sont vite tombés sous la chape militaire il
est difficile de savoir vraiment ce qu'il en est...
Quoi qu'il en soit, l'article expliquait que Gavreau, non content d'avoir
étudié les effets physiologiques des infrasons, avait
cherché les meilleurs moyens de les détecter :
Après quelques essais infructueux de baromètres, miroirs,
photocellules et autres signaux électriques, il opta pour un
procédé à l'électrolyse : deux solutions
chimiques séparées par une membrane imperméable
étaient forcées de se mélanger sous l'influence de
l'infrason. La seule limite à cet ingénieux
galvanomètre sensible résidait dans la puissance de
l'infrason utilisé qui pouvait faire évaporer la solution
révélatrice.
Ça évoque trop
la confidence de Laugier pour n'être qu'une coïncidence.
Gavreau était dans les années 60 (il est mort en 1967)
directeur du laboratoire d'électroacoustique de Marseille, et
Laugier résidait à Aix-en-Provence... Il ne
serait donc pas surprenant que ces deux chercheurs
hérétiques se soient rencontrés.
Bref, il n'y a guère de doute : Laugier utilisait des détecteurs
à infrasons... Et on comprend mieux le problème qu'il
avait pour monnayer son invention : il n'était pas l'auteur du
principe de détection, il avait simplement pensé à
l'appliquer à la détection des ovnis !
Les sources d'infrasons
Depuis le temps de Gavreau, on a fait des progrès en matière de
détection d'infrasons, et on a construit des réseaux
très performants pour enregistrer ces ondes sonores inaudibles...
Il existe de nombreuses sources d'infrasons : vents, houle, orages,
météores, tremblements de terre, éruptions
volcaniques, aurores polaires, éoliennes, explosions
nucléaires... C'est pour détecter ces dernières
qu'ont été construits les principaux réseaux de
détection.
Et il existe aussi de nombreux types
d'infrasons, puisque ce nom désigne toutes les ondes sonores de
fréquence inférieure à 20 Hz, limite de
l'audition humaine... On pourrait peut-être identifier les
phénomènes que détectait Laugier si l'on
connaissait la plage de fréquence couverte par ses
détecteurs, mais ça ne me paraît pas très
important.
Considérations statistiques
L'important, c'est de savoir si ces infrasons sont réellement corrélés aux observations d'ovnis...
Laugier en était convaincu, après avoir mis en relation les
détections de ses appareils et les manifestations d'ovnis en
France. Il avait exposé tout cela dans plusieurs brochures, avec
des arguments statistiques.
Tout d'abord, il faut
préciser que « l'effet alpha », des infrasons donc, se
manifestait à peu près 20% du temps (sans cycle
évident). Voici un exemple des tableaux de détection présentés par Laugier :
Il ne s'agissait donc nullement d'un détecteur qui permettait de dire
à coup sûr qu'un ovni passait, et encore moins de dire
où il passait : en fait, Laugier ne présentait aucune
relation entre la détection et la distance de l'ovni, et c'est
pour cela qu'il parlait d'une distance limite de 800 ou 900 km :
ça couvrait pratiquement toute la France, et il s'était limité
aux observations d'ovnis dans ce pays ! Il espérait
trouver à la longue des méthodes pour y arriver, mais
rien dans les brochures qu'il diffusait à
l'époque ne donnait la moindre piste sérieuse.
Les statistiques de détection portaient sur quatre périodes,
allant respectivement du 16/12/78 au 24/01/79, du 26/03/79 au 29/05/79,
du 31/05/79 au 18/07/79, et du 8/11/79 au 2/01/80.
Sur ces périodes de surveillance, il y avait un certain nombre d'heures
où ses détecteurs étaient activés... Laugier
comparait ensuite cela aux observations d'ovnis
répertoriées par la revue Lumières dans la nuit
dans la même période, et estimait que l'ovni avait bien
été détecté si l'heure d'observation
s'inscrivait dans une période de détection ou dans une
marge d'une heure avant ou après.
Il obtenait les chiffres suivants :
Durée de surveillance
Durée de détection
Marges ajoutées
Observations
Détectées
Période 1
896 h
193 h
50 h
13
5
Période 2
1504 h
235 h
50 h
12
8
Période 3
1154 h
104 h
30 h
4
1
Période 4
1245 h
442 h
204 h
28
15
Laugier déduisait tout naturellement que le simple hasard aurait
donné le même rapport nombre d'observations/nombre
d'observations corrélées et durée totale de
surveillance/durée de détection de l'effet alpha plus
marges d'une heure.
Il obtenait alors 1,41 fois
trop d'observations détectées pour la première
période, 3,51 pour la seconde, 2,15 pour la troisième et
1,03 pour la quatrième.
Le raisonnement était tout
à fait juste, mais il manquait la probabilité pour
que ces chiffres aient été obtenus par hasard... Laugier
semblait manquer de connaissances en probabilités... Essayons donc de
combler cette lacune, et de voir dans quelle mesure ces
résultats étaient significatifs.
Notons tout d'abord que seule la seconde période a donné un
résultat vraiment anormal, compte tenu du faible nombre
d'observations pour la troisième période et du faible
écart par rapport à ce que donnait le hasard pour les
deux autres. Du reste, en faisant la même étude avec les
cas enregistrés par le GEPAN, plutôt que ceux
relatés dans la presse, l'écart était un peu plus
faible pour la deuxième période, et tout à fait
nul pour les trois autres... Pire, c'était avec les
phénomènes considérés par le GEPAN comme
identifiés que l'écart était maximal !
Nous allons donc retenir cette seconde période, la seule qui ait
donné des résultats intéressants. On pourrait
vérifier que la probabilité était du même
ordre de grandeur en étudiant le résultat global des
quatre périodes.
La probabilité P pour qu'une observation soit
corrélée avec l'effet alpha est égale au temps de
détection (avec la marge d'une heure) divisé par le temps
total de veille. Nous voulons maintenant savoir quelle est la
probabilité A pour que sur un nombre N d'observations, il y en
ait un nombre X qui soit corrélées avec l'effet alpha...
Cette probabilité est donnée par la loi binomiale :
Pour cette seconde période, nous avons donc N = 12, X = 8 et P = 285/1504 = 0,1895.
On obtient alors comme probabilité d'obtenir ce résultat
0,00035, soit une chance sur 2800... Notons qu'il faudrait en fait
estimer la probabilité d'obtenir un nombre d'observations
corrélées égal ou supérieur à 8, ce
qui nous ramène plutôt à une chance sur 2500.
Ça paraît un résultat assez remarquable, même si cela ne se
reproduit pas pour les trois autres périodes. Mais il faut tout
de même tempérer la chose.
D'abord, le choix d'accorder une heure de décalage entre l'observation et la
détection est très arbitraire. On peut toujours
choisir la marge qui convient le mieux pour faire rentrer un maximum
d'observations dans les « périodes de
détection » sans pour autant augmenter beaucoup la
durée totale de détection.
D'autre part, les moments de détection étant assez imprécis et
arrondis à l'heure ou la demi-heure près, on peut se
demander si Laugier considérait que la détection était bonne
s'il y avait juste une heure entre le moment de l'observation et le
début (ou la fin) de la période de détection. La
réponse, c'est que non seulement il l'acceptait, mais il acceptait
même un cas où le décalage était en fait d'une heure
10 (observation du 15/05/79 à 13 h 50, alors que la
détection de l'effet alpha débutait à 15 h) !
Il est très facile de gonfler les statistiques avec de telles
méthodes, dans la mesure où l'estimation du seuil de
détection de l'effet alpha était très subjective,
tout comme le début et la fin de chaque période.
Si l'on supprime donc la marge d'erreur d'une heure, il ne reste plus que
6 observations corrélées sur 12, et la durée de
détection est un peu diminuée, P passant à 0,15165.
La probabilité d'obtenir cela par hasard tombe alors à une
chance sur 150... C'est déjà nettement moins troublant.
Il faut aussi remarquer qu'avant d'adopter « l'effet alpha »,
Laugier avait tenté de mettre en relation les observations d'ovnis
avec d'autres effets physiques... Il n'est donc pas surprenant qu'en
multipliant les effets mesurés, on finisse par en trouver un qui
soit en corrélation avec les observations d'ovnis avec une
chance sur cent pour que cela soit dû au hasard ! Il faudrait que
l'observation soit reproductible pour que l'on puisse en déduire
une véritable corrélation, mais justement nous avons vu
qu'elle ne s'était pas reproduite pour les périodes
suivantes !
Enfin, dans le cas où il y aurait une
corrélation, cela ne prouverait pas un lien de cause à
effet. Il suffirait par exemple que l'effet alpha se manifeste un peu
plus souvent que la moyenne en fin de soirée, alors que les
observations sont les plus faciles, pour expliquer une faible
corrélation.
Il y aurait donc toute une
étude à faire sur d'éventuels cycles de
manifestation des infrasons enregistrés par Laugier... Notons
que ce dernier trouvait que son « effet
alpha » était lié aux
phases de la Lune, mais c'était aussi extgrêmement douteux.
En résumé, dans l'état
où Laugier avait laissé son étude au début
des années 80, il n'y avait aucune évidence que
« l'effet alpha » était lié de
façon
quelconque aux ovnis. Je ne sais pas s'il a proposé de nouveaux
résultats concernant les ovnis... Il a dit aussi avoir mis en
évidence une corrélation entre cet effet et les grandes
pannes d'électricité, mais elle ne paraît pas plus
convaincante que celle concernant les
ovnis... Peut-être y a-t-il quelque chose à tirer
maintenant que l'on sait ce qu'était ce mystérieux
« effet alpha »...