Robert Alessandri
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Concerne : ALESSANDRI C/ VELASCO
Pourvoi n° B 02-16-431

Marseille, le 19 décembre 2003






Madame,


J’ai appris que vous aviez été désignée en qualité de rapporteur dans l'affaire citée en référence, pour laquelle j'ai formé un pourvoi en bénéficiant de l'aide juridictionnelle.

Je vous écris pour vous signaler que Maître Tiffreau, avocat qui m'a été désigné pour me représenter, a occulté malgré mes demandes expresses des faits de droit tout à fait essentiels dans cette affaire, montrant de façon flagrante et incontestable l'irrégularité du jugement attaqué, et a préféré fonder sa demande sur un motif qui me semble indéfendable.

Je sais bien que je n'ai pas voix au chapitre et que ma démarche est très inhabituelle et probablement vaine, mais je ne sais pas quoi faire après avoir alerté en vain le Président de l'Ordre des avocats.

J'avais écrit dans mon premier courrier à Maître Tiffreau que le jugement devait être attaqué sur le fait que j'avais été condamné pour injures alors que j'avais toujours cru, à raison d'ailleurs, être poursuivi pour diffamation. Une telle «requalification» du motif de la poursuite est très clairement interdite par l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 par laquelle j'étais condamné. Cet avis était partagé par mon avocat en Appel, Maître Rancan.

Les faits sont incontestables...

Depuis l'assignation, dans laquelle on me reprochait des «appréciations manifestement diffamatoires et injurieuses» et des «imputations diffamatoires et expressions injurieuses», les termes de diffamation et injure ont constamment été employés sans distinction (ce qui est déjà contraire à la loi, mais je ne voulais pas faire annuler la plainte pour des questions de procédure), et il était tout à fait clair que celui de diffamation primait, concernant des attaques appuyées sur des faits précis et portant uniquement sur les compétences professionnelles de M. Velasco.

Le jugement en première instance me condamnait pour «dépassement outrancier et fautif, au sens de l'article 1382 du Code Civil, des droits d'une critique normale, objective, raisonnable et constructive», ce qui me semble relever de la diffamation et non de l'injure (on trouve dans la jurisprudence que «l'extrême vivacité du ton ou des inexactitudes [il n'y en avait pas dans le cas qui nous occupe] n'empêchent pas l'admission de la bonne foi si l'intérêt social de l'information emporte la conviction du juge»...) Notez qu'on ne m'avait laissé aucune possibilité de me défendre en première instance (on ne m’avait même pas prévenu de l’audience), du fait que j’avais l’obligation d’être représenté par un avocat (le juge, à qui j’avais parlé, m’avait précisé que même si je lui apportais des documents pour ma défense, il n’aurait pas le droit de les lire) et que l’aide juridictionnelle m’avait été refusée sous le prétexte que j’étais attaqué en tant que «directeur de publication et représentant d’une association».

Et cela a continué en Appel, mon adversaire me reprochant dans ses conclusions déposées le 2 août 1999 des «appréciations inadmissibles et fautives» et des «imputations et expressions fautives», d'avoir «injurié et diffamé la personne dénommée», tout en me «déniant la possibilité de contester sa compétence professionnelle», admettant ainsi qu'il s'agissait bien de cela... M. Velasco a déposé toute une série d'autres conclusions par la suite, mais on ne me les a pas communiquées : mon avocat m'a dit qu'elles reprenaient simplement les termes des précédentes en augmentant à chaque fois le dédommagement demandé en vertu de l'article 700; Maître Rancan a d'autre part affirmé lors de l'audience que M. Velasco avait continué jusqu'à la clôture du dossier à mêler indifféremment injure et diffamation.

J'étais donc tout au long de la procédure convaincu d'être poursuivi pour diffamation, le terme d'injures n'ayant été ajouté que pour faire bonne mesure, d'autant que la jurisprudence concernant l'article 53 indique que «lorsqu'une imputation diffamatoire contient une expression injurieuse, l'injure est absorbée, et seule la diffamation est poursuivie».

Et c'est tout naturellement que mon avocat a plaidé l'excuse de bonne foi, concernant la diffamation.

Ça n'est qu'après la clôture du dossier, et à quelques jours de la date de l'audience prévue, que le ministère public a demandé dans ses conclusions que le jugement soit fondé sur la loi du 29 juillet 1881 et non sur l'article 1382 du Code civil, précisant d'autre part que mes écrits devaient être analysés «à tout le moins à une injure publique», sous le prétexte «qu'une critique, fût-elle objective, doit s';exprimer en termes pondérés». Il me semble que la définition même de l'injure exclut qu'elle puisse s'appuyer sur une critique, surtout objective !

Une telle indécision et même ici tromperie sur le motif des poursuites (ça n’est même pas moi qui ai été trompé, mais le juge) est formellement interdite par une jurisprudence constante, comme le remarquait M. Pierre Guerder dans le rapport de la Cour de cassation de 1999 : «La loi prohibe les qualifications alternatives ou cumulatives. La règle a été très souvent rappelée à propos des qualifications de diffamation ou d'injures [...]»

L'irrégularité totale d'une telle «requalification» a été soulevée par Maître Rancan lors de l'audience... Mais le juge n'en a tenu aucun compte, a suivi aveuglément les recommandations du ministère public, et a même affirmé à deux reprises suivre les arguments du premier juge alors que celui-ci n'avait jamais parlé d'injures !

Et voilà qu'en cassation, Maître Tiffreau semble tout faire pour éviter que ce problème soit seulement évoqué, et préfère sans mon consentement, sans en avoir discuté ni avec moi ni avec Maître Rancan, fonder la demande de cassation sur le seul motif que la loi sur la liberté de la presse aurait été substituée «d'office» au Code civil.

Cette affirmation me paraît très contestable puisque, comme le remarque l'avocat de mon adversaire, la substitution suivait les recommandations du ministère public énoncées avant l'audience.

Elle a du reste été discutée durant cette audience, et le seul problème qu'y voyait par maître Rancan était le fait que l'on ne veuille plus parler que d'injures alors que les termes d'injures et de diffamation avaient été mêlés tout au long de l'affaire et qu'il avait toujours été clair que je ne pouvais être poursuivi que pour diffamation.

En outre, même si la loi sur la liberté de la presse n'avait pas été spécifiquement évoquée avant l'intervention du ministère public, il me semble qu'elle était présente en permanence dans l'esprit des deux parties... C'est ainsi que mon avocat a plaidé la «bonne foi», spécifique à cette loi, et que le délai de prescription de trois mois a toujours été rigoureusement respecté, comme le notait d'ailleurs le ministère public.

Et c'est précisément ce délai de prescription, dont le respect rigoureux montre que la loi du 29 juillet 1881 était présente dans l'esprit de tous, que Maître Tiffreau prend en exemple de spécificité de cette loi qui n'aurait pas été discutée !

En outre, non seulement Maître Tiffreau refuse obstinément de faire la moindre allusion au problème de la distinction entre injure et diffamation, mais il semble vouloir couper court à toute possibilité de l'évoquer en indiquant dans les «faits» que j'aurais écrit «un article injurieux et diffamatoire à l'encontre de Monsieur Velasco». Si je reconnaissais comme un fait que mon article était injurieux et diffamatoire, il est clair que discuter de savoir si je devais être jugé pour injure ou pour diffamation n'aurait pas de sens, et que je ne contesterais pas le jugement !

Les FAITS sont que cet article dénonçait la totale incompétence d'un prétendu scientifique dans un domaine bien précis dont il se présentait comme expert et représentant officiel d'un service public, que ces affirmations étaient assorties d'une démonstration rigoureuse appuyée sur des faits précis, que ma critique était reconnue «judicieuse et bien argumentée sur le fond du problème» par un astrophysicien membre de l'Institut... Ça ne pouvait en aucune façon relever de l'injure, et c'est lorsque mon adversaire s'est rendu compte qu'il ne pourrait pas se contenter d'un argument d'autorité pour me faire condamner pour diffamation qu'il a décidé, avec la complicité du ministère public, de faire croire au juge que j'étais poursuivi pour injures !

Enfin, il me semble nécessaire d'évoquer le problème de distinction entre diffamation et injure pour imposer au juge devant lequel l'affaire sera représentée une qualification claire du motif des poursuites. Je crois savoir que la Cour, contrairement aux juges de fond, est en droit de décider de la qualification correcte des faits qui me sont reprochés, et je souhaite que cela soit fait et que l'affaire soit finalement rejugée de façon respectueuse des lois.

Je précise que j'ai déjà alerté le Président de l'Ordre des avocats, Maître Piwnica, sur les problèmes que j'ai rencontrés avec Maître Tiffreau, et il m'a répondu que le mémoire de ce dernier était «en tout points conforme aux usages devant la Cour de cassation» (ce que je ne conteste pas... C'est le moyen invoqué qui est incorrect et totalement opposé à ma demande), et qu'il «serait maladroit de rentrer dans le détail d'une argumentation de fond puisque précisément le pourvoi reproche à la cour d'appel d'avoir relevé un moyen d'office» (je ne vois vraiment pas où j'aurais demandé que la Cour, dont je sais parfaitement que ce n'est pas la fonction, entre dans les détails d'une argumentation de fond : la violation flagrante de l'article 53 de la loi par laquelle j'ai été condamné relève bien d'un problème de droit, non de fond !)


En vous remerciant de l'attention que vous aurez portée à cette lettre, je vous prie d'agréer, Madame, l'expression de mes sentiments respectueux.


Pièces jointes (j'ai marqué en rouge dans la marge les passages importants dans le contexte du présent courrier) :

1 : Premier courrier à Maître Tiffreau (18 juillet 2002), dans lequel j'expliquais que le jugement devait être attaqué pour violation de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881. Je me suis assuré auprès du secrétariat de Maître Tiffreau que ce courrier avait bien été reçu.

2 : Mémoire ampliatif (déposé le 4 décembre, mais qui ne m'a été envoyé qu'en février 2003 après que je l'eus réclamé à deux reprises).

3 : Premier e-mail à Maître Tiffreau (11 mars 2003). Ce mail faisait suite à une conversation téléphonique avec son secrétariat la veille… On m’avait alors assuré que mon adversaire n’avait pas apporté de réponse, alors qu’en fait il avait déposé un mémoire en défense le 28 février.

4 : Le mémoire en défense de mon adversaire, déposé le 28 février et qui ne m'a été envoyé que le 14 avril.

5 : Deuxième e-mail à Maître Tiffreau (15 mai 2003), bien reçu également comme je m'en suis assuré auprès de secrétariat, dans lequel je demandais encore expressément que soit mentionné le problème de la tromperie sur le motif des poursuites. Maître Tiffreau n'a donné aucune suite, n'a pas fourni un nouveau mémoire tenant compte de mes remarques, et n'a jamais contacté mon avocat en Appel alors qu'il s'était engagé à le faire.

6 : Courrier adressé au président de l'Ordre des avocats (24 juillet 2003).

7 : Réponse de M. Piwnica (29 juillet), qui ne semble pas faire la distinction entre un problème de droit et un problème de fond.

8 : Assignation initiale, dans laquelle les termes de diffamation et d'injures étaient déjà confondus.

9 : Jugement en première instance, me condamnant sans que j'aie eu la possibilité de me défendre, non pas pour injures comme allait le prétendre le juge d'Appel ainsi que Maître Tiffreau dans son mémoire ampliatif, mais pour «dépassement du droit de la critique».

10 : Conclusions de mon adversaire en Appel (2 août 1999), continuant à mêler l'accusation d'injures et de diffamation.

11 : Conclusions du ministère public (13 décembre 2000, alors que l'audience devait avoir lieu le 19 décembre), précisant contre toute logique que je devais être condamné pour injures et non pour diffamation.

12 : Jugement attaqué.

13 : L'article intégral qui me vaut toutes ces poursuites, diffusé maintenant sur Internet avec des commentaires (en gras) concernant les  phrases qui m'ont été reprochées. Vous pouvez constater qu'il s'agit bien d'une polémique scientifique solidement argumentée, et que les phrases qui me sont reprochées contestent en des termes vifs mais clairement définis les compétences de M. Velasco dans un domaine bien précis



Robert Alessandri