Vous avez vu à l'épisode précédent comment
j'ai pu être condamné sans qu'on m'ait laissé la moindre
possibilité de m'exprimer, par un juge qui n'avait manifestement pas
lu l'article qui m'était reproché, dans un procès auquel
on n'avait même pas jugé utile de me convier, et ce malgré
toutes les démarches que j'avais effectuées... Cette victoire
facile satisfaisait pleinement M. Velasco, mais les choses n'allaient
pas en rester là.
Bien que le service concerné m'ait affirmé à trois reprises
à Marseille que je n'avais pas droit à l'aide juridictionnelle
du fait que je représentais une association, je me suis rendu au Bureau
d'Aide juridictionnelle d'Aix-en-Provence pour demander cette aide
en appel. Et là, on ne m'a pas dit d'emblée que je n'y avais
pas droit, on m'a simplement donné un dossier à remplir, et
bien entendu cette aide m'a été accordée... J'ignore
si cela signifie que le problème est limité à Marseille,
ou si on veut tout de même laisser une chance aux pauvres bougres à
qui on a menti pour leur interdire de se défendre une première
fois... Dans tous les cas, les choses se passent différemment à
Aix-en-Provence !
On m'a donc désigné un avocat, Maître Rancan, qui
par chance s'était déjà occupé d'affaires
de diffamation, avait fait des études scientifiques (contrairement
à Velasco, il a un authentique diplôme d'ingénieur !),
et que cette affaire intéressait. C'est d'ailleurs lui qui m'a
appris que les associations ont parfaitement droit à l'aide
juridictionnelle, contrairement à ce que l'on affirme au Bureau d'aide
juridictionnelle de Marseille.
Conclusions en guise d'introduction
L'appel a donc été interjeté le 27 janvier 1999, et le 23 avril Maître Rancan présentait
ses conclusions,
dont je résume les points essentiels :
Après un résumé du premier jugement, il est dit que
ma critique « s'articule essentiellement sur des faits précis
relatifs à une importante rentrée atmosphérique observée
en France le 5 novembre 1990 due à la retombée sur terre du
troisième étage d'une fusée soviétique Proton. »
Les explications du SEPRA étaient attendues aussi bien par la communauté
scientifique s'intéressant à ces phénomènes que
par le grand public.
Dans l'article incriminé, j'ai montré que le directeur du SEPRA
avait commis quatre erreurs principales, dénotant chez lui une méconnaissance
profonde des phénomènes de rentrées atmosphériques :
1) Erreur sur la trajectoire : M. Velasco avait reçu le 8 novembre,
de deux sources différentes (la NASA d'une part, et un spécialiste
incontesté des rentrées atmosphériques, Pierre Neirinck,
d'autre part), des données largement suffisantes pour calculer une
trajectoire correcte Royan-Strasbourg; pourtant, il annonçait le 10
novembre une trajectoire complètement fausse Pau-Strasbourg.
2) Erreur sur la durée du phénomène : alors qu'une rentrée
de satellite dure généralement plusieurs minutes, contrairement
aux météores, M. Velasco annonçait le 8 novembre à
la télévision que la rentrée d'un satellite ne dure
que quelques secondes et ne pouvait donc pas expliquer à elle seule
le phénomène observé.
3) Erreur sur l'interprétation de l'aspect du phénomène :
M. Velasco expliquait la multitude de lumières observées
par la présence « d'éléments annexes », explication
totalement absurde, alors que cette multiplicité résulte systématiquement
de la fragmentation au cours de la rentrée d'un élément
unique, amplifiée dans ce cas particulier par l'explosion d'une quantité
résiduelle de propergols ; bien que de nombreux témoins situés
sur le golfe de Gascogne aient parfaitement décrit cette explosion,
M. Velasco n'a jamais compris cette donnée évidente expliquant
l'aspect particulièrement spectaculaire du phénomène.
4) Erreur sur l'interprétation de photographies : des photographies
présentant des alignements réguliers de lumières ponctuelles,
que tout amateur de photographies nocturnes identifiait sans mal comme les
lumières clignotantes d'un avion photographié avec une pause
de quelques secondes, étaient présentées par M. Velasco
comme des photos de la rentrée atmosphérique, avec des commentaires
totalement absurdes.
D'un point de vue purement scientifique, de telles inepties (le terme n'est
pas de moi, mais il convient parfaitement) permettent sans hésitation
possible de conclure à l'incompétence manifeste de leur auteur
dans un domaine où celui-ci est présenté comme l'Expert
national.
Les termes qui me sont reprochés, définis par le lexique pour
désigner une « personne sans compétence, mauvaise dans
un domaine particulier, peu sérieuse », ont été
employés en conclusion d'une démonstration rigoureuse et n'excèdent
pas les limites d'une saine polémique scientifique.
D'autre part, le SEPRA remplissant une mission de prévention des risques
de retombées de débris sur le populations civiles (je n'aurais
personnellement pas usé de cet argument parce qu'il est très
exagéré, mais c'est bien ce qui est écrit dans la plaquette
de présentation du SEPRA ! Pour ma part, je trouve beaucoup plus inquiétante
la grande agitation que les erreurs de l'analyse du SEPRA ont causée
dans les milieux militaires), le droit de critique et d'information du public
est légitime et exclusif de toute intention de nuire, et la virulence
de ma critique se trouve amplement justifiée par l'importance de la
mission de prévention exclusivement confiée à Monsieur
Velasco sur le plan national.
Ces conclusions étaient accompagnées de nombreuses pièces
annexes démontrant le bien-fondé de ces affirmations.
Le 23 juillet 1999, l'avocat M. Velasco a déposé à son tour
ses conclusions,
bâclées et ne reprenant que les termes du jugement de première instance pour demander sa confirmation.
Le 2 août,
de nouvelles conclusions
étaient apportées, plus détaillées :
Tout d'abord, Velasco veut faire croire que c'est « volontairement et
de façon délibérée que j'ai décidé
de ne pas constituer Avocat devant le premier juge », alors qu'il connaît
pertinemment toutes les vaines démarches que j'avais effectuées
pour qu'on m'autorise à me défendre, expliquées en détail
dans un article qu'il a lui-même versé au dossier (voir plus loin) !
Il veut faire croire que je me fiche de la justice alors que j'avais écrit
que je me fichais du jugement précisément parce qu'on ne m'avait pas permis de me défendre !
Et il ajoute que « je ne peux prétendre ne pas avoir eu les moyens
financiers pour se défendre en première instance, alors que
je parais les avoir trouvés en appel », alors qu'il sait bien
que j'ai bénéficié en appel de l'aide juridictionnelle
totale... Tout cela donne un aperçu de la mauvaise foi totale dont
il a fait preuve tout au long de ce procès.
Bien entendu, alors que les attaques de mon article portaient exclusivement
sur ses compétences en matière de rentrées atmosphériques
et les détails de son « expertise », Velasco veut
absolument éviter que le débat porte là-dessus.
Brandissant
la lettre de soutien du CNES
(écrite par son supérieur qui n'a visiblement pas lu mon article
et refuse aussi de répondre à mon argumentation), il
se contente de prétendre que mes arguments sont « sans
fondement et scientifiquement erronées », et me « dénie
la possibilité de contester sa compétence professionnelle
alors qu'il bénéficie de la confiance de son employeur,
le CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES SPATIALES, et de la communauté
des ingénieurs et professionnels avec lesquels il travaille. »
Enfin, il veut trouver une « persistance dans la volonté de nuire »
dans le fait que j'ai continué à le prendre à partie,
m'étonnant que « le CNES ait choisi de défendre son sottisier
ambulant ». Certes, cela peut passer pour un vocabulaire outrancier
(encore que le nombre de sottises contenues dans les déclarations
de Velasco soit considérable !), mais je ne me serais pas permis
un tel dépassement en 1997, alors que je n'avais rien d'autre à
reprocher à Velasco que le fait que son incompétence avait
causé une formidable méprise chez les ufologues, qu'il utilisait
ensuite pour les discréditer ! Les choses étaient différentes
lorsque j'ai écrit l'article joint à
INH Contact n°4
en août 1999 : j'avais alors appris que Velasco me poursuivait
en réclamant 100.000 F pour des propos parfaitement justifiés
parus dans une revue bénévole tirée à 1000 exemplaires,
qu'il m'interdisait en réclamant cette somme disproportionnée
de me défendre par mes propres moyens, alors qu'il connaissait parfaitement
la précarité de ma situation, et de plus je recevais
une lettre d'intimidation du CNES
me menaçant de représailles « en cas de récidive »...
Alors oui, à ce moment-là, je reconnais que j'avais une certaine
rancoeur personnelle contre Monsieur Velasco !
Ces conclusions étaient accompagnées de quelques pièces jointes :
Mon article initial dans
Univers OVNI,
celui du
n°3 d'I.N.H. Contact,
un autre
extrait du n°4,
un autre
qui était joint au même numéro
et qui se trouve depuis longtemps
sur Internet
(merci à Elizabeth Piotelat qui l'a gentiment hébergé
alors que je n'avais pas accès à Internet), et enfin deux articles
de presse sur
une observation dans la région de Grenoble
(et non Grenade !) en septembre
1998.
Ces articles de presse sont relatifs au cas de Voreppe, dont on a beaucoup
parlé, mentionnant l'intervention du SEPRA. Or, ce cas ne concernait
pas du tout les rentrées atmosphériques, puisqu'il s'expliquait
par un gros ballon de baudruche en forme de coccinelle... Et si c'est bien
M. Velasco qui a annoncé cette explication, ça n'est pas à
la suite d'une expertise de la vidéo tournée par les témoins,
mais parce que la famille ayant perdu ce ballon en avait informé
la gendarmerie, après avoir entendu parler de l'affaire par la presse !
Que les choses soient claires : dans l'article incriminé, je n'ai
JAMAIS contesté les compétences de M. Velasco en matière
de baudruches, ni même d'ovnis (il y aurait pourtant beaucoup à
dire, et je l'ai fait par ailleurs). Cet article parlait UNIQUEMENT des
rentrées atmosphériques, et tous les termes qui me sont reprochés
se rapportaient précisément à ce domaine précis
qui occupait d'après ses dires à peu près la moitié
de son activité professionnelle.
Et tout au long du procès, ces deux articles de journaux montrant
qu'il s'était illustré dans une enquête sur un ballon
de baudruche ont été les seules pièces apportées
par Velasco pour justifier sa compétence professionnelle !
Tout le reste relève d'un simple argument d'autorité : je n'aurais
pas le droit de mettre en cause sa compétence, moi simple amateur, alors qu'il bénéficie
de la confiance du CNES !
Y a-t-il un scientifique dans la salle ?
Pour mettre fin à ce comportement, j'ai tenté d'informer des
astronomes de cette affaire, en leur demandant de se prononcer sur
la pertinence de mon argumentation technique. Vous trouverez sur ce
site le texte que j'ai ainsi diffusé sous le titre
« Appel aux
scientifiques n'ayant pas peur de dire ce qu'ils pensent ». Il s'agit
d'un bon résumé des erreurs de Velasco et de leurs conséquences,
et je n'aurais pas grand-chose à y ajouter aujourd'hui.
La réaction générale a été un silence
de plomb (il ne doit pas être facile pour un astronome de dénoncer
les erreurs d'un représentant du CNES !), mais il s'en est tout
de même trouvé un qui ait le courage de témoigner...
Et pas n'importe qui, puisqu'il s'agit de
Jean-Claude Pecker,
astrophysicien réputé et membre de l'Académie des sciences (je le remercie
au passage, ainsi que Jacques Scorneaux et Dominique Caudron qui lui ont
transmis ce dossier).
Jean-Claude Pecker, tout en ménageant le CNES, atteste que mes
critiques lui semblent « judicieuses et bien argumentées
sur le fond du problème », que le SEPRA a été
« léger dans ses conclusions », et que bien qu'il ne se
soit pas penché lui-même sur le détail de l'analyse
tous ceux des spécialistes avec qui il a pu échanger des
impressions sont d'accord.
Avec cela et les critiques de Pierre Neirinck, spécialiste incontesté
des rentrées atmosphériques, M. Velasco aurait beaucoup
de mal à persuader le juge que mes arguments étaient
« infondés et scientifiquement erronés » !
La sommation qui interpelle
Puisque Velasco refusait de discuter l'argumentation technique, mon
avocat a estimé intéressant qu'il fasse l'objet d'une
« sommation interpellative » pour le forcer à apporter des
réponses claires aux principaux détails techniques très
précis que je contestais dans ses différentes déclarations
publiques.
Le texte de cette sommation
a donc été transmis le 18
octobre 2000 à l'huissier toulousain désigné par
l'aide juridictionnelle, avec demande de la délivrer impérativement
avant le 18 novembre, date de clôture du dossier (reportée
ensuite au 15 décembre).
Après avoir éprouvé d'importantes difficulté pour
rencontrer M. Velasco (sans doute pour faire tomber toutes les barrières
de protection que le CNES a érigées autour de lui !),
cet huissier a pu délivrer sa sommation le 15 novembre et obtenir
une réponse de l'intéressé... Mais il a finalement
refusé d'agir dans le cadre de l'aide juridictionnelle, réclamant
le paiement de 816,48 F pour nous faire parvenir cette réponse !
Sur les conseils de Maître Rancan, j'ai soumis l'affaire à
la Chambre des huissiers de Toulouse, à laquelle l'huissier mis en
cause a fourni
des explications
assez contestables. Je vous laisse juge de la valeur de ces arguments, mais il semble donc qu'une
personne démunie, bien que bénéficiant de l'aide
juridictionnelle totale, n'ait pas droit à certains actes de justice
que son avocat estime utiles... C'est sans doute ce qu'on appelle l'égalité
devant la justice. En fait, il me semble plutôt que si aucun tarif
n'est fixé pour ce genre de procédure, c'est parce qu'il peut
varier selon les circonstances, et qu'en l'espèce, on devrait considérer
que le « mandant » est le service d'aide juridictionnelle... Dans
tous les cas, faire usage dans l'urgence d'un « droit de rétention
pour garantir le paiement » était totalement abusif alors que
la validité de la revendication était au moins discutable...
Il est à noter que le Service d'aide juridictionnelle avait désigné
cet huissier uniquement pour procéder à cet acte particulier,
puisqu'on ne lui a rien demandé d'autre !
Il semble en fait au vu de ses courriers que cet huissier ait été
dans un premier temps tout à fait d'accord pour agir dans le cadre
de l'aide juridictionnelle, mais qu'il se soit ravisé en raison des
efforts considérables qu'il a dû déployer pour rencontrer
l'insaisissable chef du SEPRA, que ce soit à son domicile personnel
ou à son bureau du CNES... Et cela, je le comprends un peu !
Quoi qu'il en soit, l'huissier a finalement accepté le 10 janvier
de renvoyer la sommation signée, tout en estimant que sa rémunération
restait due. J'avais convenu de lui verser la somme
en plusieurs mensualités si la Chambre des huissiers confirmait
son argumentation (la Chambre n'a finalement pas porté d'appréciation,
et je n'ai plus eu de nouvelles de cet huissier). Il était de
toute façon trop tard pour verser cette sommation au dossier.
Voici donc la réponse de M. Velasco à cette sommation :
« Je n'entends pas apporter de réponse précise aux
questions posées. Elles ne sont pas liées à l'action
pour injure que j'ai engagée. Je prends acte de celle-ci et la transmets
à mon Avocat ».
Il se défilait encore une fois, alors que mes prétendues
« injures » se bornaient à dénoncer son incompétence
dans le domaine des rentrées atmosphériques, après
avoir expliqué les erreurs grossières et répétées
commises dans son analyse du phénomène de 1990. Il lui
suffirait de montrer qu'il avait contrairement à ce que je prétends
un minimum de compétences dans ce domaine pour que je sois indubitablement
fautif et que je mérite d'être lourdement condamné !
De toute façon, Monsieur Velasco, responsable d'un service d'expertise
public, a un devoir d'information du public dans le domaine desrentrées
atmosphériques, et si des questions justifiées se posent
sur la pertinence de son expertise, il DOIT y répondre, peu importe
que ce soit ou non dans le cadre d'un procès. C'est pourquoi
j'ai répété pour l'essentiel les questions de cette
sommation dans ma
« lettre ouverte »,
à laquelle M. Velasco refuse obstinément de répondre !
L'intervention surprise du Ministère Public
L'impossibilité de verser la sommation interpellative au dossier
aura finalement été profitable, puisque cela allait mettre en
évidence le caractère délictueux d'une
intervention surprise (enfin, pas pour tout le monde !) du Ministère public,
déposée le 13 décembre 2000, à seulement six jours de la date prévue
de l'audience.
A priori, le Ministère public, qui représente l'État,
n'a pas à se mêler d'une affaire de diffamation entre
particuliers dans une procédure civile. Il doit considérer que Monsieur Velasco est un
particulier très particulier, auquel il convenait d'apporter son
soutien.
Le Ministère public « examine » donc les arguments
des deux parties, et élude complètement la discussion
technique. Ainsi, pour le Ministère public non plus, il n'est pas
question de chercher à savoir si Monsieur Velasco a fait preuve
ou non de compétence, et je suis censé me « retrancher
derrière des considérations purement terminologiques en
considérant que les mots "fumiste" et "incompétent" figurent
au dictionnaire » ! Je me fiche que ces mots figurent au
dictionnaire, mais j'ai montré par une argumentation claire et précise,
dont la valeur est attestée par un membre de l'Académie des
sciences, que Monsieur Velasco manquait des connaissances les plus élémentaires
dans un domaine dont il se prétendait expert au plus haut niveau.
Si le Ministère public connaît d'autres termes pour expliquer
cela, je suis tout prêt à les utiliser !
Et pour faire bonne mesure, le Ministère Public voulait que je sois
condamné à 5000 F de plus pour « fol appel »... Je serais donc fou de trouver anormal d'avoir
été jugé sans qu'on m'ait laissé la possibilité
de seulement m'expliquer ! Peut-être que le Ministère
public avait cru aux affirmations mensongères de l'accusation
qui prétend que c'est « volontairement et de façon
délibérée » que je n'ai pas « constitué
avocat », mais il aurait au moins pu étudier correctement le
dossier avant de se mêler d'une affaire qui ne le concernait guère !
Mais c'est à la fin de ses « conclusions » que le
Ministère public nous dévoile bien involontairement les
rapports tout à
fait illégaux qu'il a entretenus avec l'accusation avant
d'intervenir : après avoir tenu une longue discussion sur
les aspects procéduraux
de l'affaire, et recommandé qu'elle soit fondée sur la
loi
du 29 juillet 1881 sur la Liberté de la Presse plutôt que
sur
l'article 1382 du Code Civil portant sur la réparation des
préjudices,
il conclut que je devrais être condamné pour « injure
publique ».
Or, il se trouve que la distinction entre « injure » et « diffamation »
est exposée, puis très largement discutée, précisément
dans l'article 29 de cette loi du 29 juillet 1881 :
Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à
l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps
auquel le fait est imputé est une diffamation...
Toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne
renferme l'imputation d'aucun fait précis est une injure.
Il est tout a fait clair que les accusations d'incompétence dans
un domaine bien particulier que j'ai portées envers Velasco, largement
appuyées sur des faits précis, ne pouvaient en aucun cas être
qualifiées d'injures. Et il était d'ailleurs tout à fait clair pour tout le monde
que j'étais poursuivi, au moins pour l'essentiel, pour diffamation,
même si Velasco avait tout au long de la procédure mélangé
en permanence les deux termes (ce qui, entre parenthèses et comme
nous le verrons, suffit à frapper l'accusation de nullité,
pour peu qu'on se satisfasse de gagner un procès sur des questions
de procédure)...
Mais le problème, c'est que dans la diffamation, le juge devait étudier
les faits sur lesquels je m'appuyais... Ça ne dérangeait pas
Velasco tant qu'il pouvait user d'un argument d'autorité, brandissant
la lettre du CNES l'assurant de sa confiance... Mais les choses ont changé
avec l'attestation de Jean-Claude Pecker ! Il a alors compris que le terrain
de la diffamation devenait pour le moins glissant, et a voulu faire croire
que j'étais poursuivi pour injures ! Et c'est ainsi qu'il a joué
à cache-cache avec l'huissier qui le poursuivait avec sa « sommation
interpellative », pour avoir le temps de décider avec son avocat
d'un moyen de se sortir de ce mauvais pas, trouvé finalement par cette
affirmation mensongère qu'il avait engagé contre moi une « action
pour injures ». Vous pouvez relire
l'assignation, vous constaterez que
j'étais bien poursuivi pour diffamation, le terme d'injures n'ayant
été ajouté que pour faire bonne mesure !
On comprend très bien que Velasco ait voulu éviter un jugement
portant sur la diffamation... Mais pourquoi retrouve-t-on précisément
cette suggestion dans les Conclusions du Ministère public, après
pourtant une longue discussion sur les aspects procéduraux et un « déplacement »
de l'affaire dans le cadre d'une loi interdisant avec force de redéfinir
comme injures ce qui avait toujours été et ne pouvait être
considéré que comme une diffamation (nous y reviendrons) ? D'un point de vue purement
juridique, si mes propos sont jugés excessifs, peu importe que je
sois condamné pour diffamation (comme l'avait d'ailleurs fait le premier
jugement) ou injure !
Cela est d'autant plus surprenant que le Ministère public ne devait
appuyer ses conclusions que sur les pièces versées au dossier,
où la réponse de Velasco à cette sommation ne figurait
pas en raison d'un manque de coopération de l'huissier toulousain...
Et de son côté, Velasco n'était pas censé connaître
les intentions du Ministère public, versées au dossier le 13
décembre, lorsqu'il a répondu à la sommation interpellative
le 15 novembre ! Il y a là la preuve évidente d'une collusion,
bien entendu parfaitement illégale !
L'audience
L'audience d'appel, après avoir été reportée
en raison d'une grève des avocats rémunérés par
l'aide juridictionnelle (grève qui a abouti au doublement de leurs
honoraires, qui étaient ridiculement bas par rapport aux tarifs couramment
pratiqués dans la profession), s'est tenue le 19 février au
Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence. Il y avait le juge, M. Lambray,
le greffier, et les deux avocats : Maître Rancan pour me défendre,
et Maître Barthet représentant l'expert en rentrées atmosphériques
du CNES. J'assistais en simple spectateur, avec quelques curieux et amis
intéressés par l'affaire ou plus généralement
les ovnis (ce qui a permis de terminer la journée par des discussions
animées à la terrasse d'un café).
Je ne donnerai qu'un bref résumé de cette audience de mémoire
(il est de toute façon interdit d'enregistrer), mais je ne pense pas
manquer d'objectivité ni avoir omis quelque chose d'important.
Maître Rancan a plaidé le premier. Après avoir résumé
l'affaire et la procédure suivie, il a repris l'essentiel de l'argumentation
de ses conclusions :
Monsieur Velasco a commis au sujet du phénomène du 5 novembre
1990 des erreurs grossières dénotant une faillite totale de
son service dans sa fonction d'expertise ; ces erreurs sont attestées
par un chercheur ayant fait partie du groupe d'étude des satellites
mis en place par la prestigieuse Royal Society, et par un membre de l'Institut ;
de telles inepties, de la part de celui qui était présenté
comme responsable unique, au niveau national, de l'information et de la prévention
des risques en matière de rentrées atmosphériques, justifiaient
une critique virulente ; cette critique était appuyée sur une
argumentation solide et absente de toute animosité personnelle.
Enfin, Maître Rancan remarquait que l'accusation avait qualifié
sans aucune distinction les termes qui m'étaient reprochés
d'injure et de diffamation, ce qui suffit à invalider la procédure
conformément à la loi sur la liberté de la presse par
laquelle j'étais finalement accusé. Mes critiques, appuyées par
des exemples précis et une analyse pertinente, ne relevaient d'ailleurs
en aucun cas de l'injure.
Le tour de Maître Barthet est venu, avec une succession de contre-vérités
(mais toujours pas la moindre tentative pour justifier les capacités d'expert
de son client en matière de rentrées atmosphériques) :
— je ne me serais volontairement pas défendu en première instance,
ayant déclaré me « ficher de ce que dirait une telle justice »,
et je ne peux pas prétendre n'avoir pas eu les moyens de me défendre
puisque je semble les avoir trouvés en appel ;
— M. Velasco, qui a dirigé le GEPAN depuis 1988 puis le SEPRA, a étudié
plus de 1500 cas de phénomènes aérospatiaux non identifiés,
parmi lesquels celui du 5 novembre 1990 que j'aurais cherché dix ans
après à monter en épingle pour provoquer la disparition
du SEPRA ;
— en matière de rentrées atmosphériques, on dépend entièrement du NORAD américain ;
— concernant la distinction entre injures et diffamation, mon avocat aurait
dû présenter cet argument dans ses conclusions et non à
l'audience ;
— enfin, j'aurais clairement « injurié » M. Velasco en déclarant
qu'il est un « scientifique de dernier sous-sol dont tout le monde sait
qu'il n'a qu'une fonction de relations publiques ».
Et c'était terminé... Le Juge a porté l'affaire en délibéré pour le 20 mars...
Commentaires
Tout cela m'a semblé un peu impersonnel, et manquer de discussion.
Certes, les avocats sont sûrement indispensables pour les questions
juridiques (et maître Rancan a montré qu'il connaissait parfaitement
les textes de loi concernés, mieux sûrement que son adversaire
bien mieux payé !), mais il me semble que ce sont toujours leurs clients
qui connaissent le mieux les détails de l'affaire.
S'il y avait eu un véritable débat contradictoire, il aurait
été facile de montrer que TOUS les arguments de maître
Barthet étaient d'une mauvaise foi absolue :
— Je ne reviendrai pas à mon prétendu refus de me présenter
à la première audience, mensonge d'autant plus éhonté
que toutes mes vaines démarches pour être autorisé à
me défendre étaient détaillées dans les textes
versés au dossier par l'accusation !
— Concernant les « 1500 cas étudiés » par M. Velasco,
on aimerait bien pouvoir consulter ces prétendues « études » !
Il serait plus juste de parler des 1500 témoignages reçus par
l'intermédiaire de la gendarmerie concernant des « ovnis »
en général, et dont la plupart n'ont fait l'objet d'aucune
enquête. Mais il se trouve que j'ai attaqué M. Velasco
uniquement sur ses compétences en matière de rentrées
atmosphériques. C'est bien lui qui n'a cessé de répéter
que son activité professionnelle se partageait à peu près
équitablement entre l'expertise des rentrées atmosphériques
et l'étude des témoignages d'ovnis, et c'est lui qui a suggéré
la transformation de son service de GEPAN en SEPRA... Alors, qu'il arrête
de mélanger ovnis et rentrées atmosphériques ! Le
phénomène du 5 novembre 1990 est LA SEULE rentrée atmosphérique
qu'il ait un tant soit peu « expertisée » (un rapport de
5 pages, alors que les autres n'ont fait l'objet que de communiqués
de presse de quelques lignes, malgré tout systématiquement entachés
d'erreurs grossières), et a suscité à lui seul plus
de 300 témoignages à la gendarmerie (soit tout de même
20% des « 1500 cas étudiés ») ! Et je n'en exagère
nullement l'importance, puisque M. Velasco l'a décrit lui-même
comme « l'affaire la plus troublante à laquelle on n'a jamais
été confrontés », et lui consacrait encore un
long article dans la revue
Inforespace en 1998 (après le mien, donc) !
— La dépendance des pauvres Européens
sous-développés
vis à vis du NORAD ne concerne que les données relatives
aux
satellites, mais justement le NORAD avait fourni au SEPRA des
données
bien suffisantes pour retracer la trajectoire au-dessus de la France.
Si le prétendu expert du CNES n'a pas su exploiter ces
données comme l'aurait fait le moindre amateur de satellites,
ça n'est tout de même pas la faute du NORAD ! Pierre
Neirinck aussi est tributaire des données fournies par les
Américains, mais lui sait les interpréter !
Ça n'est pas non plus la faute du NORAD si M. Velasco
croyait
qu'une rentrée atmosphérique ne pouvait être
observée
que pendant quelques secondes (contre quatre à cinq minutes en
réalité), et ça n'est pas le NORAD qui ne fait pas
la différence entre une rentrée atmosphérique et
les lumières clignotantes d'un avion !
— Au sujet des problèmes de procédure, il est à noter
que c'est le Ministère public qui y a fait allusion le premier (dans
une intervention à laquelle l'accusation n'est sûrement pas
étrangère) dans ses conclusions, lesquelles ont été
présentées juste avant la clôture du dossier... Maître
Rancan aurait donc eu du mal à en discuter dans ses propres conclusions !
— Le terme de « scientifique de dernier sous-sol », seule expression
qui m'est reprochée ne faisant pas clairement référence
aux compétences de M. Velasco dans le domaine très particulier
des rentrées atmosphériques, ne saurait être tenu pour
injurieux que concernant un authentique scientifique... Mais pas pour quelqu'un
qui, comme M. Velasco, se présente comme tel aux médias de
façon totalement usurpée, alors qu'il n'a fait aucune étude
scientifique (il n'a qu'un diplôme de technicien supérieur...
comme moi-même, et je ne me présente pas comme un scientifique),
qu'il n'a pas produit la moindre publication scientifique, et qu'il refuse
obstinément de répondre aux critiques de ses « expertises »
sur le plan technique et scientifique. Je reconnais avoir exagéré
en le décrivant comme un « scientifique de dernier sous-sol »,
il serait plus exact de dire que M. Velasco n'est pas un scientifique du
tout !
— Enfin, Maître Barthet a un certain culot de reprocher à
Maître Rancan d'avoir évoqué dans sa plaidoirie un problème
qui n'avait pas été discuté dans les conclusions, alors
que l'intégralité de ses propres arguments étaient eux
aussi absents de ses conclusions successives (à l'exception de ma
prétendue « abstention volontaire me me présenter en première
instance ») ! Jamais il n'avait cherché à minimiser l'importance
du phénomène du 5 novembre 90 et à le noyer sous 1500
cas que M. Velasco aurait « étudiés », jamais il
n'avait écrit qu'en matière de rentrées atmosphériques
le SEPRA était entièrement dépendant du NORAD, et il
avait toujours soutenu les compétences de M. Velasco en matière
de rentrées atmosphériques.
Tout cela pouvait être trouvé dans les nombreuses pièces
versées au dossier, à condition bien sur que le juge prenne
la peine de les lire. Le ferait-il ? Ça n'a guère d'importance, puisque nous allons voir que son
jugement a été complètement truqué, accumulant
les illégalités et même les mensonges !
Le juge... ment
Vous pouvez lire
l'intégralité du jugement,
mais je vais en commenter l'essentiel.
Notez d'abord que le juge croit que l'article qui m'est reproché
s'intitulait « quand le CNES emploie des fumistes », alors que
c'était le titre d'un court encadré dans un article de 14 pages
intitulé « Le Culte du 5 novembre 1990 », consacré
à établir la vérité sur cette vague d'observations,
et où Velasco et son service d'expertise bidon n'était pris
à partie que parce qu'il avait semé la plus grande confusion
par ses déclarations contradictoires et truffées d'erreurs
et d'invraisemblances... Visiblement, le juge n'a donc pas lu cet article
et s'est contenté des phrases relevées par l'accusation...
C'est dire avec quel sérieux il a examiné cette affaire, et
c'est dire aussi l'étendue de ses préjugés après
que l'avocat de M. Velasco eut prétendu que cet article n'avait
été écrit que pour lui porter préjudice et tenter
de mettre fin à son service (ce qui était accorder beaucoup
d'influence à ma petite revue d'amateur) !
Ensuite, suivant les recommandations du Ministère public, je suis
condamné sur le fondement d'un texte de loi différent de celui
par lequel j'étais attaqué, lequel n'avait jamais été
remis en question tout au long de la procédure... Si ça vous
paraît anormal, rassurez-vous, ça l'est, comme vous pourrez
vous en rendre compte en lisant le troisième épisode de cette
affaire : le pourvoi en Cassation !
Anormal, ça l'est d'autant plus que la loi sur la liberté de
la presse relève d'une procédure pénale, et non civile,
laquelle m'aurait laissé la possibilité de m'exprimer moi-même,
aussi bien en première instance qu'en appel. J'ai d'ailleurs pu le
constater tout récemment en me rendant à l'audience en appel
de Jean-Pierre Petit, lui aussi poursuivi pour diffamation mais depuis le
début sur le fondement de cette loi... Il a eu largement l'occasion
de s'exprimer, et a même eu le dernier mot, ce qui est paraît-il
la règle (dans mon cas, on a vu que c'est l'avocat de l'accusation
qui a eu le privilège de s'exprimer le dernier, et il en a profité
pour transformer sa plaidoirie en une série de mensonges éhontés
et jamais évoqués auparavant).
Revenons maintenant sur la loi du 29 juillet 1881 par laquelle je suis finalement
condamné. Il s'agit de la loi sur la liberté de la presse,
posant notamment les règles du droit de réponse, du droit à
la critique, etc. On la trouve dans le « Dalloz » de la communication,
et il serait bon que les éditeurs de revues en prennent connaissance...
Ce que je n'avais pas fait, mais rétrospectivement je n'ai rien à
retirer à ce que j'ai écrit.
Nous avons déjà évoqué la distinction que
fait cette loi entre la diffamation et l'injure, dans son article 29 :
Tout allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à
l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps
auquel le fait est imputé est une diffamation...
Toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne
renferme l'imputation d'aucun fait précis est une injure.
Étant donné que toutes les citations qui m'étaient reprochées
se référaient à l'incompétence de Jean-Jacques
Velasco précisément en matière de rentrées atmosphériques
et que cette incompétence était démontrée par
des faits précis, elles ne pouvaient en aucun cas être qualifiées
d'injures. Il ne s'agit pas d'une simple nuance de sens, les termes de diffamation
et d'injure étant clairement considérés incompatibles.
Dans le cas d'une injure, il n'y a évidemment pas de discussion possible
sur les arguments, puisque par définition une injure est une invective
non argumentée ! Alors, il était très pratique de prétendre
que j'avais injurié Velasco puisque cela évitait de discuter
de sa compétence !
Dans le cas d'expressions supposées diffamatoires, le premier moyen
de défense est de prouver que tout ce qu'on a dit est réel.
Dans mon cas, montrer que Velasco n'avait réellement AUCUNE connaissance
en matière de rentrées atmosphériques, alors qu'il se
présentait comme expert dans ce domaine, éliminerait tout caractère
diffamatoire à mes écrits. Mais même lorsque des allégations
sont considérées excessives voire fausses, on peut encore bénéficier
de l'excuse absolutoire de la « bonne foi », en montrant que l'on
a fait preuve d'objectivité et de prudence, que l'on n'était
pas animé par l'animosité personnelle (il n'y en avait aucune
au moment où j'écrivais mon article... Depuis, les choses ont
quelque peu changé !) et que l'on poursuivait un but légitime
(lorsqu'un organisme public abuse le public, justement, depuis une dizaine
d'années, la dénonciation de cet état de fait est très
certainement un but légitime !)
En ce qui me concerne, il ne me semblait pas vraiment nécessaire de
plaider la bonne foi, puisque je considère qu'aucun des termes que
j'ai employés n'est réellement excessif, mais il est vrai qu'il
est tout de même difficile de convaincre un juge qu'un organisme aussi
prestigieux que le CNES a présenté pendant douze ans comme
l'expert officiel en matière de rentrées atmosphériques
quelqu'un qui n'aurait réellement pas la moindre connaissance dans
ce domaine !
Mais oublions cela puisque de toute façon la question n'a même
pas été abordée grâce à ce tour de passe-passe
consistant à requalifier la supposée diffamation en prétendue
injure !
Dans leur assignation et les conclusions qui ont suivi, Velasco et son avocat
ont évoqué successivement des « appréciations manifestement
diffamatoires et injurieuses », des « imputations diffamatoires
et des expressions injurieuses », « des termes outrageants et des
expressions diffamatoires », sans jamais préciser ce qui serait
diffamatoire ou injurieux.
Voyons ce que dit la loi de 1881 sur la presse, dans son article 53
(le juge n'est sans doute pas allé aussi loin, ni le Ministère
Public) :
L'objet de la poursuite et les points sur lesquels le prévenu aura
à se défendre sont définitivement fixés par la
citation, et le juge ne peut fonder une condamnation sur des faits autres
que ceux qui sont ainsi précisés.
Dans l'intérêt de la défense, l'objet de la poursuite
et les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre
doivent être définitivement déterminés par la
citation ; le prévenu ne doit avoir aucune incertitude sur les faits
qui servent de base à la poursuite, sur la signification qui leur
a été donnée...
La jurisprudence concernant cet article est très claire :
Une imputation unique ne peut être poursuivie à la fois comme
injure et comme diffamation, et la citation qui retiendrait cumulativement
les deux délits serait nulle par application de l'article 53 de la
loi de 1881.
Et encore :
L'article 53 de la loi de 1881 interdit de retenir un même fait sous
des qualifications distinctes ; doit être annulée la citation
qui vise à deux reprises un fait unique sous la double qualification
d'injure et de diffamation, ce qui n'a pu qu'induire en erreur les prévenus
sur l'objet exact de la prévention et ne les a pas mis en mesure d'assurer
efficacement leur défense.
Maître Rancan m'avait informé que la plainte de Velasco pouvait être
attaquée sur des questions de procédure, mais je tenais à
ce que l'affaire soit jugée sur le fond, comme elle aurait dû
l'être si le juge n'avait pas trouvé le moyen de s'en dispenser
en requalifiant abusivement d'injures ce qui ne pouvait être jugé
que pour diffamation.
Continuons dans la jurisprudence :
Lorsqu'une imputation diffamatoire contient une expression injurieuse, l'injure
est absorbée, et seule la diffamation est poursuivie.
Il était donc clair que je ne pouvais être poursuivi que pour
diffamation, et ma défense avait en conséquence exclusivement
porté sur cela.
D'ailleurs, dans les conclusions présentées par l'accusation,
M. Velasco ne me contestait pas « le droit de critiquer les conclusions
du SEPRA, même si ces critiques sont sans fondement et scientifiquement
erronées, mais à la condition qu'elles s'inscrivent, comme
l'a retenu le jugement dont appel, dans une critique normale, objective,
raisonnable et constructive », et me « déniait la possibilité
de contester sa compétence professionnelle, alors qu'il bénéficie
de la confiance de son employeur, le CNES, et de la communauté des
ingénieurs et professionnels avec lesquels il travaille ». Même
dans l'esprit de Velasco, il s'agissait bien essentiellement d'une plainte
pour diffamation, puisque portant sur une critique scientifique et une mise
en cause de sa compétence professionnelle, et le terme d'injure n'était
ajouté que pour faire bonne mesure.
Ce n'est que lorsque l'attestation de Jean-Claude Pecker et les questions
précises posées dans la sommation interpellative lui ont fait
comprendre qu'il ne pourrait pas gagner sur le terrain de la diffamation
qu'il a décidé de faire croire que j'était poursuivi
pour injures, avec le soutien bienvenu et fortement suspect du Ministère public !
Et le juge a donc suivi aveuglément (ou en toute conscience, allez
savoir) les recommandations illégales et sûrement pas innocentes
du Ministère public, y ajoutant même quelques inventions personnelles.
Il affirme ainsi :
Attendu que les dix phrases citées textuellement
dans l'assignation comportant des termes estimés injurieux, qualifiés
comme tels par le premier juge... Et comme pour mieux s'en convaincre, il
le répète un peu plus loin :
Attendu que le caractère
parfaitement injurieux, non sérieusement contesté par Robert
ALESSANDRI, d'ailleurs, a été admis par le premier juge selon
des motifs pertinents que la Cour adopte expressément...
Quels motifs, alors que le premier jugement ne parle JAMAIS d'injures ? Voici en effet ce que l'on y trouve :
Se plaignant de passages écrits mettant en cause sa compétence
professionnelle et son sérieux, Jean-Jacques Velasco demande, sur
le fondement de l'article 1382 du Code Civil, la réparation du préjudice
qui lui a été ainsi causé alors qu'il est responsable
au CNES du SEPRA mis en cause;
Une « mise en cause de la compétence professionnelle et du sérieux »,
cela concerne indiscutablement une diffamation, et non une injure !
Et dans la condamnation, le juge indiquait :
Attendu que l'ensemble de ces écritures, par lequel Jean-Jacques Velasco,
responsable du Service d'expertises des phénomènes de rentrées
spatiales, dit SEPRA, dépendant du Centre National d'Etudes Spatiales,
dit CNES, y est décrit par Robert ALESSANDRI, à la fois auteur
de l'article et directeur de la publication, sans la moindre précaution
de style, comme un « fumiste », voire « un personnage nuisible »,
« incompétent », « sans la moindre connaissance »,
commettant des « âneries » et d'une « nullité
absolue », constitue à l'évidence un dépassement
outrancier et fautif, au sens de l'article 1382 du Code Civil, des droits
d'une critique normale, objective, raisonnable et constructive ;
Il est vrai que les quelques mots cités pourraient être considérés
comme injurieux lorsqu'ils sont ainsi présentés hors de leur
contexte (j'écrivais en fait « personnage nuisible
à la
réputation du CNES », « incompétent, sans la moindre
connaissance, d'une nullité absolue »
dans le domaine des rentrées
atmosphériques, et ce que je qualifiais « d'âneries »
était clairement précisé et ne pouvait guère
être qualifié autrement), mais le juge de première instance
n'a JAMAIS parlé d'injures,
comme vous pouvez le vérifier ! Il retenait juste un « dépassement
du droit de critique », ce qui relève de la diffamation, non
de l'injure (puisque, par définition, une injure n'est pas soutenue
par une critique) ! Il est vrai que puisqu'on ne m'avait laissé aucune
possibilité de me défendre en première instance, il
n'était alors nullement nécessaire de requalifier la diffamation
en injure !
Donc, le juge Lambray prétend reconduire un jugement qui me condamnait
expressément pour diffamation en affirmant mensongèrement qu'il
me condamnait pour injures, et constate que je n'ai « pas sérieusement
contesté » le caractère injurieux de mes écrits
alors que je n'avais pas la moindre raison de le faire !
Alors, soit le juge n'a pas lu la même condamnation que moi (dans la
quatrième dimension, on ne sait jamais !), soit il a inventé
cette affirmation en pensant que je n'irais pas vérifier ce que disait
le juge de première instance (deux ans avaient passé, j'aurais
pu oublier !), soit il a confondu ce jugement avec la conclusion du Ministère
public en appel, ce qui serait encore révélateur de l'extrême
attention qu'il a accordée à cette affaire !
Continuons la jurisprudence :
L'article 53 de la loi de 1881 interdit au juge de requalifier les faits
qui lui sont soumis, et ce, par exception aux principes posés par
l'article 12 du Nouveau Code de Procédure Civile ; il ne peut notamment
requalifier les infractions dont la définition est incompatible, telles
la diffamation et l'injure.
On se rappellera que c'est précisément ce que le juge se vante
d'avoir fait dans son jugement :
Attendu qu'il incombe au juge de restituer
leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter
à la dénomination que les parties en auraient proposée...
Bref, en violation formelle de cet article 53, j'ai été condamné
pour injures alors que j'ai toujours cru être jugé pour diffamation
et que je ne pouvais pas être jugé pour autre chose, et cela
sur le fondement d'un texte de loi autre que celui autour duquel toute la
procédure avait été construite... Et il paraît
que les juges agissant en appel sont beaucoup plus soucieux du strict respect
des lois que ceux de première instance, souvent débordés !
Mais c'est dans le dernier paragraphe que l'on constate le mieux l'inanité
d'un tel jugement (et, par là, l'utilité de la distinction
entre injure et diffamation... Les lois ne sont pas si mal faites, lorsque
les juges les respectent !)
Le juge Lambray écrit que
la faible répercussion d'une polémique
un peu obsessionnelle qui en dehors des cercles « d'ufologues » [j'aurais
tendance à ajouter : et encore...]
n'a été relayée
qu'auprès d'un ancien professeur au Collège de France ne permet
pas de considérer que Jean-Jacques Velasco [...]
ait subi un préjudice
notoire au sein de la communauté scientifique à laquelle il
appartient...
Restant dans sa logique de l'injure, ne pouvant donc justifier aucun débat
sur l'incompétence dont a fait preuve Velasco, le juge n'accorde aucune
importance à l'appréciation de Jean-Claude Pecker, mais ne retient
que le fait qu'il ait été informé de l'affaire :
puisqu'il a apparemment été le seul à y accorder de l'importance,
ça n'est pas trop grave, mais si j'avais fourni d'autres attestations
du même genre, cela aurait démontré un préjudice
important justifiant une condamnation plus sévère...
Autrement dit, l'attestation de Pecker, membre de l'Institut, disant pour
étayer ma défense que mes critiques lui semblent « judicieuses
et bien argumentées sur le fond du problème » et que le
SEPRA a été « léger dans ses conclusions »,
est retenue par le juge comme un élément à charge !
Et inversement, le juge remarque au sujet de Velasco que
le crédit
à l'égard de son employeur ne semble nullement atteint (cf
courrier du 15 janvier 1998). Le courrier du CNES soutenant son protégé
devient donc dans la « logique » du juge un élément
à décharge !
Si vous avez un doute, relisez donc ce dernier paragraphe du jugement,
c'est bien ce qui ressort très clairement... Je frémis en
imaginant quel aurait été le montant de ma condamnation si
cette affaire avait soulevé un tollé général
au sein de la communauté scientifique, soutenant en masse la justesse
de mes accusations concernant l'incompétence de Velasco, et si le
CNES avait décidé à la suite de cela de mettre fin à
sa carrière d'expert en matière de rentrées atmosphériques...
Et tout cela risque fort de se réaliser avant que l'affaire ne soit
rejugée, puisqu'elle le sera certainement !
Saluons donc l'exploit du juge Lambrey, qui a réussi à « requalifier »
les éléments à charge en éléments à
décharge, et inversement... C'est sûrement unique dans les annales
de la justice... Lorsque je titrais avant ce jugement que le SEPRA avait plongé la
justice dans la quatrième dimension, je n'imaginais pas que cela pouvait
aller encore plus loin !
Ne ratez pas
le prochain épisode de cette saga, où le jugement
sera examiné par la Cour de Cassation... Et ma première impression
est que la Cour de Cassation risque fort de sombrer à son tour dans
la quatrième dimension !
Robert Alessandri
Ce texte a été lu
fois depuis le 31/03/2003